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Aussi  La Postale de Nuit BY HUGH SCANLAN Fight International, 17 December 1964  




De la beauté, de l’amour, de l'humour, de la rigueur, du beau travail… écrit par un sujet britannique.
Dans l’article qui suit vous aurez l’ambiance qui régnait à la Postale à cette période. Vous y verrez comment il était possible de se poser zéro-zéro et que sur 10389 atterrissages en 1961, il n’y eut que 8 déroutements cause météo (orages et brouillard)  
Les anciens auront du boum au coeur en le lisant...  
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Extrait de SHELL AVIATION NEWS No 295, écrit en 1962.      Par HUGH SCANLAN 





Cet article est le récit d'un vol effectué par mauvais temps à bord d'un appareil du Centre d'Exploitation Postal de la Compagnie Air France. Ce centre est l'organisme qui assure de nuit un réseau de lignes permettant au Ministère des Postes d'acheminer régulièrement, chaque nuit, la plus grande partie du courrier posté dans la journée.

Monsieur est servi !


LE VASTE hangar du Centre d'Exploitation Postal, dont le sol, d'une superficie de près d'un demi-hectare, avait été fraîchement balayé, était vide à l'exception toutefois, d'un DC-3 sur vérins, en petite visite. Toute proche, une grande ouverture grillagée déversait des tonnes d'air chaud, tandis que quelques mécaniciens vêtus de combinaisons bleu clair immaculées assuraient le service de nuit.
Au-delà des énormes portes roulantes, c'était une douce nuit d'Octobre, sur laquelle se détachait, dans la lumière argentée des projecteurs, la masse imposante de l'un des deux DC-4 du Centre. M. Bernard Gagey, Directeur du CEP, le désigna d'un mouvement de tête. "C'est celui de la ligne Marseille /Nice", dit-il." Il part dans..." et consultant sa montre poursuivie, ",..dans une heure exactement, à 23 h 15. Il passera la journée de demain à Nice pour revenir ici aux premières heures de Mercredi. Il y a beaucoup de place dans le poste de pilotage, et vous serez bien placé pour tout voir".
Tout était donc pour le mieux. il restait en outre assez de temps pour aller jusqu'à la Météo étudier les conditions atmosphériques. Je crus discerner une ombre de déception sur le visage expressif de mon guide, tandis qu'il étudiait la carte météorologique. Une zone de haute pression, centrée sur la Mer du Nord, se déplaçait rapidement, avec un gradient de pression très peu accentué et descendait vers le sud jusqu'à la Côte d'Azur, or je savais qu'il aurait désiré que je rencontrasse du temps réellement mauvais pour ce voyage.
Le service de la poste aérienne a, en France, des traditions de fierté et d'audace qui ont été établies depuis 1919 par St Exupéry et d'autres hommes de sa trempe. Si vous habitez une petite localité comme Feignies, dans le Nord, vous pouvez poster le soir une lettre à destination d'une autre localité aussi éloignée que Font-Romeu, par exemple, qui se trouve à 1.200 km de là dans les Pyrénées Orientales et vous êtes sûr que, même par le brouillard ou la tempête, elle sera distribuée le lendemain matin avant 9 h 30. D'aucuns vous diront que les équipages de la Postale ne consultent la Météo que par pure forme, puisqu'ils partent de toute manière et, quoique cela ne soit pas absolument exact, le genre d'exploitation qu'ils assurent est sans doute unique dans l'aviation commerciale actuelle. Sur 10.389 atterrissages de nuit prévus en 1961, 23 seulement n'ont pas été effectués sur l'aérodrome de destination prévu, et sur ce chiffre, 8 seulement ont été déroutés pour des causes météorologiques.
En tant que client, le Ministère des Postes, exige le maximum de régularité et de ponctualité par tous les temps, et il les obtient. La régularité s'établit en effet aux alentours de 99,87% En lisant les chroniqueurs de l'épopée de la Postale, on a l'impression que les équipages sont soigneusement sélectionnés et consacrent toute leur carrière de navigants à cette activité; mais il n'en est plus rien, car en fait maintenant ce sont pour la plupart des jeunes équipages d'Air France, qui complètent leur cycle d'entraînement par un stage de deux ans à la Postale. On est également impressionné par l'atmosphère familiale qui est due en grande partie au fait que le personnel au sol, qui compte quelque soixante membres, coexiste en permanence avec les navigants, et que chacun s'ingénie à contribuer au succès de tous.
Mon DC-4 assurait le vol Postal 1021, et les derniers des lourds sacs postaux, sortis d'une de ces camionnettes spéciales, s'élevaient jusqu'à l'avion grâce à un transporteur à bande sans fin. Encore vingt minutes avant le départ. Le décor nocturne était fait du mélange de la douce lumière blanche des projecteurs, du bleu et du gris métallique de l'avion, et du tapis blanc de l'aire d'embarquement aux contours géométriques. Sous notre avion, une troupe bon enfant et une animation enjouée: tous semblent se connaître et l'on serre les mains à la ronde. Un groupe de parc ronronne sous l'ouverture béante du logement de train avant. Le Commandant de Bord, rongeant visiblement son frein, jette un regard inquisiteur du haut de l'escabeau ; notre équipe au sol, attentive à ses instructions, est constituée par le personnel du hangar lui-même, vêtu lui aussi de " bleus " fraîchement nettoyés.
