HOMMAGE à Pierre LAURENT
Professeur de Français :
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Pierre Laurent est
décédé le 1er
février 2012 à Aix-en-Provence à l’âge de 92 ans.
Durant 41 ans il s’est dévoué à plus de 40 promotions d’Enfants de Troupe auxquels il s’était profondément attaché. Il avait conservé des liens d’amitié avec beaucoup d’entre eux. Il aimait aller à la rencontre de ses anciens élèves dans les retrouvailles de promotions auxquelles il était convié. Notre camarade Yves Boualem (dit Goulou) qui lui rendait fréquemment visite a passé la dernière journée de vie avec Pierre à l’hôpital et l’a assuré de notre souvenir ému.
C’était un professeur et un homme exceptionnel.
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Dans ses mémoires (en Octobre 1974), Charles Juliet exprime sa reconnaissance envers Pierre Laurent
« …Fort heureusement, il y a aussi des professeurs remarquables - j’en connais plus d’un - qui ont une valeur à la fois humaine et intellectuelle et qui apportent beaucoup à leurs élèves. Mais pour être bon professeur, il faut tant de qualités et de dons - être capable de vivre et de recréer le savoir acquis, aimer la matière qu’on enseigne, aimer les jeunes, aimer communiquer et ensemencer, savoir parler, savoir capter et retenir l’attention d’un auditoire, être intérieurement riche pour avoir des choses personnelles à donner… - qu’on conçoit qu’il est rare qu’ils se trouvent réunis en un même individu.
En cet instant, je ne peux pas ne pas évoquer Monsieur Laurent, qui fut mon professeur de français en classe de première. Sans doute ne sait-il pas tout ce que je lui dois et combien je lui reste attaché. Avec quelle impatience j’attendais ses cours. A trente ans de distance, je pourrais retrouver dans ma mémoire ce qu’il y imprimait lorsqu’il nous entretenait de Montaigne, nous faisait découvrir Pascal. Certaines paroles de lui, à jamais gravées en moi, m’ont d’ailleurs souvent guidé et soutenu. Et il y a un instant, quand j’énumérais les qualités et les dons qui définissent le bon professeur, c’est à sa description que je me livrais. Il les avait tous. Et bien d’autres encore. On sentait combien il nous aimait et nous lui étions reconnaissant de tant exiger de nous. Car il ne venait pas là pour nous charmer ou jouer au démagogue. Avec lui, nous travaillions avec acharnement et pas un parmi nous, y compris les cancres, ne se serait permis de lui remettre un devoir avec un ou deux jours de retard. Il va de soi qu’il ne punissait jamais, mais nous avions avec lui un tacite contrat moral qui nous mettait dans l’obligation de donner le meilleur de nous même. Quelle chance j’ai eue de le trouver sur ma route, et ce à une époque où j’étais le plus apte à recevoir ce qu’il avait un si intense plaisir à nous délivrer. Mais pourquoi n‘ai-je jamais su lui dire qu’en nous offrant l’image d’un homme valeureux, il a été pour moi un constant modèle, et qui est présent dans chaque page que j’enfante ? »
Une vie en quelques lignes (par Geneviève sa fille cadette)
Pierre Laurent est né en 1919 à Lagnes, petit village du Vaucluse, fils d’un instituteur soucieux de lui transmettre un savoir sans doute mais surtout des qualités humaines qu’il a continué à cultiver et à transmettre et d’une mère affectueuse et fière de ce fils appelé à devenir Professeur. C’est là aussi qu’il a découvert la langue provençale, les boules, le rugby, les charmes et les rudesses de la campagne.
Ses études brillantes le conduisent vers la khâgne du lycée Thiers de Marseille mais le rêve d’intégrer normale-sup est brisé par la guerre et la mort prématurée d’un père adoré.
Répétiteur, professeur, résistant il devient aussi l’époux de Magali qui l’a accompagné soixante-quatre ans et le père de Paulette en 1945, de Geneviève en 1948.
Sa carrière à l’école militaire débute le premier octobre 1943 à l’Etablissement d’éducation d’Epinal replié à Montélimar. Elle continue à Aix en 1947 pour s’achever en 1984 par son départ à la retraite. Tout au long de ces années il s’est efforcé d’être fidèle à son père, de lier toujours instruction et éducation de l’homme et du citoyen, d’être exigeant avec eux comme il l’était avec lui-même. Avec ses collègues devenus des amis il s’est lancé dans des expériences pédagogiques conscient que cette école lui donnait une liberté et des conditions de travail uniques.
Enfin, professeur de classes préparatoires, il a vécu chaque année le concours comme un match indispensable à gagner.
La fidélité de ses élèves jusqu’aux derniers jours de sa vie, leur réussite, leurs propos le confortaient dans l’idée qu’il avait beaucoup travaillé, beaucoup exigé mais qu’il avait été fidèle à ce père tant admiré.
Il a su jusqu’à son dernier jour rester ce provençal humaniste et haut en couleurs, ce professeur soucieux de l’avenir de ses élèves, ce père, ce grand- père, cet arrière-grand- père aimant et anxieux à l’idée que ces valeurs dont il les avait nourris pouvaient les rendre vulnérables dans ce monde fou qu’il a écouté, analysé jusqu’à son dernier souffle. Mais il était aussi ce joueur de boules finaliste du Casanis en 1972, ce joueur de bridge première série pique, ce supporter inlassable du monde sportif, amoureux de la compétition qui ne manquait jamais un tour de France et qui a suivi quelques mois avant sa mort la dernière coupe du monde de rugby demandant à son infirmière de le réveiller de bonne heure pour qu’il soit en forme dès le début du match.
Il nous laisse le souvenir d’un homme jamais indifférent, ouvert à tout ce qui fait la vie des hommes.
Adieu Pierre