Le commandant Houdemon, commandant le 1er Régiment de Chasse de
Thionville
– régiment auquel appartenait le capitaine Bonneton – lui a rendu le plus
bel hommage qui soit, parce que c’était un hommage venant du plus
profond de
son cœur
De l'allocution ont été extraites les citations.
L’Aviation Française, le 24 Juin 1922, a fait
une perte
irréparable. La mort du Capitaine Bonneton la prive non seulement d’un
pilote
de guerre, dont la valeur s’était affirmée dans tous les combats et sur
tous
les fronts, mais surtout d’un chef.
C’était un de ces hommes nés pour entraîner derrière
eux, vers les actions héroïques, les âmes et les corps de leurs
subordonnés,
et pour tout obtenir d’eux, jusqu’au sacrifice total.
La foi, la volonté tenace, l’autorité prestigieuse
émanaient de la fierté de son attitude et de son regard clair et droit.
Il
était appelé à faire bien vite son chemin parmi nous, et ses épaules
étaient faites pour porter allègrement les responsabilités des grands
commandements d’aviation dans les prochaines guerres.
Et moi, personnellement, je pleure en lui mon frère d’armes.
Je l’ai vu arriver à 18 ans, en 1908, dans mon peloton de Dragons. J’ai
vu
sa personnalité se former bien vite à la rude école de notre régiment
d’extrême
frontière. Sa valeur de chef, son esprit de décision s’affirmaient déjà
dans les exercices de nos patrouilles d’éclaireurs où nous préparions
cette
guerre que nous autres, nous savions si proche.
Séparés à la mobilisation, nous nous sommes retrouvés à
la dernière année de la guerre, tous deux devenus pilotes, aux jours
sombres
de Mai et juin 1918. Bien des fois ses ailes ont
protégés les miennes, pendant
que je cherchais les traces des fantassins ennemis, dans les champs
envahis du
Soissonnais ; - Et deux mois après, alors que j’étais à l’hôpital,
il m’apportait un soir les croix noires d’un avion ennemi qui avait
survolé
l’hôpital, et qu’il avait voulu empêcher de troubler mon sommeil de
blessé.
Enfin, en 1920, lorsqu’il mit fin à sa vie errante qui,
depuis 1914, le menait sur tous les fronts français, roumains, russes
et
polonais, il redemande à servir sous mes ordres, au 1er
Régiment.
Depuis c’était la collaboration confiante de tous les jours, la
communauté
absolue d’idées et de sentiments, et les liens d’amitié qui se
resserraient de plus en plus, à mesure que les heures passaient pour
nous sous
ce même harnais.
Il remplaçait pour moi mes amis d’autrefois, que j’ai
vus tomber les uns après les autres au long des années de guerre, et
comme
eux, le voilà aujourd’hui disparu. Avant de me séparer de ce qui nous
reste
de lui, ce corps que son âme ardente animait avec tant de vie, je
voudrais dire
à nos amis belges, ce qu’a fait pendant la guerre ce modèle d’officier
français.
Il a commencé la guerre comme sous-officier au 12ème
Dragons. Il a été de ceux qui ont su trouver l’occasion de se battre à
l’arme
blanche, d’homme à homme.
Puis la Cavalerie s’éloigne du front hérissé de fil de
fer. Bonneton demande à passer dans l’Infanterie ; Il y est nommé
Sous-lieutenant le 22 mars 1915 au 82ème de ligne et pendant
un an,
il va faire la guerre de fantassin en forêt d’Argonne ; guerre de
coups
de main, guerre de mines, où son allant se déploie.
Blessures aux mains et aux jambes, le 15 mars 1916 au bois de
la Fille-Morte.
La blessure du 15 mars l’a rendu momentanément boiteux et
inapte à l’infanterie. Il demande à entrer dans l’aviation. En
septembre 1916, il est breveté pilote,
et aussitôt demande à aller tenter en
Orient le raid Salonique-Bucarest.
Trahi par le matériel, il rentre en
France et repart aussitôt en mission diplomatique pour l’Angleterre, la
Norvège, la Suède et la Russie et il reparaît en Roumanie pour la
campagne de
1917. Il y instruit l’infanterie et les grenadiers, commande deux
escadrilles,
mérite deux citations et six décorations russes et roumaines.