Stationnés par rangées en arc de cercle, les douze DC-3 clé la flotte sont en cours de chargement on réchauffent leurs moteurs dans un contraste d'ombres et de lumières. Ces appareils sont tous équipés du système de surpuissance qui leur permet d'avoir un poids total au décollage de 12.700 kg ; l'un d'entre eux, emportant du courrier pour Toulouse via Lyon et Montpellier, se dégage de l'alignement et passe doucement devant nous en se balançant sur ses jambes de train carénées, ses tuyauteries d'échappement modifiées émettant un grondement assourdi. Tandis qu'il vire, l'effet stroboscopique des projecteurs fluorescents donne l'impression que le disque des hélices bleu acier à bouts jaunes s'arrête, puis tourne en sens inverse transformé en hélice à six pales.
A côté de nous est parqué le DC-3 qui va bientôt s'envoler pour Pau, via Bordeaux et Toulouse, plus loin on charge celui de Brest via Rennes, puis encore un autre, rentré il y a une demi-heure à peine du bref service Paris-Lille et retour, qui va repartir pour Strasbourg avec escale à Bâle-Mulhouse. Les uns et les autres desservent régulièrement quinze villes, transportant chaque nuit quelque 60 tonnes de courrier, et tous les avions ont fini leur service au plus tard à quatre heures du matin.
Je suis alors monté sur le haut escabeau branlant, et j'ai franchi le pas qui le séparait de l'appareil ; la porte fut fermée. Il y avait effectivement une bonne place pour un passager dans l'espace vide séparant la cloison de la première soute et le poste de pilotage proprement dit.
Le Commandant de Bord, le co-pilote et le mécanicien étaient en train d'exécuter la check-list avant démarrage, je m'assis sur un siège à l'écart pour ne pas les gêner. L'équipage à trois est standardisé sur tous les avions de la Postale, ainsi que toutes les check-lists et procédures et quand cela est possible, les instruments de bord. Les équipages passent du DC-3 au DC-4 assez fréquemment, aussi les planches de bord des deux types d'avions ont-elles été rendues aussi semblables que possible.
Des lampes témoins clignotaient et s'atténuaient, des moteurs électriques ronronnaient avec frénésie, puis un grondement se fit entendre, accompagné d'un épais nuage de fumée ; une à une les hélices Hamilton se mirent à tourner par saccades, puis leur rotation devint régulière, et peu après, le F-BFCQ, ses feux de position clignotant et ses hélices semblables à des disques scintillants, roulait majestueusement sur le tapis des lueurs bleues de la voie de circulation. je me fis la réflexion que quelqu'un devrait écrire un poème sur les feux de balisage des voies de circulation d'un aéroport.
A 23 h 05 exactement, nous avons marqué imperceptiblement l'arrêt à l'entrée de la Piste 21 (que le Contrôle s'efforce toujours de donner aux avions de la Postale car c'est celle qui est le plus près de leur aire de stationnement), avant de procéder au point fixe. Le mécanicien avait rabattu son siège entre les deux pilotes et effectuait avec eux le contrôle systématique de multitudes de boutons et de manettes, passant rapidement d'un interrupteur à un autre sur le panneau de plafond, comme un organiste de cinéma, sélection des magnétos, manœuvre du dispositif de changement de pas des hélices, tous les gestes vitaux clé la longue liste se succédaient : enfin, à 23 h 15 précises, l'avion s'aligna sur la piste, le pilote lâcha les freins, et nous partîmes.
Le décollage fut très rapide. La poste est un fret de densité plutôt faible -le facteur de charge de la Postale fut en moyenne l'année dernière de 73 % en poids- et quoique les compartiments grillagés de la cabine derrière nous fussent remplis jusqu'au plafond, notre poids total n'était que de 28.200 kg, Un grondement assourdissant accompagna la vigoureuse accélération : à 100 km/h le pilote dégagea la roue avant, à 145 il effectua la rotation et à 175, nous étions en l'air, tandis que les plots au sodium ralentissaient et disparaissaient sous nous, remplacés bientôt par le scintillement de toute la banlieue parisienne. Les lampes témoins du train d'atterrissage passèrent du vert au rouge, on entendit le choc sourd de la roue avant rentrant dans son logement, cependant qu'une légère odeur de brûlé, provoquée par le frottement du pneu contre ses patins de freinage, parvenait jusqu'à nous. Le mécanicien ramena les moteurs à la puissance de montée, l’œil fixé sur le synchroscope et manipulant délicatement les leviers de pas des hélices extrêmes ce qui eut pour conséquence de remplacer le grondement par des battements rythmés, puis par un ronronnement égal.
