Mes lecteurs ayant été
très intéressés
par ma chronique "Ici votre Commandant. Bienvenue à bord" - résumant le travail du pilote de
ligne - et l’actualité nous
laissant un peu de répit,
l’occasion est propice pour mieux faire connaître ces pilotes, lesquels, très souvent - pour ne pas dire
trop souvent - sont mis sur la sellette.
Le monde des navigants a
sa mystique particulière,
son propre langage. Pour connaître
les problèmes qui
s'attachent au transport aérien,
il faut soit avoir vécu,
soi-même, l'aventure aérienne, soit être disposé à
rechercher les informations et essayer de comprendre la psychologie des
différents intervenants (a).
L'initiation au métier de navigant est lente,
progressive et naturelle. Elle ne nécessite
aucune épreuve particulière, mais elle est jalonnée des spécificités du métier : remise en cause de leur métier
à la suite de divers contrôles ; éloignement de la famille ; nuits
blanches ; fatigue due aux changements rapides de climat et de
longitude, aux longs vols, aux vols de nuits, au décalage horaire ; tous éléments
qui bouleversent le rythme de la vie.
Ces contraintes sont
admises par les pilotes. Les décrire
ne correspond pas à
entonner la "complainte du pauvre pilote", mais, simplement, à tenter de mieux faire connaître la psychologie du pilote de
ligne, dont je proposerai, ci-après,
cinq composantes.
En premier lieu, il
convient d'insister sur la solitude du Commandant de bord. Son titre
confère à sa fonction des caractères d'austérité
et de prestige qui influencent directement les relations individuelles, à l'intérieur du groupe que constitue l'équipage.
Le Commandant de bord -
"leader" de l'équipage -
est, psychologiquement, beaucoup plus seul et isolé que ne l'est son collègue militaire, lié et intégré
à son groupe d'action et de
travail dont il est étroitement
et même vitalement solidaire
: patrouille, escadrille, escadre. En effet, dans l'aviation civile, à part les heures de vol, pendant
lesquelles il y a réellement
un travail d'équipe, il ne
se trouve guère d'occasions
permettant aux navigants de former un groupe homogène. Il n'y a pas de vie d'aéroport, comme il existe, chez
les militaires, une vie de "base" ou de "groupe" avec ses bureaux opérationnels, ses popotes, ses
salles de "briefing". Ces conditions permettent une unité fonctionnelle où se créent et s'élaborent, une communauté, une dynamique de groupe et
tout un système de relations
inter-individuelles polarisées
par son "leader". Même s'il y
a une attente prolongée sur
le terrain, le temps passé
n'est pas forcément stérile, comme sont vécues et ressenties ces "heures
de ciment", subies sur les aéroports
par les navigants civils, entre deux vols, ou lorsque l'avion est retardé.
En effet, bien différent est le climat psychologique
dans lequel travaillent les navigants civils. Le Commandant arrive deux
heures avant le décollage.
Il ignore, parfois, jusqu'à
ce moment, la composition de son équipage
qui varie, pratiquement, à
chaque voyage, ou même à certaines escales. Les échanges paraissent
être réduits
aux heures de travail aérien
et centrés sur lui.
Aux escales, où ils séjournent un certain temps, les
navigants se dispersent le plus souvent, au gré de leurs relations
personnelles, ou s'isolent, très
souvent, dans leur chambre d'hôtel
afin d'être en forme pour le
prochain départ.
Les temps de repos sont
de plus en plus réduits et
il existe de plus en plus d’escales dans lesquelles, après un vol de 9 heures, le temps
de repos dont dispose l'équipage,
entre l'arrivée au parking
de l'avion et le prochain départ,
est de 11 heures. En déduisant
(pour l'aller et le retour) le temps de chargement des bagages, le
transport jusqu'à l'hôtel, la prise d'une collation, le
temps restant disponible pour dormir n'est que de 6 heures. Encore
faut-il pouvoir dormir "sur commande" !
