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L'évasion de Pierre Pouyade
*** Récit écrit par le colonel René Weiser peu après l'évasion   
*** DU FLEUVE ROUGE AU NIEMEN par Michel EL BAZE  
Complément Reprise page R.J. POUJADE -Michel Elbaze , liens brisés...
Récit par René Weiser écrit quelques jours après l'évasion     

Le 2 octobre 1942, le Capitaine Pouyade, commandant une escadrille de Chasse - escadrille sans avion !- de l’aviation française en Indochine, étant de passage à Bach-Mai, à son retour d’une mission de remorquage à Doson, décollait seul à bord du Potez 25, type métropole, qui avait servi à sa mission et passait en Chine dans la direction de Montzeu. Cette direction est la seule vraisemblable, du fait qu’un Potez 25 fut perçu au Nord de Tong, environ 20 minutes après le décollage du capitaine Pouyade du terrain de Bach mai et que la D.A.T. le signalait sur le fleuve Rouge et sur Laokay.Vers 10h, ce même jour, le Lieutenant Aimé, subordonné et ami de guerre du Capitaine Pouyade, me demanda audience et m’expliqua ses craintes au sujet du passage en Chine du Capitaine Pouyade en les justifiant ainsi: 

 
<<Je crains que le capitaine Pouyade ne soit passé en Chine, car la D.A.T. vient de me téléphoner pour avoir des renseignements sur un avion, type Potez 25, qui avait survolé Laokay, se dirigeant vers la Chine. L’horaire rapporté correspond au vol du capitaine Pouyade. Je viens de téléphoner à Bach-Mai, relativement au départ de mon chef. 
Les doutes se précisaient car il m’était répondu que, contrairement aux instructions que le capitaine Pouyade avaient données la veille de son départ à son mécanicien, cet officier était venu tôt sur le terrain et avait prétexté une courte visite à un officier d’Infanterie coloniale stationné près d’un terrain auxiliaire au nord D’Hanoi, pour expliquer son départ seul et plus tôt que convenu. Je cherchais alors dans le bureau du Capitaine Pouyade, puis dans le coffre du groupe où chacun de nous avait quelque argent en dépôt dans une enveloppe personnelle. L’enveloppe du Capitaine Pouyade n’y était plus et, par contre, je trouvais une enveloppe qui m’était destinée et dont l’adresse avait été écrite par le Capitaine Pouyade. A l’intérieur de celle-ci, une lettre expliquait la décision prise de passer en Chine : lassitude, amertume, dégoût, inaction dans l’aviation, désir de combattre.
>> 

Interrogé plus avant, le Lieutenant Aimé raconte que le capitaine Pouyade lui aurait quelquefois parlé en plaisantant de son désir de passer en Chine ; il lui aurait surtout vanté le matériel étranger, en lui exprimant son désir de s’en servir et son regret de ne pouvoir le faire.

 

DU FLEUVE ROUGE AU NIEMEN: par Michel EL BAZE 

Général Pierre Pouyade   Biographie succinte   

   Pouyade a laissé un nom particulièrement célèbre dans l'épopée de la France Libre, lié à celui du fameux régiment d'aviation de chasse "Normandie-Niemen" engagé sur le front de l'Est dans l'armée soviétique. Des évadés d'Indochine, c'est celui dont le nom fut le plus connu en France. Il parlait parfois de son évasion au Club de la France Libre où il rencontrait d'anciens résistants d'Indochine qu'il revoyait à la Fédération des Réseaux de la Résistance F.F.L.-F.F.C. d'Indochine 1940-1945.