Avec un badin a 255 km / h et un vario à 4 m/s le Douglas continuait vivement à monter en direction de la balise Paris Est, notre premier point de report, pour survoler ensuite le point de contrôle de la Zone Terminale de Paris à Bray. A l'extérieur, le ciel était d'un noir d'encre. De temps à autre, loin en dessous de nous, apparaissait une lumière isolée, brillante comme un joyau, Sur la gauche, je distinguais sur la nacelle extérieure le tremblotement bleu-argent du reflet des flammes d'échappement.
Le poste de pilotage, avec ses trois occupants était le centre de toute l'activité à bord. Quel sujet pour un peintre! Lorsqu'on pilote soi-même de nuit, comme cela m'arrive parfois avec des bimoteurs légers, on est trop absorbé par les exigences du matériel pour pouvoir s'occuper du pittoresque; mais je pouvais maintenant goûter ce spectacle saisissant, auquel participaient le léger sifflement du chauffage, les graduations et les aiguilles blanches des instruments se détachant sur le fond noir des cadrans dans la lumière rouge de l'éclairage d'ambiance et, sur le panneau central, les rangées d'indicateurs moteurs faiblement illuminées. Sur l'auvent brillaient les indicateurs et les sélecteurs des VOR No1 et No2. Comme dans tout appareil de cette taille, il y avait des quantités de cadrans et le pylône était tout hérissé, dans la pénombre, de leviers et de manettes. Surmontant le tout, le panneau de plafond laissait voir des rangées de thermomètres et de manomètres brillamment éclairés en orange et, derrière eux, encore des rangs et des rangs d'interrupteurs et de disjoncteurs.
Deux ou trois couches de stratus vinrent à la rencontre de notre pare-brise, mais par ailleurs la nuit était parfaite et le ciel très calme. Au moment où ce vol avait été projeté, j'avais eu vaguement l'espoir de rencontrer un temps affreux, pour pouvoir écrire un récit plus attrayant ; mais maintenant, à bord de ce grand et rassurant autobus de l'air, parfaitement stable et aux moteurs harmonieusement synchronisés, je me trouvais tout à fait satisfait qu'il en soit ainsi. je ne m'attendais guère alors à ce que nous réservait l'arrivée à Lyon, notre première escale.
Le mécanicien venait juste de replier son siège et m'offrait sa place. L'équipage avait déjà affronté des temps passablement mauvais et faisait toujours équipe chaque fois que c'était possible. Notre Commandant de Bord, homme de grande taille, d'aspect pondéré, au fin visage spirituel, avait reçu sa formation de base aux Etats-Unis et parlait un anglais parfait avec un accent américain; le co-pilote, trapu et brun, était plutôt timide, quant au mécanicien, c'était un fort gaillard blond au visage rieur qui avait terriblement le sens du ridicule. On aurait difficilement pu trouver un trio plus détendu et plus alerte. Ils n'élevaient jamais la voix, et ils réduisaient le trafic radio au minimum, comme des chasseurs.
Sous la lumière atténuée, nous étudiâmes les cartes de radio-navigation et le Commandant m'expliqua la situation.  "Voilà Auxerre" dit-il en montrant loin au-dessous de nous un scintillement de lumières sur la droite. "Nous ne suivons pas les routes aériennes, comme vous le voyez, nous pointons directement sur Lyon".
Ce point était intéressant. La route classique pour Lyon est soit vers l'est par les routes Amber 1 et Amber 6 via Dijon, soit plein sud par Amber 2 jusqu'à Moulins où l'on vire sur la Red 25. Mais il y a un accord entre le Contrôle de la Circulation Aérienne et la Postale de Nuit grâce auquel, chaque fois que les conditions le permettent (ce qui est généralement le cas car les gens de la Postale volent tard, à un moment où le trafic est ralenti), on donne à ces derniers un itinéraire direct permettant de gagner du temps et de respecter l'horaire aussi rigoureusement que possible. En conformité avec cette procédure, la Postale a donc ses propres cartes de radio-navigation imprimées spécialement pour elle par Air France, Ces cartes indiquent les routes directes, ainsi que les villes pouvant servir pour le repérage visuel dans les régions où l'infrastructure radio est clairsemée. Sur notre itinéraire particulier, c'étaient Auxerre, Avallon et Autun. La durée moyenne des étapes sur l'ensemble du réseau de la Postale est faible - 75 minutes - mais sur chaque segment, les équipages pratiquent avec beaucoup d'exactitude la navigation à l'estime, contrôlée par les auxiliaires précieux que sont entre autres les radiales VOR.
Peu avant de nous signaler par le travers de Moulins, nous captâmes une prévision météo de Genève, dont la FIR est toute proche, donnant pour Lyon une visibilité de 1.600 m, tombant jusqu'à 1.000 m avec ciel clair. C'était parfait, quoique j'eusse pu facilement me satisfaire d'un peu plus. Minuit. Encore trois-quarts d'heure avant que nous ne commencions notre approche : il était temps que j'aille jeter un coup d’œil sur notre chargement.
