Les chaînes du

  Tigre Volant: 

  William LABUSSIERE 
 
 
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  Le pilote de chasse William Labussière, alors âgé de 32 ans, fut du fameux trio de curieux évadés de la Maison Centrale de Saïgon vers la Chine, en fin 1944.

  William eut toujours un profond respect pour les qualités d’homme de son père. Celui-ci, volontaire à 16 ans au cours de la Grande Guerre, avait été réformé après une première blessure grave. A peine remis, il s’était à nouveau porté volontaire et avait été mis définitivement hors de combat; ayant perdu l’oeil droit et subi d’autres blessures (son nom est lié à l’Association des Grands Blessés).

  Dès l’adolescence, le jeune Labussière sortait déjà de l’ordinaire et manifestait une rare constance : en admiration devant les acrobaties des aviateurs de Mérignac, il s’ouvrit à son père de son ardent désir d’être pilote. Il s’entendit répondre qu’on en reparlerait dans un an. Tout ce temps, Willy ne parla plus de son projet : le 365ème jour, il se présenta devant son père et lui demanda quelle était sa décision. Reconnaissant “son sang”, le père donna son autorisation. C’est ainsi que notre héros se retrouva élève-pilote chez Blériot, à Buc, avant de faire son service militaire comme pilote de chasse.

  Il était en Côte d’Ivoire, toujours plein de projets, quand, en 1936, il estima qu’il fallait répondre aux nazis qui apportaient une aide puissante au Général Franco. Labussière devint chef d’escadrille dans l’Aviation Républicaine Espagnole, où il ne percevait que la modeste solde de l’armée, pour de très nombreuses missions bien réelles. Avec ses chasseurs, des “Moscas I.16”, il se distingua dans le ciel ibérique. En Août 1937 il donna sa démission, se rendant compte que les Soviétiques, qui aidaient les Républicains, avaient entrepris un noyautage intensif de l’aviation : il estimait cette intrusion politique nuisible à la vitale efficacité opérationnelle.

  Depuis le mois de Juin 1937, l’armée japonaise - un Etat dans l’Etat - avait commencé des opérations en Chine du Nord : le gouvernement de Tokyo qualifiait cela “d’incident de Chine”, et les grandes puissances affectaient de le croire : il s’agissait, en fait, des premiers combats nécessaires à ce qui allait devenir la “guerre de la plus grande Asie orientale”, au cours de la deuxième guerre mondiale. Le programme d’expansion japonais vers les mers du sud n’était pas un mystère, pas plus que celui de Hitler, mais nul ne voulait en tenir compte.

  Sans recommandation, Labussière se présenta à l’ambassade de Chine à Paris : sur présentation de ses références, il fut immédiatement engagé sous contrat pour aller affronter les réputés aviateurs japonais dans le ciel de l’Empire Céleste. William Labussière fut un des meilleurs as de l’escadrille de volontaires que commandait l’Américain Claire Chennault : ces A.V.G. (American Volunters Group) porteront bientôt le nom fameux de “Tigres Volants”. Chennault, qui resta jusqu’à sa mort l’ami de Labussière, classait celui-ci parmi ses meilleurs pilotes; appréciation dont il était avare.

  Lorsque la France mobilisa en 1939, Labussière rompit son contrat chinois. L’épouse du Maréchal Tchang Kaï-chek, Président de la République de Chine, était une femme de grande culture et de sens politique internationalement reconnue, mais aussi le Ministre de l’Aviation. Elle avait une particulière admiration pour les volontaires français : elle fit cadeau à Labussière d’un sceau personnel en or, à son nom chinisé de “Lê Po Shuê” (Cime des Neiges). Il rejoignit Hanoï, où il fut mobilisé et affecté à l’Escadrille de Chasse 2/595, dite “Panthère Noire”, avec son fidèle et inséparable André Boulingre qui dessina l’insigne de l’unité.