Quant aux relations avec
les passagers, elles existent très
peu sur les avions actuels, les pilotes (surtout avec les équipages actuels
à deux) restent assis à leur poste et les visites de
courtoisie, tant appréciées des passagers, sont de plus
en plus rares, surtout dans les compagnies américaines. Les visites au poste
de pilotage sont désormais
interdites, voire strictement réglementées. Les pilotes sont donc coupés, effectivement, de l'objet de
leur fonction : transporter des passagers. Ils peuvent en arriver à ignorer même l’existence de ceux dont ils
ont la charge physique et vitale. Les passagers ne sont plus, pour eux,
que des témoins invisibles.
Les pilotes constituent,
eux-mêmes, un milieu très hétérogène
et individualisé, que la
participation à des intérêts
et des goûts communs n'a pas réussi à façonner,
suivant une formule commune. En effet, aussi bien par leur origine
sociale que par leur formation intellectuelle et culturelle de base,
leurs personnalités peuvent
différer, entre elles,
profondément.
Le recrutement présente d'ailleurs, classiquement,
un éventail très ouvert (b), d'où des personnalités variées correspondant
à autant de systèmes de valeurs.
Plus difficiles
deviennent aussi les possibilités
d'adaptation à de nouvelles
formes d'existence ou d'activité,
quand des faits imprévus ou
une évolution nécessaire tendent à modifier un ordre établi. On s'aperçoit, ici
également, que dans certaines
circonstances difficiles, les satisfactions matérielles du pilote, pouvant
quelques fois être apportées par le métier, n'épuisent pas et n'équilibrent pas forcément ses problèmes humains, affectifs et
relationnels.
Maître d'un domaine limité et instable, mais représentant un très important potentiel humain,
objet d'identification concrète
de son équipage et de ses
passagers, mais finalement isolé
et réduit dans ses échanges immédiats, le Commandant de bord
n'est ni un abstrait, ni un surhomme.
Son équilibre réclame que, lui aussi, soit "pris
en charge" et qu'il puisse participer et s'ouvrir à d'autres systèmes de compréhension lui permettant, en
particulier, d'avoir une notion plus éclairée et plus synthétique de sa fonction.
La relation avec le
monde organisé de son
travail est, à son égard, très importante, car il doit
sentir, à ce sujet, la
permanence d'un dialogue qui ne pourra s'instaurer que dans un climat
paisible et constructif. Cette continuité
serait, de toute évidence, bénéfique
pour tous, en particulier, pour le rendement des navigants. En effet,
car plus un sujet participe à
des niveaux d'intégration
variés, plus il se trouve
protégé contre les modifications de sa
propre organisation et contre les troubles de l'adaptation qui en résultent.
Finalement, il faut
admettre qu'à ce sujet, des
progrès très importants restent à faire, car, pourrait-on dire,
on est "loin du compte".
Les équipages procèdent systématiquement
à une auto-critique qui se base
sur certaines normes dont ils sont tributaires, généralement,
appelées règles d'éthiques. Règles qui s'imposent à tous ceux qui ont une certaine
élévation
morale et qui leur servent de guide tout au long de leur vie
professionnelle. La considération
qu'une profession peut avoir, dépend
de ces règles et de la
rectitude de leur observation. Le code d'éthique
doit exprimer la fierté du
groupe.
Ainsi, les Commandants
de bord sont des professionnels qui s'imposent une discipline propre.
Il est vrai que, régulièrement,
ils subissent des contrôles
de toute nature (c) : c'est la mise en vigueur d'une discipline
normale.
Mais, les vols en ligne
sont plus nombreux que les vols de contrôle
: le standard est donc maintenu, par les seuls efforts des pilotes,
eux-mêmes.