La soute se présentait sous l'aspect de 12 m de couples et de lisses, non insonorisés, tout proches les uns des autres et recouverts de peinture d'aluminium, avec sept cellules grillagées d'alliage léger non protégé sur chaque côté. Empilés dans ces cellules et retenus par des filets de fortes sangles de toile, s'amoncelaient les innombrables sacs postaux marrons, et au-dessus de chaque cellule, une plaque indiquait le nom des villes destinatrices, Toulouse, Montpellier, Lyon‑Ville... L'endroit était froid et rébarbatif, désert et bruyant avec son plancher nu, et il y flottait une odeur élémentaire et fade de métal glacé.
Nous traversâmes brusquement des turbulences, et l'appareil se mit à frémir, montant et descendant. Me cramponnant au flanc d'un sac postal, sentant sous mes doigts à travers la rude toile, des bosses, des objets minces et des formes bizarres, je regagnai l'avant en titubant. Près de la porte du poste, l'air devenait imperceptiblement plus chaud et se chargeait d'une accueillante odeur de tabac français , le Commandant avait allumé un mince et long cigare. L'allumage du phare de nez révélait des rangs de nuages se précipitant vers le pare-brise, mais ce n'était que local et nous ne tardâmes pas à nous retrouver en ciel clair.
Cette heureuse situation n'était malheureusement que temporaire. L'équipage hélas, avait de bonnes nouvelles pour moi , je lisais sur leurs visages. Comme nous approchions de Mâcon, invisible, Lyon avait annoncé 300 m de visibilité avec 6o m de plafond et tendance à l'aggravation rapide. Mon Dieu, me dis-je, cette fois, ça y est. C'était déjà la moitié des minima acceptables pour les vols passagers, et ça allait empirer. Il semblait égale­ment que l'équipage se contentât des minima en matière d'aides à la navigation: deux VHF, deux VOR, deux radio-compas, les ILS, les récepteurs de balises et un radio-altimètre. En s'alignant sur la radiale à 180° du VOR de Lyon, nous réduisîmes la pression d'admission à 28 pouces et commençâmes notre descente.
A ce moment, en nous penchant en avant dans la zone chaude au-dessus de la vaste planche de bord toute illuminée, nous pouvions apercevoir le feu de balisage au sommet du Mont Cindre, tout entouré de brouillard effiloché en écharpes d'un blanc laiteux sur la campagne. Lyon-Ville formait une tache légèrement plus pâle. Nous avions en dessous de nous le DC-3 de la Postale venant de Montpellier et faisant sa deuxième tentative d'atterrissage:  il signalait que la visibilité était maintenant tombée à 100 m, et qu'elle continuait à baisser. "Voilà, Monsieur", s'exclama mon ami le mécanicien, se tournant vers moi avec un large sourire, "Vous êtes servi, Brouillard".
Quelque part, caché. en dessous se trouvait l'aéroport. Nous suivîmes en sens inverse le faisceau de l'ILS, relevant les balises à mesure que nous nous éloignions de la piste, puis nous commençâmes notre virage de procédure pour revenir sur l'ILS de la façon habituelle. Lentement, très lentement, l'aiguille du localizer reprit la position verticale : les compensateurs de gouvernes furent réglés an début de l'approche, et l'équipage se prépara à l'action. Tandis que le bruit du verrouillage du train se faisait entendre, j'avais demandé au Commandant s'il préférait que je me tienne à l'écart, et il m'avait répondu avec le sourire "Evidemment si vous restez là debout, ce serait impossible".
Le Centre d'Exploitation Postal pose, à l'intention de ses équipages, deux principes hautement logiques et probablement uniques en leur genre pour les cas où l'avion rencontre du mauvais temps. Le courrier doit passer: l'opiniâtreté et la volonté de réussir sont essentielles. En conséquence, et dans les limites imposées par les règlements de sécurité, les équipages prennent seuls la décision correspondant à une situation donnée et vont jusque-là où ils estiment que leur compétence le justifie. Ils sont conscients, en agissant de la sorte, du fait qu'ils n'ont pas à avoir la préoccupation des dégâts légers que pourrait subir leur machine, car ils n'en seront pas systématiquement tenus pour responsables. Peut être à cause de cette liberté d'esprit, le taux des accidents est merveilleusement bas, un seul accident grave au cours des quinze dernières années.
Le pilotage dans les conditions minimales a fait l'objet d'études très poussées de la part de la Postale, et il en est résulté une procédure qui, quoique standardisée, est très souple. Il est assez étonnant de noter qu'il n'existe aucune formation synthétique; la remarquable coordination entre les membres de l'équipage est obtenue par la pratique et par l'application constante de la procédure quel que soit le temps.
Chaque équipage accomplit quelque 50 atterrissages par an avec visibilité horizontale de 150 m ou moins. Chacun de ces atterrissages suit ce que l'on pourrait appeler le concept des minima sélectifs; la combinaison de la procédure et de l'expérience permet de réduire les limites jusqu'auxquelles on peut descendre, et il en résulte un rétrécissement de la marge séparant ce qui est généralement considéré comme acceptable et ce qui peut effectivement être réalisé. Ce fut pour moi une expérience extraordinaire que d'assister à l'application de ce concept, et de voir avec quelle facilité chacun des membres de l'équipe peut lire les pensées des deux autres.