  Boulingre, avant la Chine, avait aussi “fait l’Espagne” où ce virtuose de la voltige aérienne avait appartenu à l’escadrille de André Malraux, au statut assez particulier. Avec Labussière et Poivre, il avait formé l’équipe des trois as français du fameux “Pursuit Squadron”. Omer Poivre fut descendu le 14 Décembre 1937 au cours d’un combat héroïque contre des Japonais, en voulant protéger un pilote chinois. La Maréchale Tchang Kaï-chek fit élever un monument commémoratif à l’emplacement où l’avion de Poivre s’était écrasé : chaque promotion de l’armée de l’air chinoise venait s’y recueillir et effectuer des acrobaties en l’honneur du héros qui était devenu leur “Guynemer”.

  L’Indo-Chine ne disposait alors que de vieux avions : une soixantaine de “Potez 25”, 4 “Farman” quadrimoteurs et 10 hydravions “Loire 130”, plus divers petits “zincs”. L’embargo mis sur 20 “Morane 406” de chasse, destinés à la Chine, avait permis la création de deux escadrilles basées à Hanoï (2/595, “Panthère Noire”) et Tourane (2.596). Encore faut-il noter que ces chasseurs étaient dépourvus de leur armement principal, le canon Hispano-Suiza. Début de 1940, Chennault avait envoyé son adjoint Harwey Greenlaw, qu’accompagnait son épouse Olga, prendre contact avec Labussière pour transmettre une proposition à l’Amiral-Gouverneur Decoux : offre gratuite de 11 chasseurs Curtiss que le blocus japonais empêchait de débarquer en Chine. L’amiral refusa ce cadeau, arguant qu’il y avait une mission d’achat aux U.S.A. et préférant que les avions soient vendus à la Thaïlande

  A la fin de 1940, Labussière eut à combattre l’aviation japonaise au nord du Tonkin, puis il combattit contre l’aviation thaïlandaise, plus moderne et plus nombreuse, obtenant des succès. Il se retrouva ensuite à la frontière du Tonkin : à cette époque étaient entrés en activité les Accords de Défense Commune Franco-Japonaise de l’Indo-Chine… dirigés contre les Anglo-Saxons. De la fin de 1940 à la mi-Juillet 1941, la tâche de l’Occupation de l’Indo-Chine par les Japonais s’étendit jusqu’à la Cochinchine et le Cambodge : les “Japs” étaient partout.

  Labussière constata vite, par des discours et des notes de service impératives, que, pour le Colonel Tavera qui commandait l’aviation, l’ennemi n’était pas le Japonais qui occupait un territoire sous souveraineté française, mais les “A.V.G.” qui luttaient en Chine et à la frontière contre les “Japs”. Précédant Pouyade, le futur héros de Normandie-Niémen, Labussière décida de rejoindre les Forces Aériennes Françaises Libres, via la Chine; en emportant le plus d’informations possibles sur l’Occupant. Le Colonel, puis Général, Tavera avait fait signer à ses pilotes un engagement à ne pas “déserter” par voie aérienne : en dépit de la répulsion qu’il ressentait envers son “patron” pour son "collaborationnisme" affiché, Labussière s’obligea à respecter sa signature et à trouver un autre moyen pour rejoindre le Général De Gaulle.

  Il décida d’emprunter une jonque et de rallier par mer. Il avait fait la connaissance d’un sous-officier métis du nom de Greiveldinger : avec lui, il prépara un embarquement sur une plage du Golfe du Tonkin, à Doson. Ils espéraient que la jonque qu’ils s’étaient procurés parviendrait à se faufiler en profitant des écrans que constituaient les nombreuses îles de la Baie d’Along; au milieu d’une intense et incontrôlable navigation indigène à la pêche ou au commerce… licite ou non. Willy avait choisi de s’embarquer le 6 Août 1941, qui se trouvait être celui de son 29ème anniversaire.