En 1918, il entreprend de rentrer en France à travers
la
Russie bolchevisée, tantôt prisonnier des bolcheviks, tantôt les
forçant à
réatteler la locomotive de son train. Il arrive en France en Avril et
je
reçois une lettre pressante de lui, m’adjurant de l’aider à sortir des
écoles qui ne veulent plus le lâcher. Huit jours après, il arrive à
l’escadrille
69, mon escadrille de chasse d’armée, à la 10éme armée.
C’était le moment où
cette 10ème armée, sous
l’impulsion du général Mangin, livrait une bataille tous les trois
jours.
Laissant le travail du haut du ciel aux avions de la division aérienne,
l’escadrille
69 se bat sur les pointes des baïonnettes de ses fantassins. A chaque
attaque,
ses avions accompagnent l’infanterie, défendent les observateurs,
attaquent
ceux de l’ennemi, mitraillent les fantassins boches, parfois descendus
eux-mêmes par leur tir.
Bonneton est de toutes ces fêtes, dans le rang d’abord,
bientôt en tête des patrouilles, le sourire sur les lèvres, l’œil clair
dardé sur l’adversaire. Il jouit de réaliser si pleinement cette
nouvelle
forme de son idéal de guerrier. Au retour de ces vols, il est le plus
précieux
animateur de cet esprit de joie et d’allégresse dans le sacrifice
journalier,
de camaraderie profonde, qu’en dehors de la 69, je n’ai jamais retrouvé
si
intense.
A la fin de la campagne, il a la joie de conduire la 69 en
occupation sur le Rhin. Il est nommé capitaine le 25 mars 1919, et, la
guerre
finie en France, part en Pologne, il y vole. Il reçoit là , sa
cinquième blessure et la croix des Vaillants du gouvernement polonais,
au cours
des opérations devant Varsovie, et rentre enfin en France au milieu de
1920, au
1er régiment d’aviation.
Fixé enfin sur
le sol français, il réalise le rêve qu’il
avait formé pendant ses combats en Argonne, où, dans l’intervalle de
ses
coups de main, il avait rencontré une jeune fille.
(Elisabeth la soeur du pilote de chasse, René WEISER)
Il ramène au 1er régiment cette jeune femme
digne de servir d’exemple à toutes les femmes d’officiers. Elle a su
dominer ses angoisses et laisser toute sa sérénité à son mari, dans ce
rôle
d’entraîneur d’hommes, qu’il devait à la patrie et qu’il remplissait
si magnifiquement ;
Je le regardais vivre dans la joie : bonheur à son
foyer, bientôt complété par la naissance d’une petite fille qu’il
adorait.
Sympathie dont ses camarades l’entouraient dans le
rayonnement qui émanait de son ascendant.
Satisfaction dans la commandement de son groupe de 4 belles
escadrilles ; il avait su faire passer en elles sa flamme et tout
son personnel brûlait de la même ardeur au service et en vol.
On lui donne à essayer les nouveaux appareils Nieuport 29,
et c’est à ses essais que l’on doit les perfectionnements qui ont fait
de l’appareil
fragile, mal armé et risquant l’incendie au début, le bel appareil de
guerre
qui va armer les aviations de chasse belges et françaises.
Enfin, il met au point l’équipe de 6 pilotes qu’une de
ses escadrilles fournissait pour venir à Bruxelles. Il l’amène plein de
confiance se présenter devant vous, et vous savez le reste, cet
accident
affreux, où menée par lui comme ses combats de la guerre, la chasse aux
ballonnets qui ne pouvaient monter assez haut, s’est terminée par sa
chute.
Dieu l’a rappelé auprès des camarades de ses brillants
combats de 1918 : Malaviolle, Lomasse, Fageol, qui l’ont précédé
au
séjour des élus ; Il nous a laissé l’exemple de toute sa vie pour
guider les générations futures du 1er régiment et la douleur
de le
pleurer.
Si quelque chose pouvait adoucir cette douleur, c’est l’universel
concours de sympathies et ‘amitriés dont toute la Belgique nous a
entourés,
la bonté avec laquelle Sa Majesté s’est penchée sur notre souffrance
pour y
mettre un rayon de gloire, l’empressement de tous nos camarades de
l’armée,
de l’aviation, des armées alliées et de toute la population pour nous
aider
à porter notre croix et reconduire le corps de notre ami.
Au nom du 1er régiment de chasse et de toute l’aviation
Française, je salue le capitaine Bonneton, officier de la légion
d’honneur
et de l’ordre de Léopold, mort pour la France, en service aérien
commandé.