Suivant la procédure normale, c'est le Commandant de Bord qui pilote en observant l’ILS, tandis que le co-pilote vérifie le temps écoulé entre les balises et relève les repères visuels. Le mécanicien sort le train, règle les puissances des moteurs et, ce qui constitue un élément essentiel de l'opération, annonce l'altitude fournie par la sonde altimètrique tous les dix pieds. L'utilisation systématique du Radio-Altimètre par tous les temps est une particularité intéressante des procédures de la Postale.
Si la visibilité réduite exclut une percée normale, on procède à ce que l'on appelle une présentation: ce sont des passages à la vitesse d'approche finale, à puissance constante, et à basse altitude, qui sont poursuivis en vol horizontal si aucun contact visuel avec le sol n'a pu être établi. Cependant, si l'on peut distinguer le halo des feux d'approche, la descente continue ; si elle a été interrompue, elle est poursuivie lorsque le halo est visible. L'atterrissage n'est entrepris que s'il y a unanimité entre les membres de l'équipage sur l'identification des feux et en particulier ceux du seuil de piste. S'ils peuvent se poser au cours de la première présentation, ils le font évidemment. Le but recherché au moment délicat et précis où est réalisé le contact visuel est de ne manœuvrer l'appareil qu'au minimum, et le CEP a donc entrepris des essais d'atterrissage très poussés lorsque les DC-4 furent mis en service pour déterminer les puissances moteurs et l'angle de braquage des volets pour lesquels l'arrondi est minimum. Avec le braquage finalement retenu, 25°, la rotation entre l'incidence d'approche et l'attitude de l'avion au sol ne correspond guère qu'à deux fois la largeur de la barre d'horizon de l'horizon artificiel.
Lyon est mal située, au fond d'une cuvette dont les bords sont élevés et hérissés de sommets. Le DC-3 qui nous précédait avait repris le chemin de Paris, en signalant que la visibilité n'était que de 80 m à peine. Pour nous encourager, la tour ajouta que son passage avait peut-être dissipé le brouillard pour nous faciliter l'arrivée... "Ah", dit le mécanicien, "dans un DC-3, on peut se poser en zéro-zéro". Puis, se tournant vers moi - "Voyez-vous la piste, Monsieur?" Non je ne la voyais pas. Si, peut-être, une faible lueur orange de la grandeur de la main.
"Volets". Les volets sortent de 15° le plancher s'enfonce, et je prends des notes un genou au sol. Vitesse 255 km/h, descente à 1,5 m/s. La turbulence augmente légèrement... faut-il en éprouver quelque inquiétude, ou est-ce moi qui m'affole? La lampe-témoin de la balise extérieure commence à clignoter -légère inclinaison à gauche, vitesse 210. Le pilote compense délicatement. Je n'ai pas encore vu le terrain pendant une seule seconde. Les volets sont maintenant à la position maximum pour la présentation -25°- on augmente la puissance et on compense à nouveau pour une vitesse de 185 km/h. Le vrombissement des quatre moteurs devient plus insistant et l'appareil se balance doucement, comme s'il était en équilibre sur une tête d'épingle. Le mécanicien se penche en avant et met les hélices au petit pas, le pilote envoie un coup de phare très bref pour apprécier la qualité du brouillard. Le pinceau blanc se heurte à un banc épais et horizontal qui nous barre la route à 30 m en dessous de nous.
Notre altitude est maintenant passablement faible. L'aiguille de la trajectoire de descente de l'ILS est bien horizontale, l'aiguille verticale oscille légèrement. Le faisceau est visiblement dévié à cet endroit. "Quatre cents pieds" annonce le mécanicien. "Vingt-deux" répond calmement le pilote, et la pression d'admission redescend à 22 pouces... Nous y sommes, nous traversons un épais brouillard orange, comme si nous volions dans un bas de laine. La différence de couleur de l'atmosphère provoquée par les feux au sodium est à peine sensible, mais elle s'accentue maintenant.
"Cent quarante pieds" annonce le mécanicien lisant le radio-altimètre, "cent trente, cent vingt, cent dix..." -"Vingt-trois " demande le pilote.
"Quatre-vingt dix, quatre-vingt, soixante-dix... Soixante-dix pieds!"
Quelque chose de brillant passe rapidement sous nous. 

Remise des gaz!
C'est affolant. Les moteurs accélèrent, le train rentre. Le bruit devient intense, et nous grimpons sous l'angle maximum, avec un palier à la fin qui divise mon poids par deux. Il y a, quelque part devant nous, quelques hautes cheminées. Il règne dans le poste de pilotage une atmosphère aussi calme et compétente que dans une salle d'opérations... à 41 pouces d'admission et 2.5oo t/m, nous remontons à 600 m, où l'équipage fait une rapide analyse de la situation.