  Les contretemps et les mouchardages firent qu’ils furent capturés au moment d’embarquer. Il avait sur lui des documents concernant l’implantation des Japonais au Tonkin. Il fut aussitôt incarcéré. Son camarade, qui n’embarquait aucun document, fut condamné à une peine légère. Labussière passa devant la Cour Martiale de Hanoï le 6 Septembre 1941. Comme envers les autres “déserteurs-qui-voulaient-reprendre-le-combat” cette juridiction manqua de tenue. Le Colonel Maso présidait le tribunal. Labussière fut assez étonné de s’entendre insulter à propos de ses motivations : il pensait que des militaires pouvaient très bien réprouver l’acte d’indiscipline et en reconnaître la noblesse d’inspiration : il apparut également que le fait d’avoir emporté des documents pouvant aider à combattre les Japonais était le plus répréhensible; comme s’il s’était agi d’un “gumpõ kàigi” (tribunal militaire nippon). Toutefois, compte tenu de ses “services exceptionnels dans l’aviation d’Indo-Chine”, le colonel-président estima qu’il pourrait y avoir un jour une grâce; qui ne pourrait toutefois intervenir avant “la fin des hostilités”.

  Son départ n’ayant pas été effectif, et compte tenu de ses “services exceptionnels”, Labussière fut condamné à 5 ans de travaux forcés et à la confiscation de ses biens présents et à venir. Il ne se priva pas de donner son opinion sur ses juges. Qu’il fut en avion ou en prison, ce Bordelais obstiné autant que plein de ressources n’était vraiment pas un personnage ordinaire : il commença son évasion le jour même de sa condamnation, dès son retour en prison. Il avait été remis dans la prison militaire : dès qu’il fut dans la cellule, il passa sous le bât-flanc et entreprit de creuser un trou dans le mur, avec sa cuillère. Il fut découvert peu avant d’être dehors; ce qui lui valut d’être immédiatement transféré à la Maison Centrale et d’y être enfermé dans une cellule réservée aux “durs”.

  Il devint par la suite le recordman des jours de cachot et de mise aux fers : il n’y eut que Camille Huchet chef d’un des tous premiers réseaux de la Résistance en Indo-Chine, et mon patron à ce titre à Saïgon, pour lui disputer cette primauté. Agé de 54 ans, ce “paisible” importateur-exportateur fit 60 jours de cachot, dont la moitié pour une prétendue tentative d’évasion de la Maison Centrale. Il avait été dénoncé par son “boy”. Au tribunal, il jeta sa Médaille Militaire et sa Croix de Guerre de la Grande Guerre à la tête du Procureur Lafu. Libéré fin 1944, il fut “vendu” aux “Japs” en Mars 45, pour un dépôt d’armes camouflé derrière un doublage. Il fut martyrisé par la Gestapo-Jap.

  C’est par 30 jours de cachot que Labussière inaugura sa captivité vichyste : il connut ensuite le couloir réservé aux “Hautes Trahisons”, comme l’indiquait un panneau. Il y eut comme camarades Eugène Robert, Pierre Boulle, le Docteur Bechamp, tout particulièrement, et quelques autres que les autorités qualifiaient de “dissidents” et de “traîtres”. Fin 1941 se produisit un événement caractéristique et révélateur du comportement des fidèles de la Révolution Nationale. Labussière avait une rage de dent. Le praticien de la prison dut avouer son impuissance à le soigner et rédigea une demande au Gouverneur-Général Decoux pour que son patient puisse être soigné à l’hôpital.

  Inouï, mais vrai… Pendant que la demande suivait la voie hiérarchique, le visage du prisonnier s’enflait démesurément car, ni le directeur de la prison, ni le Résident, ni le Commandant Supérieur des Troupes malgré ses multiples étoiles, n’avait l’autorité suffisante pour permettre de soigner la dent d’un sergent-pilote. (Pour les “classes nouvelles” rappelons que l’un des slogans de base de la Révolution Nationale était la capacité à trancher des “chefs”, dont il y avait une profusion… qui se retranchait derrière la hiérarchie).

  La réponse de “l’Amiral Pan-Pan” vint enfin. Elle suffit à juger l’homme : l’extraction de la dent à l’hôpital Lanessan était autorisée par le gouverneur-général de l’Indo-Chine, “… à condition que cela soit fait sans anesthésie”. Ce fut le cas. On doute que ce soit cette marque combien remarquable qui convainquit un enseigne de vaisseau de l’époque, et futur mémorialiste sous ses deux étoiles amirales en 1983, d’insister sur “l’humanité” de son amiral. Cette note de Decoux fut retrouvée, comme le témoigna Dauphin, autre victime des lettres de cachet du Gougal, auquel le Général Salan la montra par la suite. Un tel comportement aide à comprendre les difficultés qui surgiront en fin de 1945.

