mis à jour / updated :



Nouvelles pages
            Le curé de Cucugnan et ses pagnolades.                                                         
Les Lettres de mon Moulin d'Alphonse Daudet avec les pagnolades              


Cure de Cucugnan           l'interview de l'Abbé Martin!!!                
          Daudet, Alphonse (1840-1897). Lettres de mon moulin (Ed. définitive) par Alphonse Daudet. 1887   gallica en entier  
  
Chez Livres audio gratuits à écouter et télécharger vous entendrez


01 Avant-propos.mp3 (Clic-droit, « Enregistrer sous… »)  02 Installation.mp3 03 La diligence de Beaucaire.mp3 04 Le secret de maître Cornille.mp3
05 La chèvre de Monsieur Seguin.mp3 06 Les étoiles.mp3 07 L’Arlésienne.mp3 08 La mule du pape.mp3 09 Le phare des Sanguinaires.mp3
10 L’agonie de la Sémillante.mp3 11 Les douaniers.mp3 12 Le curé de Cucugnan.mp3 13 Les vieux.mp3 14 Ballades en prose.mp3
15 Le portefeuille de Bixiou.mp3 16 La légende de l’homme à la cervelle d’or.mp3 17 Le poète mistral.mp3 18 Les trois messes basses.mp3
19 Les oranges.mp3 20 Les deux auberges.mp3 21 À Milianah.mp3 22 Les sauterelles.mp3

Et encore à propos de rancune ecclésiastique, mon cher Gringoire... 
T
ous les ans, à la Chandeleur, les poètes provençaux publient en Avignon un joyeux petit livre rempli jusqu'aux bords de beaux vers et de jolis contes. Celui de cette année m'arrive à l'instant, et j'y trouve un adorable fabliau que je vais essayer de vous traduire en l'abrégeant un peu... Parisiens tendez vos mannes. C'est de la fine fleur de farine provençale qu'on va vous servir cette fois.   
L'abbé Martin était curé ...... de Cucugnan.  
Bon comme le pain, franc comme l'or, il aimait paternellement ses Cucugnanais ; pour lui, son Cucugnan aurait été le paradis sur terre,...si les Cucugnanais lui avaient donné un peu plus de satisfaction !
Hélas ! les araignées filaient dans son confessionnal, et, le beau jour de Pâques, les hosties restaient au fond de son saint-ciboire. Le bon prêtre en avait le cœur meurtri, et toujours il demandait à Dieu la grâce de ne pas mourir avant d'avoir ramené au bercail son troupeau dispersé. 
Or, vous allez voir que Dieu l'entendit ! 

Un dimanche, après l'Evangile, M. Martin monta en chaire. 
- Mes frères, dit-il, vous me croirez si vous voulez : l'autre nuit, je me suis trouvé, moi misérable pécheur, à la porte du paradis. 
Je frappais: Saint Pierre m'ouvrit! 
- Tiens! c'est vous, mon brave monsieur Martin. Quel bon vent ...? et qu'y a-t-il pour votre service? 
- Beau Saint Pierre, vous qui tenez le grand livre et la clef, pourriez-vous me dire, si je ne suis pas trop curieux, combien vous avez de Cucugnanais en paradis? 
- Je n'ai rien à vous refuser, monsieur Martin ; asseyez-vous, nous allons voir la chose ensemble. 
Et Saint Pierre prit son gros livre, l'ouvrit, mit ses bésicles: 
- Voyons un peu : Cucugnan, disons-nous. Cu... Cu... Cucugnan. Nous y sommes. Cucugnan... Mon brave monsieur Martin, la page est toute blanche. Pas une âme ... Pas plus de Cucugnanais que d'arêtes dans une dinde. 
- Comment ! Personne de Cucugnan ici ? Personne ? Ce n'est pas possible ! Regardez mieux... 
- Personne, saint homme. Regardez vous-même, si vous croyez que je plaisante. 
Moi, pécaïre ! je frappais des pieds, et les mains jointes, je criais miséricorde. Alors, Saint Pierre:  
- Croyez-moi, monsieur Martin, il ne faut pas ainsi vous mettre le cœur à l'envers, car vous pourriez en avoir quelque mauvais coup de sang. Ce n'est pas votre faute, après tout. Vos Cucugnanais, voyez-vous, doivent faire à coup sûr leur petite quarantaine en purgatoire. 
- Ah ! par charité, grand saint Pierre ! faites que je puisse au moins les voir et les consoler. 
- Volontiers, mon ami. Tenez, chaussez vite ces sandales, car les chemins ne sont pas beaux de reste... Voilà qui est bien... Maintenant, cheminez droit devant vous. Voyez-vous là-bas, au fond, en tournant ? Vous trouverez une porte d'argent toute constellée de croix noires... à main droite... Vous frapperez, on vous ouvrira... Adessias! Tenez-vous sain et gaillardet. 

Et je cheminai... je cheminai! Quelle battue! j'ai la chair de poule, rien que d'y songer. 
Un petit sentier, plein de ronces, d'escarboucles qui luisaient et de serpents qui sifflaient, m'amena jusqu'à la porte d'argent. 
- Pan! Pan! 
- Qui frappe! 
- Le curé de Cucugnan.  
- De...? 
- De Cucugnan. 
- Ah! ... Entrez. 
J'entrai. Un bel ange, avec des ailes sombres comme la nuit, avec une robe resplendissante comme le jour, avec une clef de diamant pendue à sa ceinture, ecrivait, cra cra, dans un gros livre plus gros que celui de Saint Pierre...  
- Finalement, que voulez-vous et que demandez-vous? 
- Bel ange de Dieu, je veux savoir, -- je suis bien curieux peut-être, -- si vous avez ici les Cucugnanais. 
- Les? ... 
- Les Cucugnanais, les gens de Cucugnan... que c'est moi qui suis leur prieur. 
- Ah ! l'abbé Martin, n'est-ce pas? 
- Pour vous servir, monsieur l'ange. 
- Vous dites donc Cucugnan... 
Et l'ange ouvre ses et feuillette son grand livre, mouillant son doigt de salive pour que le feuillet glisse mieux... 
 