Qu'est-ce que chacun a vu? Le pilote a identifié les feux verts d'entrée de piste, mais seulement en descendant jusqu'à 70 pieds. J'avais là un bel exemple de l'entente tacite entre les membres de l'équipage ; ils avaient prévu une présentation à 100 pieds, mais à partir du moment où personne n'avait rien aperçu à cette altitude, aucune parole n'avait été nécessaire pour que l'accord se fît sur une nouvelle tactique. Le Commandant de Bord avait repéré un plot au sodium, mais il avait trouvé que nous étions trop hauts pour tenter un changement d'attitude sur repères visuels. Le mécanicien n'avait rien vu du tout, mais sa voix n'avait trahi aucune anxiété tandis que l'avion descendait au-dessous de l'altitude prévue. Il savait très bien ce que le Commandant avait en tête.

Deuxième approche
. Le pilote décide d'exécuter une présentation à 50 pieds. La tactique est modifiée en conséquence : tenant compte du rôle d'entraînement sur place que doit constituer chaque phase du travail de la Postale, il confie la surveillance de l'ILS et là commande des puissances moteurs et du braquage des volets au co-pilote, tandis qu'il se charge du pilotage en contact visuel. Ils se remettent au travail, avant pris pleinement conscience de leurs rôles respectifs. Nous voilà à nouveau en virage de procédure pour une nouvelle tentative.
Les moteurs ronronnent régulièrement, le train est sorti et verrouillé. Le co-pilote a suspendu un écran au-dessus du tableau de bord de son côté, pour ne pas être distrait par quoi que ce soit à l'extérieur lorsque les choses vont devenir intéressantes. L'aiguille de la trajectoire de descente regagne lentement l'horizontale - la puissance est réduite légèrement et la vitesse de descente est stabilisée. Où diable se trouve donc la piste? La concentration est si intense qu'elle est presque palpable, et j'éprouve un sentiment de culpabilité à rester inactif.

En bas, quelques lumières isolées, au ciel, les étoiles.. Le brouillard s'étire en longues bandes blanches sur la campagne invisible dans l'obscurité, quoiqu'on distingue par-ci, par-là quelques îlots sans brouillard. Derrière le pare-brise, il n'y a qu'un néant sombre dont le vide est décourageant.
Hé, voilà la piste, droit devant ! Je ne la reconnais que parce qu'on me la montre, petite tache terne d'un jaune pâle. La rapidité avec laquelle la situation évolue tandis que le Douglas s'enfonce dans le "coton" a quelque chose d'inquiétant.
Maintenant, on ne voit plus rien du tout. Il n'y a plus que les chiffres roses des instruments, les voix pensives annonçant les régimes et les altitudes, tandis que défilent rapidement les dizaines de pieds...
"Laissez-là, ne corrigez plus".
"Soixante-dix, soixante, cinquante,cinquante..."  "augmentez la puissance"; l'espace d'un instant, j'ai pu reconnaître un feu au sodium !

La deuxième remise des gaz
s'effectua dans un vacarme assourdissant ; une seconde plus tard, la piste était à nouveau perdue dans le brouillard et je regagnai mon siège en titubant sur le plancher en pente.
Les jambes molles, je remarquai les phares d'une voiture sur une grande route au-dessous de nous, là, au moins, il n'y avait pas de brouillard. Est-ce que tout cela avait été organisé spécialement à mon intention? Pourrions nous jamais arriver à poser ce sacré «taxi"? Aucun des membres de l'équipage, aussi impassibles que s'ils avaient goûté le bouquet d'un vin rare, ne semblait avoir le moindre doute à ce sujet.
Nous pourrions certainement croire sur parole au renom de la Postale et pousser jusqu'à Marseille. Nous avions du carburant à revendre, car nous avions quitté Paris avec 7,730 litres et cet engin ne devait guère consommer plus de 950 litres à l'heure.
L'analyse de la seconde approche montre que nous étions un peu à gauche du faisceau, et trop haut. Personne n'a vu cette fois les feux d'entrée de piste. La piste n'est pas tellement longue, m'explique le Commandant 1.800 m et il faut être placé avant l'arrondi.
La visibilité n'est plus maintenant que de 50 m, avec un plafond de 15 m : suivre l'ILS et commander les réglages, c'est visiblement plus que ne peut faire un seul homme dans ces conditions ; aussi les responsabilités vont-elles être réparties autrement pour notre prochaine approche. Le co-pilote s'occupera uniquement de l'ILS tandis que le Commandant se chargera du contact visuel et indiquera au mécanicien les changements de puissance nécessaires. Le travail devrait être ainsi mieux réparti.

Nous voilà donc entreprenant notre troisième approche. Pendant que l'avion ronronne calmement le Commandant de Bord observe le brouillard comme un épervier, appréciant l'importance des corrections éventuelles il les transmet tranquillement au co-pilote.
"Trois cent quarante-huit degrés, c'est bien...
"Trois cent quarante-sept - volets à vingt-cinq, s'il vous plaît, vingt-deux pouces...
"Trois cent quarante-sept ... Gardez-ça...c'est très bien
Nous nous glissons à nouveau dans la crasse et mes sens s'émoussent, comme si j'avais du coton dans les oreilles. L'altitude diminue rapidement, très rapidement.