  Après l’évasion de Robert, qui fut suivie de mesures d’une rare sévérité pour ne pas dire plus, Labussière fut du second voyage d’évacuation des prisonniers vers le sud. Pendant deux jours, dans l’espace réduit du wagon du Trans-Indochinois, les menottes ne lui furent jamais retirées, même pas pour se rendre aux toilettes. Il alla directement de la gare à la Maison Centrale de Saïgon. Son opposition constante lui valut à nouveau de connaître le cachot. Il y fut enfermé à la suite de sa complicité dans la tentative d’évasion, en pleine ville, de Robert à la faveur d’une occasion fortuite. Le régime du cachot était le pain sec, c’est-à-dire du pain de maïs si indigeste que la population civile en mangeait rarement plus d’une tranche d’un coup.

  Il fut mis à la “Barre de l’Indo-Chine”, supplice médiéval que l’amiral nostalgique de la période des “Grands Amiraux” avait ressuscité. Elle n’était pas du même genre que celle de Hanoï, en forme de joug. A Saïgon, il s’agissait d’une barre, traversant les deux murs de la cellule, où coulissaient deux manilles dans lesquelles on enserrait les chevilles du forçat. Dans sa “Barre de l’Indo-Chine”, l’Amiral Decoux écrira un plaidoyer où il dira sa nostalgie de ses grands ancêtres dont les bustes, au Palais Norodom, l’inspiraient : il n’a pas précisé si la “Barre de l’Indo-Chine” que connut Labussière fut un des exemples qu’il reçut en legs. C’est pourtant cette barre-là qui colle à sa mémoire.

  On ne peut mieux comparer le cachot où fut enfermé Labussière à Saïgon qu’à ces W.-C. “à la turque” des écoles primaires d’autrefois et des restaurants chics du Versailles des années 60; qui auraient eu la profondeur de la taille d’un homme. Comme les murs, le sol était revêtu de coaltar. L’obscurité y était à peu près complète et le jour ne se distinguait de la nuit que par le passage matinal de la corvée : d’un jet d’eau assuré, elle nettoyait du même coup bagnard et cellule.

  Une scène de Moyen-Age sous l’oeil indifférent du gardien. C’est dans ce tombeau, en slip, cheville serrée dans l’anneau et sur la barre d’acier, le ventre vide et dans l’obscurité, que le prisonnier passa la nuit de Noël 1943 : une tranche de pain sec de maïs et une cruche d’eau firent son menu de réveillon. A cette date, l’Afrique du Nord et les derniers territoires extra-métropolitains, sauf l’Indo-Chine, avaient rallié la France Combattante; mais Willy dut accomplir ses 60 jours de cachot sans le moindre adoucissement : les futurs “résistants” Hoef et Cast n’avaient pas jugé convenable ou utile une suspension de la peine de cachot. Leur réflexion prendra encore un an et ce qu’ils en écriront en 1945 donne une idée de la bassesse de certains “chefs”.

  La nourriture ordinaire des prisonniers était à peine suffisante, bien que l’on fut en Cochinchine : on n’y connaissait pas les disettes et même la famine que connut le Tonkin où se conjuguaient le manque de produits du sol et les rafles japonaises. La farine de blé avait disparu et, depuis longtemps, il n’y avait plus de lait. Il y avait un problème sérieux au sujet de cet aliment nécessaire aux enfants, quant aux Indochinois, qui n’admettaient que le lait condensé sucré.

  Quelques années plus tôt, un gouverneur-général avait fait venir de France des vétérinaires sans doute compétents dans le lait, mais ignorant complètement les moeurs indochinoises. Il avait été à peu près impossible de faire admettre la consommation de lait de vache, aux non-Européens non complètement “intégrés” à nos goûts : pour la masse, ce lait n’était qu’un excrément à peine bon pour fertiliser le potager ! Lorsqu’on leur faisait remarquer qu’ils raffolaient de “lait Nestlé”, ils répondaient que ce n’était pas la même chose, puisqu’il s’agissait dans ce cas de “lait d’oiseau”… comme l’indiquaient les oisillons voraces de l’étiquette. Ils n’en démordaient pas.