   Pierre Pouyade était un pilote réputé. En 1942, à peine âgé de 30 ans, il commandait une escadrille de chasse au Tonkin, ce qui n'était pas courant. Il considérait qu'un pilote de chasse est fait pour combattre les ennemis qui occupent sa patrie : comme ses camarades évadés, ou qui tentèrent l'aventure, il pouvait dire que "le Soldat qui combat a toujours raison". En cela, il s'opposait au général que Vichy, envoya spécialement en Indochine pour y commander l'aviation selon les nouvelles idées du temps. Cette aviation était vétuste, hétéroclite surtout,  et squelettique; condamnée à ne faire que "du vol de temps de paix" dans un monde en guerre. Sauf quand il s'agissait d'attaquer les avions américains des "Tigres Volants"… mais ceux-ci eurent vite fait de la dissuader d'entreprendre.

   La Chine était à quelques 150 kilomètres de sa base. Choisissant la solution la plus simple pour un aviateur, Pouyade décida de s'envoler vers un terrain du Yu Nan d'où rejoindre la France Libre et ses F.A.F.L., grâce à la Mission Militaire Française en Chine. Malgré la courte distance, ce n'était pas une mission de tout repos qu'il s'assignait là. En dépit de l'unification théoriquement obtenue par le Kuo Minh Tang, peu de régions de la république que présidait Tchang Kaï Sheck étaient sûres.

   Pouyade ne connaissait pas l'anglais et, bien entendu, pas le chinois. Il se soucia "d'emprunter" un dictionnaire franco-anglais qui lui permette de palier ses trous dans la langue de Churchill et de Roosevelt, les amis du moment de Tchang. Il rencontra La Varende, récemment arrivé de France après son combat de Saumur et en service au S.R. Colonial camouflé sous le nom de B.S.M. (Bureau des Statistiques Militaires) : celui-ci offrit son dictionnaire, réalisant une partie de son rêve de rejoindre la France Libre; mais ce n'est pas à ce titre qu'il devint F.F.L.…

  Ayant préparé son plan, mis de l'ordre dans ses affaires, enfoui son dictionnaire franco-anglais dans sa poche, le Capitaine Pouyade commanda au Mécano surnommé "Toto" de vérifier particulièrement bien le Potez-T.O.E. numéro 30; en vue d'un départ vers 10 heures pour une "mission prolongée le long de la frontière". Bien sûr, il n'avait aucun ordre de mission, mais, vis-à-vis de ceux qui restaient à terre, il devait faire croire qu'il en avait un consistant à empêcher les incursions des "Tigres Volants" à la frontière du Tonkin, selon les ordres du Général Tavera.

  Décidé, soulagé par l'action qui commençait, Pouyade s'installa à son poste. Le moteur répondit à la première sollicitation : la tête serrée dans le casque de cuir, l'évadé en puissance fit un signe de la main. Cales enlevées, tandis que le crachin tonkinois semblait se lever, le Potez roula quelque temps puis s'envola avec élégance. Il disparut très vite à la vue des hommes du terrain, comme s'il rejoignait directement la ligne de la frontière, mais mit bientôt le cap sur Laï Chau. Ce même mémorable 2 Octobre 1942, la Wehrmacht était bloquée devant le Festung Stalingrad, mais Pouyade ne savait pas encore que cela le concernait. Ce même jour, Vichy devait s'incliner définitivement à Madagascar et, dans le Pacifique, les US. Marines fortifiaient leur tête de pont à Guadalcanal, première île reconquise grâce aux bases de territoires français ralliés à la France Libre.

   Le but du raid était Tchung King, s'il pouvait se ravitailler, car il savait que les performances de son Potez 25 ne lui permettraient certainement pas d'y parvenir d'un seul jet. Au-dessus des montagnes couvertes d'une luxuriante végétation, l'appareil commença à donner des signes inquiétants, après que la frontière de Chine eut été franchie sans difficulté. Le niveau d'essence était bien bas et, surtout, le Potez faisait des bons désordonnés que rien n'expliquait : il fallait se poser au plus vite alors que le sol se présentait sous la forme d'un moutonnement de sommets de grands arbres de jungle. Soudain surgit ce qui pouvait faire office de terrain acceptable mais court. L'urgence décida : brutalement le Potez 25 n° 30 termina sa carrière en s'écrasant en territoire Céleste. Le pilote, lui, était indemne.