"Quatre-vingts pieds" signale le mécanicien, "Soixante-dix, soixante"
Je n'y vois goutte. "Cinquante, quarante, trente...
Puis, brusquement, tout semble arriver à la fois. En regardant devant moi à travers le pare-brise, il m'est absolument impossible de déterminer notre altitude, voici un feu au sodium, puis un autre. Le Douglas se met à descendre en glissade. Pourquoi diable les roues ne touchent-elles pas?
Tandis que je reprends mon souffle -et que je le retiens- on distingue soudain les feux de piste qui défilent rapidement comme des fantômes... puis un quart de seconde plus tard nous nous enfonçons et touchons la piste avec une légère plainte des pneus et une secousse juste suffisante pour me pousser contre le dossier du strapontin du mécanicien.
Dieu soit loué !
Mais, ma parole, la piste est en pente. Elle s'enfonce comme le pont d'un porte-avion dans la houle, J'ai complètement perdu la notion de la verticale... cette chute de travers n'était qu'une correction latérale suivie du décrochage.
Le pilote freine, freine toujours plus fort... La décélération me repousse contre le siège du mécanicien et je me retrouve en train de souffler dans son cou puissant, mais je parviens à m'en écarter et je tombe aussitôt sur le plancher. On y est moins précairement installé. je m'assois en soufflant et en m'ébrouant, me demandant si mes lecteurs croiront jamais ce qui vient de m'arriver.
Pendant que notre vitesse tombe à l'allure bienvenue de 20 km/h, puis de 10, le Commandant commence paisiblement à faire, pour l'édification de son équipage, la critique de l'atterrissage et à tirer des conclusions. Mais il est obligé de s'interrompre  un instant pour essayer de trouver le croisement des pistes. Il ouvre le panneau d'angle du pare-brise et passe la tête dehors, bientôt pris a la gorge par les volutes de vapeur d'eau ; les freins gémissent tandis que nous contournons, très lentement, les feux à demi-cachés de la voie de circulation.
Enfin, nous arrivons à l'aire de stationnement. Ses projecteurs habituellement brillants, qui sont fixés sur le bâtiment de l'aérogare, ne sont que de faibles lueurs dans la crasse jaunâtre. Un coup de manette des gaz sur le moteur deux qui mugit comme un réacteur pour faire pivoter l'avion, et les quatre hélices ralentissent dans un bruit de plus en plus faible, pour s'immobiliser enfin.
Pendant que le tracteur nous tire en marche arrière dans la faible clarté des projecteurs afin que le déchargement puisse commencer, le Commandant continue son exposé. Il félicite le co-pilote de son approche ILS –‘’Vous voyez l'intérêt qu'il y a à pratiquer la procédure et à la posséder parfaitement‘’.
A ce moment, la porte située dans la cloison derrière moi s'ouvre et un petit homme coiffé d'un béret fait irruption dans le poste de pilotage avec un sourire de bienvenue et des gouttes de brouillard dans les sourcils. Étouffant une quinte de toux, il serre les mains à la ronde à toute allure, attrape un sac postal qui vient d'arriver brusquement de la cabine, puis un autre, puis encore un autre, et les jette dans la glissière qui les amène au sol. Des monceaux de sacs marrons, ornés du coquet insigne des P et T, prennent le même chemin. On entend à l'arrière le bruit d'une activité intense ‑on charge en effet d'autres monceaux de sacs postaux simultanément.
Voici le Commandant de Bord qui arrive, se frayant un chemin au milieu de toute cette manutention, et j'ai juste le temps de composer mon attitude et d'avoir l'air d'être en train de lire paisiblement. C'est d'ailleurs une simple façade, car le flegme que j'aurais dû traditionnellement conserver en ma qualité de Britannique, a disparu à jamais. "Dites-donc", me dit-il avec un sourire satisfait, "nous avons choisi cet atterrissage spécialement pour vous". je répondis faiblement. "Ce qu'il y a de bien avec le brouillard" continua-t-il pensivement, "c'est qu'une fois qu'on en est venu à bout, une amélioration même insignifiante de la visibilité semble magnifique. Et l'atterrissage est sensiblement plus facile que le roulage car il n'y a pas le défilement des feux pour vous aider. La prochaine fois que vous viendrez avec nous, il faudra que nous vous fassions faire une belle approche par temps bouché à l'une de nos six escales qui n'ont qu'un localizer d'ILS. Là, c'est nous qui nous construisons notre propre trajectoire de descente avec un compte-secondes".
L'idée de se poser avec de tels minima sans l'aide d'un faisceau de trajectoire de descente me parut si effrayante que je ne pus que grommeler une vague réponse et dégringoler l'escabeau pour aspirer quelques bouffées d'air. Même maintenant quand j'y repense, j'en ai des sueurs froides. je partis à toute allure en direction de l'aérogare.