  Pour ce qui le concernait directement, l’Amiral Decoux avait résolu le problème du lait. Lorsque son épouse était d’un de ces voyages pour lesquels beaucoup de faste oriental se déployait, on accrochait à son convoi spécial une bétaillère réservée à la vache-de-l’amiral et à son vacher. C’était une solution pour avoir toujours le lait frais qu’aimait l’épouse du Gougal. On en souriait plus qu’on en brocardait et cela meublait les conversations des mess et bungalows : les employés du Trans-Indochinois, et d’autres, savaient si Madame-Amirale accompagnait son Prince Protecteur d’Annam d’époux, rien qu’à la présence de la bétaillère.

  Il fallut attendre la réussite vérifiée du débarquement de Normandie, pour voir évoluer lentement les comportements; en commençant par les fonctionnaires de base qui, sur de petites choses et en cachette de leurs chefs osèrent quelques dérogations aux règlements. Puis, ce furent les “petits chefs”, qui prenaient soin de réclamer le secret vis-à-vis de leurs collègues et des chefs. Ce fut enfin le tour de ceux-ci qui, étant amenés à constater certains “errements”, n’osaient réprimander leurs subordonnés et en vinrent aussi à se chercher d’éventuels témoignages de la part de leurs prisonniers. Le directeur découvrit soudain de la sympathie pour les “gaullistes”, en raison écrira-t-il en 1945… de ses attaches socialistes d’avant-guerre. Les “gaullistes” ne lui semblèrent plus être ces individus “dangereux” dont il conseillait l’exeat immédiat de l’hôpital Grall au pusillanime directeur.

  Ce n’est qu’à la fuite des gouvernants de Vichy à Sigmaringen que les choses commencèrent vraiment à changer à toute vitesse : Labussière se vit offrir de bonnes bouteilles et de bons cigares, voire de l’argent, par des militaires qui le qualifiaient ouvertement de traître quelques semaines plus tôt. Fin de 1944, il fut de l’évasion rocambolesque qui, par Xieng Kouang, fit envoler Boulle et Robert avec lui vers la Chine et Calcutta.

  Tandis que ses amis poursuivaient leur route, on se souvint de ses exploits en Chine sous les ordres de Chennault, maintenant Commandant de la fameuse XIVème US.AF., pour l’affecter à la Mission Française en Chine. Il devint le Capitaine Willy Martin. Il retrouva des camarades des “Flying Tigers”, qui le brocardèrent un peu du manque d’enthousiasme des pilotes du Tonkin à passer la frontière pour combattre… à 130 km de leur base. Seul le Sous-Lieutenant Coquillard fit le saut en Mars 1945 : il se “crasha” au cours de sa première mission au profit de la Colonne Alessandri pour laquelle quatre avions restés au Tonkin travaillèrent en Haute Région.

  C’est à Kun Ming que Labussière rencontra un ami qu’il croyait perdu : Bishop, pilote de la XIVème US.AF. qui avait été abattu par les Japonais près de Lao Kay plus de deux ans auparavant. Dirigé sur Hanoï sous l’escorte d’un lieutenant ami, il avait été confié au 2ème Bureau du Génésuper : sur ordre du Général Mordant, Bishop fut remis aux Japonais qui le réclamaient. Ils lui firent subir un interrogatoire “musclé”, puis il fut transféré dans un camp en Chine. A la fin de la guerre, il se trouvait dans un camp proche de la capitale de la Chine collaborant avec les Japonais : c’est de là qu’il s’évada au moment de l’écroulement du Japon, en profitant de l’action d’un groupe de guérillas. Il rejoignit Kun Ming.