   Prenant quelques affaires, et d'abord sa boussole, Pouyade entreprit de poursuivre sa route vers le combat, à pied ou éventuellement avec les moyens du bord. C'est ainsi que,  hors de la forêt, il chevaucha un temps un buffle aux cornes en faux. La marche fut épuisante à travers la jungle infestée de sangsues et de moustiques : le "régime jockey" le changeait de celui de Tone. Exténué, souffrant du paludisme, il eut cependant de chance de ne pas tomber dans les mains des bandes "incontrôlées" qui, elles, contrôlaient chacun des morceaux du territoire de la Chine des Seigneurs de la Guerre dont Tchang avait fait des généraux ou des maréchaux, selon leur puissance.

   Il arriva enfin au but et fut reçu en héros par la Mission Militaire Française en Chine. A quelques jours de là il découvrit et fit libérer l'Adjudant d'Aviation Bernavon, lui aussi évadé d'Indochine, que les pirates avaient capturé et "retenaient". Le départ du capitaine avait fait scandale en Indochine; d'autant que son chef, le Général Tavera qui n'était pas à une approximation près, se vantait devant l'Amiral Decoux de "savoir bien tenir son monde".

   Une Cour Martiale eut à juger le Capitaine Pierre Pouyade, déserteur en temps de guerre avec emport de matériel et d'armement militaire, pour s'engager dans une armée étrangère. Sous le manteau on l'accusait des pires vilenies, donnant à la "désertion" des motifs nullement honorables; selon l'opinion qu'émettait l'Amiral Decoux et qu'il reprendra dans son livre-plaidoyer. Le Tribunal Militaire suivit le Commissaire du gouvernement et condamna Pouyade comme "traître" à la peine de mort et à la confiscation de ses biens : il ignorait pourtant alors que "l'engagement dans une armée étrangère" (les Forces Aériennes Françaises Libres) conduirait le capitaine dans une division aérienne de l'Armée Rouge, selon les ordres du Chef des Français Libres.

   La presse et la radio d'Indochine diffusaient la propagande qu'orchestrait un officier de marine, ex-douanier chinisant. Elle s'empara de l'affaire. Le "déserteur", parti combattre aux ordres du "Ganelon de Londres" au lieu d'attendre que la politique officielle de "Défense Commune Franco-Japonaise de l'Indochine" permette "d'attendre hors des combats la fin de cette guerre mondiale", fut flétri comme il se doit… et accusé d'être un couard ! Plus nerveux que jamais, le Général Tavera prit des mesures draconiennes : il embarqua les aviateurs de la base de Tong dans un train et les relégua dans le sud. Ils se retrouvèrent à Baria, tandis que leur général déclarait, toujours content de lui, que "avec le départ des brebis galeuses" l'aviation d'Indochine "était maintenant derrière le maréchal". Rien de moins sûr, comme il le constata…

   Le périple qui conduisit Pouyade jusqu'au combat sous le signe de la France Libre fut assez étonnant : de Chine, il s'envola vers les Indes, poursuivit vers l'Arabie, le Soudan anglo-égyptien, le Tchad, le Niger, les U.S.A. et l'Islande aux eaux encombrées de banquises, avant d'arriver enfin en Angleterre. Il imaginait peut-être une réception qui date, en son honneur : celle qu'il reçut l'irrita passablement sur le moment, bien qu'elle fut de routine comme il l'apprit par la suite lorsqu'il comprit quelle guerre implacable était menée, où tous les coups semblaient permis à l'ennemi. Il passa deux semaines au secret, sans cesse interrogé par des policiers tenaces qui voulaient s'assurer que cet aviateur venu de si loin n'était pas un sous-marin de Vichy acheminé après l'affaire de Madagascar.