Le personnel savait sans aucun doute où me trouver, car peu après, on tambourina sur la porte et j'entendis "Monsieur! On vous attend" . Grands Dieux, l'escale n'avait duré que huit minutes. On n'allait sûrement pas repartir par un temps pareil... mais si, les camions des Postes étaient déjà partis, et les moteurs électriques étaient en train de ronronner lorsque je remontai hâtivement dans la chaleur du poste de pilotage. J'eus le temps de m'excuser auprès du mécanicien d'être tombé sur lui au moment de l'atterrissage. "Aucune importance" m'assura-t-il. "je ne m'en suis même pas aperçu. je guettais la piste dehors".
Nous cherchâmes notre chemin tout à fait à tâtons. Les conditions étaient devenues épouvantables et l'on ne pouvait pas voir la ligne médiane de la piste. Mais malgré tout, les moteurs furent lancés à pleins gaz, la roue de nez se souleva, je dus me cramponner à la corde à nœuds d'évacuation pour lutter contre l'accélération, et nous nous envolâmes. Nous avions été totalement captifs de la crasse et l'instant d'après nous avions une vue claire en dessous de nous sur les lumières des maisons et des voitures. "Voilà " dit le Commandant." Plus un gramme de brouillard. C'est la vallée du Rhône et tous les plans d'eau des alentours qui amènent le brouillard en cet endroit".
Une fois que nous eûmes à nouveau pris le cap du sud, le mécanicien, à ma grande surprise, tellement il m'apparaissait comme le Français type, se mit à faire du thé avec le contenu d'une boîte portant l'inscription "Thé Lipton - Dix Sachets Individuels". Il m'en offrit, mais je préférai une bouteille de Carlsberg sortant de la glacière. "C'est le brouillard qui  donne soif" observa-t-il avec sollicitude. Vous avez tout à fait raison, mon vieux, pensais-je en moi-même, mais ce n'est pas pour les raisons que vous croyez. J'aurais bien aimé boire un Scotch bien tassé.
Minuit était passé depuis longtemps, et j'acceptai avec satisfaction le" casse-croûte" qu'on m'offrit - l'une de ces boîtes carrées en carton qui, sur les lignes aériennes britanniques contiennent généralement quelques maigres pains au jambon enveloppés de cellophane. La mienne renfermait du poulet froid à l'ail, un superbe pâté de campagne, deux petits pains bien frais et croustillants avec un peu de ce merveilleux beurre français, un Brie succulent et un Camembert, ainsi que deux bouteilles du plus délicieux Bordeaux rouge.
Peu après, nous nous enfoncions à travers l'obscurité veloutée, vers les lumières blanches à dorées de Marseille, dont le terrain est caractérisé par la ligne unique de feux d'approche à main gauche, qui est une disposition préconisée par Air France et qu'on retrouve dans toute la France. Il était merveilleux de pouvoir apercevoir les feux au sodium dont les deux lignes étaient clairement visibles jusqu au bout de la piste.
Nous n'avions pas plutôt arrêté les moteurs que la pluie de sacs postaux recommença, cette fois entre les mains d'une équipe exubérante vêtue de combinaisons blanches dont les manches étaient relevées jusqu'au coude.
Nous repartîmes après une escale de 12 minutes et pûmes jouir d'un vol délicieux jusqu'à Nice. Nous contemplâmes le chaud littoral baigné par la mer sans marée et marqué par de brillantes taches de lumière, Cannes, entre autres , dont les lumières étincelaient et dont le front de mer était souligné par des guirlandes de lampes. Nous traversâmes la presqu'île d'Antibes (l'Antipolis des anciens, qui fait face à la ville de Nice) et vîmes sous nous un pays de rêve d'une pureté de cristal, si surprenant à côté des rangées de nos instruments aux couleurs rosées, qu'il en paraissait presque irréel. On aurait plutôt dit un diorama dans une vitrine dont l'encadrement était constitué par les bords du pare-brise.
Peu après, nous descendions au-dessus de la mer, sortant le train et les volets pour l'approche. Le Var, qui se jette dans la baie à l'ouest de Nice, apporte parfois quelques stratus à basse altitude, mais pendant tout le reste de l'année, on peut prévoir une visibilité de 10 km, un vent de 6 à 10 nœuds du 340, et la Sixième Flotte des Etats-Unis dans le lointain. Ce fut exactement ce qui arriva.
Le Commandant se tient bien droit sur son siège, jetant parfois un coup d’œil au vario. C'est le dernier atterrissage du voyage d'aller, et il veut visiblement lui donner un cachet particulier. Il arrondit doucement, une légère pause et, avec un bruit insignifiant, les pneus effleurent le ciment. La rotation se poursuit encore tout doucement tandis que l'avion décroche imperceptiblement sur ses amortisseurs, et ce n'est que plusieurs secondes plus tard que ceux‑ci supportent finalement le poids total de la machine.
La roue de nez est encore maintenue levée jusqu'à ce qu'au dernier moment le pilote l'abaisse sans heurt en rendant la main. C'est vraiment l'atterrissage parfait exécuté à la perfection.


FIN


             

Dernière mise à jour/ latest updating  31 janv. 2009