  Il se trouva un jour à un banquet en son honneur, où avait été invité Labussière en sa qualité d’ancien des “A.V.G.” plus que de représentant de la Mission Française en Chine. Bishop raconta son odyssée, insistant sur la fourberie à son égard dont avaient fait preuve les autorités militaires françaises. Il termina en disant que s’il en avait l’occasion, il se vengerait en tuant un officier français vichyste. Labussière se leva, dit qu’il comprenait la colère de son camarade et qu’il la partageait d’autant plus qu’il avait été mis aux fers en Indo-Chine par les gouvernants vichystes, mais que, en tant qu’officier français, il ne pouvait paraître approuver, par sa présence, le projet de son camarade Bishop des Tigres Volants.

  Après la capitulation du Japon, William Labussière reçut mission d’aller à Hanoï y embarquer des hauts responsables militaires dans un “Dakota”. Via Kun Ming, ils devaient être acheminés vers la France pour y rendre compte de leur comportement pendant l’Occupation japonaise de l’Indo-Chine. (Le mot “Occupation” est celui qu’employaient les Nippons : il correspondait à la réalité, comme on l’a vu pour Bishop). Parmi ces voyageurs brusqués se trouvait le Général Tavera. Celui qui s’appelait maintenant William Martin se souvenait de l’arrivée du Colonel Tavera sur le front du Cambodge et de sa morgue envers le valeureux Ganglof, commandant d’escadrille, et des équipages rentrant de mission, auxquels il avait adressé des menaces en se prévalant de la “confiance du maréchal”… avant de faire un spectaculaire “cheval de bois”. Par la suite, il avait donné des ordres stricts pour pourchasser les avions de Chennault. Il fut le dernier des généraux d’Indo-Chine à se “rallier”.

  Mettant pied à terre sur l’aérodrome de Gia Lam, en débarquant de Kun Ming, Labussière vit la troupe de “réprouvés” galonnés qui attendaient avec quelqu’anxiété un peu glorieux envol vers un destin incertain en cette période d’épuration. Soudain, un petit homme excité, gesticulant et rouge de colère, s’avança vers l’avion : il exigeait, disait-il, plus de considération de la part de ce “petit capitaine” qui prétendait enfourner toutes ces “personnalités” dans ce Dakota au confort nul. Souriant à son habitude, Willy le calma d’un coup en lui signalant qu’il ne devait pas se fier à ce nom de Capitaine William Martin sous lequel il avait été présenté; car il était en fait “ce pilote de chasse que lui, le général, et d’autres collabos, avaient envoyé au bagne”. Ce fut la douche froide, et pas seulement pour le général. 

  Chacun s’empressa de monter à bord de l’appareil, avec discipline et en silence. Entassés de part et d’autre du couloir central de cet avion rustique, les passagers aux maigres bagages n’en menaient pas large. Chacun essayait de deviner son sort sur le visage énigmatique de cet avion dont ils avaient contribué à faire le recordman du cachot et de la “Barre de l’Indo-Chine”. L’air mystérieux, Willy Labussière goûtait ces minutes en pensant à ses camarades des “Flying Tigers” et des geôles de l’Amiral “Pan-Pan”. Sa vengeance fut cependant comme celle du Bon Roy Henri, qui se contenta de faire transpirer le Duc de Mayenne au lendemain de sa défaite. Quant à lui, la tête du Général Tavera le payait de bien des peines : finie l’arrogance de l’homme qui ”avait la confiance du maréchal” pour ne pas se battre et faire condamner aux travaux forcés ceux qui voulaient le faire, ou même à mort, par contumace il est vrai; comme ce fut le cas de Robert Barbier qui, à bord de son “Potez 25”, dut se poser en Thaïlande où il connut les cages et les crachats de la foule et qui, l’Amiral Decoux s’étant refusé à intervenir, ne fut libéré que sur les menaces des Britanniques.

Après la fin de sa mission à Kun Ming, Labussière continua à se passionner pour tout ce qui concerne l’aviation, particulièrement en Extrême-Orient, où il resta en rapport constant avec Chennault, jusqu’à la mort de celui-ci qui lui rendit visite peu avant son décès. Il est resté en contact avec ses compagnons de geôles d’Indo-Chine, Robert et Boulle… : c’est ainsi que je fis sa connaissance et que nous sommes devenus amis.