Quant aux copilotes, il
est bon de préciser qu’ils
ont la même qualification
technique que les Commandants de bord. Certes, ils travaillent sous
leur contrôle direct et
constant, mais, pour plusieurs raisons, cette autorité est plus un enseignement qu'une
discipline. Cela tient au fait qu'un équipage
travaille bien avec un esprit d'équipe
et mal dans une atmosphère
de contrainte, de tension.
Egalement, du fait que
les copilotes sont - eux aussi - des pilotes appelés à
devenir Commandants de bord et qu'ils doivent, à ce titre, s'habituer, de bonne
heure, à s'imposer une
discipline.
Ainsi, les pilotes de
ligne font eux-mêmes leur
propre discipline et ressentent le besoin d'un standard moral, pour
rendre leurs efforts profitables et efficients.
Aucun travail ne peut être apprécié
si l'on n'en retire pas une certaine fierté
(ne pas confondre avec orgueil ou prétention).
Les aviateurs forment une population - unique et distincte à la fois - d'hommes sélectionnés, non seulement en raison de
leur santé, mais également pour leur instruction,
leur contrôle émotionnel et leur jugement.
Ce sont eux qui ont le
privilège de mettre en
oeuvre les rêves, puis les réalisations des ingénieurs et de faire voler les
avions, objectif auquel tous les autres personnels de l'entreprise ont
oeuvré, en amont. Ils
offrent ainsi au public le moyen de transport le plus rapide, le plus
confortable et le plus satisfaisant que le monde ait jamais connu.
Situation qu'un homme peut occuper avec une réelle fierté.
Les buts de la
profession de navigant sont très
simples à résumer. Il s'agit de piloter un
appareil portant une charge marchande payante en passagers et en fret,
d'un point à un autre, le
plus rapidement possible, avec sécurité, ponctualité et confort, tout en respectant
certaines règles.
Pour atteindre ces buts,
il faut une intelligence et un jugement sain, permettant d'avoir
toujours conscience de certaines limites, à
ne pas dépasser.
Tout pilote a fait l'expérience de situations où il
était
préférable de faire demi-tour ou
encore atterrir sur le premier terrain praticable que d'essayer de
continuer le vol. Cette solution qui semble la plus facile demande,
pourtant, un effort certain du Commandant, qui recherchera systématiquement toutes les solutions
lui permettant de continuer le vol.
Pour faire son choix définitif, le pilote doit rester
conscient de ces deux exigences, souvent contradictoires: la sécurité
et le rendement.
Il est des moments où la situation devient critique
et où le pilote se trouve
face à un danger grave et
immédiat.
Unissant simultanément ses réflexes, son expérience, son habileté, sa fermeté de caractère et son savoir-faire, il contrôlera ses
émotions et sa peur éventuelle.
Parce qu'il a été
choisi en fonction de l'éventualité d'une telle situation, il agira
de façon correcte et luttera
aussi longtemps que nécessaire,
aussi longtemps qu'il le pourra, pour écarter
le danger.
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En ce qui concerne le comportement des équipages, le moment est venu
d'insister sur le fait que seul un climat de confiance au sein de
l'entreprise est propice à
une indispensable sérénité,
pour exercer ce métier, à haute responsabilité.
Lorsque le climat se détériore,
les effets pernicieux qui en découlent
ne vont pas, de toute évidence,
dans le sens d'une amélioration
de la sécurité.
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(a).- Pour plus de détails, consulter l’ouvrage du
Commandant Michel Jouanneaux "Le pilote est toujours devant -
Reconnaissance de l’activité
du pilote de ligne" - Octarès
Edition Toulouse - 1999.
(b).- Il existe trois principales
sources : les pilotes dont la formation théorique
a été faite à l’ENAC (Ecole Nationale de
l’Aviation Civile) ; les pilotes militaires en fin de contrat ; les
pilotes issus des aéro clubs
et ayant acquis - à leurs
frais - une formation dans différentes écoles en France ou à l’étranger.
(c).- Contrôles médicaux
semestriels ; contrôles sur
simulateur et en vol ; contrôles à l’issue de divers stages,...