   Il traversa cette épreuve, que connurent bien des Français et autres Européens qui rallièrent l'Angleterre, avant d'être l'hôte de Patriotic School. Cette institution pour pupilles de la Navy servait maintenant d'antichambre de la France Libre. Pouyade y fit la connaissance d'autres volontaires. Il eut pour voisin un petit monsieur volubile, que tous les jeunes d'avant 1939 avaient lu sous la signature de Jaboune et que connurent les "chers auditeurs" de l'O.R.T.F.… : Jean Nohain. Comme son frère l'Acteur Claude Dauphin, il "rejoignit" les Forces Françaises Libres pour combattre dans la libération de sa patrie. (Il sera blessé, à la 2ème D.B.).

   Le Général Valin, Commandant des Forces Aériennes Françaises Libres - F.A.F.L. - fut très heureux de recevoir ce commandant d'escadrille réputé. Aussitôt, celui-ci demanda à partir tout de suite "en escadrille de combat". Il s'étonna fort de s'entendre dire que "les candidats ne manquaient pas" et que "la liste d'attente" était pleine ! Le général lui expliqua que, avant de voler en combat à l'Ouest, il fallait se familiariser avec les procédures et le jargon de la Royal Air Force, adoptés par toutes les "Air Force" basées en Angleterre. Ce n'était pas le petit dictionnaire confié par La Varende qui pourrait le dispenser des stages.

   Valin connaissait et appréciait cet entraîneur d'hommes, volontaire et cordial, qu'était le svelte et brun Capitaine Pierre Pouyade : il lui proposa de rejoindre, sur le front soviétique, le régiment d'aviation de chasse français "Normandie", que commandait un de ses camarades de "promo", l'as de l'acrobatie Tulasne. De Gaulle voulait, expliqua-t-il, que la France Libre soit présente partout où se menait la guerre contre l'Occupant (au cours des six premiers mois de combat, en 1943, "Normandie-Niemen", perdit 83 % de son effectif volant : renforcé par des volontaires, dont ceux arrivés avec Pouyade, il continua à se distinguer et à subir des pertes à la mesure de sa fureur au combat : j'y perdis, du côté de Smolensk, mon camarade de jeunesse Maurice Bon. "Normandie-Niemen" fut une des gloires de la France Libre, qui n'en manqua pas, et sa renommée ne tarda pas à être mondiale : 45 ans après, on l'évoque et on l'étudie dans les écoles d'Union Soviétique où plus de 300 agglomérations portent son nom; mais pas une en France…).

   Pouyade accepta d'enthousiasme. Il rejoignit en Juin 1943 la prestigieuse unité formée par Pouliquen et commandée par son camarade Tulasne. Lorsque celui-ci ne revint pas de mission, ce fut à l'évadé d'Indo-Chine de reprendre le commandement des fameux chasseurs sur "Yak" : il fut le chef estimé et aimé de "Normandie-Niemen". Des fronts de Smolensk et d'Orel, de sinistre mémoire, à l'entrée en Prusse Orientale qui fut le berceau du militarisme teuton, il se couvrit de gloire avec ses pilotes : l'un d'eux, qui fut tué en combat, était l'Adjudant Adrien Bernavon, comme lui et avec lui évadé d'Indochine et condamné à mort. Effectuant 5240 missions en 4354 heures de vol et 869 combats, "Normandie-Niemen" se vit reconnaître 310 victoires aériennes officielles et 249 objectifs au sol, pour une perte en effectifs de 80 % des pilotes : tels étaient les "déserteurs" que faisait condamner l'Amiral Decoux.

   La renommée de Pouyade fut telle que le Maréchal Joseph Staline tint à le rencontrer : il le convoqua au Kremlin pour s'y entretenir longuement avec lui; mais ceci est une autre histoire…

Témoignages recueillis par R.J POUJADE et publiés dans « COURS MARTIALES D’INDOCHINE » Guerre 1939-1945. Tome I Un marsouin à la barre  Tome 2 Dans la gueule du Ma-Koui  source WAR MEMORIES par Michel EL BAZE