- Cucugnan, dit-il en poussant un long soupir... Monsieur Martin, nous n'avons en purgatoire personne de Cucugnan. 
- Jésus ! Marie ! Joseph ! personne de Cucugnan en purgatoire! O grand Dieu! où sont-ils donc? 
- Eh! saint homme, ils sont en paradis. Où diantre voulez-vous qu'ils soient? 
- Mais j'en viens, du paradis... 
- Vous en venez!! ... Eh bien? 
- Eh bien ! ils n'y sont pas!... Ah! bonne mère des anges!... 
- Que voulez-vous, monsieur le curé? s'ils ne sont ni en paradis ni en purgatoire, il n'y a pas de milieu, ils sont...
 - Sainte croix! Jésus, fils de David! Aï! aï! aï! est-il possible?... Serait-ce un mensonge du grand saint Pierre?... Pourtant je n'ai pas entendu chanter le coq!... Aï! pauvres nous! comment irai-je en paradis si mes Cucugnanais n'y sont pas? 
- Ecoutez, mon pauvre monsieur Martin, puisque vous voulez, coûte que coûte, être sûr de tout ceci, et voir de vos yeux de quoi il retourne, prenez ce sentier, filez en courant, si vous savez courir... Vous trouverez , à gauche, un grand portail. Là, vous vous renseignerez sur tout. Dieu vous le donne! 
Et l'ange ferma la porte. 
C'était un long sentier tout pavé de braise rouge. Je chancelais comme si j'avais bu; à chaque pas, je trébuchais; j'étais tout en eau, chaque poil de mon corps avait sa goutte de sueur, et je haletais de soif... Mais, ma foi, grâce aux sandales que le bon saint Pierre m'avait prêtées, je ne me brûlai pas les pieds... 
Quand j'eus fait assez de faux pas clopin-clopant, je vis à ma main gauche une porte... non, un portail, un énorme portail, tout bâillant, comme la porte d'un grand four. Oh ! mes enfants, quel spectacle ! Là on ne demande pas mon nom ; là, point de registre. Par fournées et à pleine porte, on entre là, mes frères, comme le dimanche vous entrez au cabaret. Je suais à grosses gouttes, et pourtant, j'étais transi, j'avais le frisson. Mes cheveux se dressaient. Je sentais le brûlé, la chair rôtie... quelque chose comme l'odeur qui se répand dans notre Cucugnan quand Eloy, le maréchal, brûle pour ferrer la bottte d'un vieil âne. Je perdais haleine dans cet air puant et embrasé ; j'entendais une clameur horrible, des gémissements, des hurlements et des jurements. 

- Eh bien! entres-tu ou n'entres-tu pas, toi? 
me fait en me piquant de sa fourche un démon cornu.  
- Moi? Je n'entre pas. Je suis un ami de Dieu. 
- Tu es un ami de Dieu... Eh! b... de teigneux! Que viens-tu faire ici?... 
- Je viens... Ah! ne m'en parlez pas, que je ne puis plus me tenir sur mes jambes... Je viens... Je viens de loin... humblement vous demander... si... si. par coup de hasard... vous n'auriez pas ici quelqu'un ... quelqu'un de Cucugnan... 
- Ah ! feu de Dieu ! tu fais la bête, toi, comme si tu ne savais pas que tout Cucugnan est ici. Tiens, laid corbeau, regarde, et tu verras comme nous les arrangeons ici, tes fameux Cucugnanais... 

Et je vis, au milieu d'un épouvantable au milieu du tourbillon de flamme: 
Le long Coq-Galine, - vous l'avez tous connu mes frères - qui se grisait si souvent, et si souvant secouait les puces à sa pauvre Clairon. Je vis Catarinet... cette petite gueuse... avec son nez en l'air... qui couchait toute seule à la grange... il vous en souvient, mes drôles! ... Mais passons, j'en trop dit. Je vis Pascal Doigt-de-Poix, qui faisait son huile avec les olives de M. Julien... Je vis Babet la glaneuse, qui, en glanant, pour avoir plus vite noué sa gerbe, puisait à poignées aux gerbiers. Je vis maître Grapasi, qui huilait si bien la roue de sa brouette.  La Dauphine qui vendait si cher l'eau de son puits. Et le Tortillard, qui, lorsqu'il me rencontrait portant le bon Dieu, filait on chemin, la barrette sur la tête et la pipe au bec... et fier comma Artaban... comme s'il avait rencontere un chien.  Et Coulau avec sa Zette, et Jacques, et Pierre, et Toni... tout le village! 

Vous sentez bien, mes frères, reprit le bon abbé Martin, vous sentez que ceci ne peut pas durer. J'ai charge d'âmes, et je veux, je veux vous sauver de l'abîme où vous êtes tous en train de rouler la tête première. Demain, je me mets à l'ouvrage, pas plus tard que demain. Voici comment je m'y prendrai. Pour que tout se fasse bien, il faut tout faire avec ordre. Nous irons rang par rang, comme à Jonquières
(à côté d'Avignon), quand on danse. 
Demain lundi, je confesserai les vieux et les vieilles. Ce n'est rien. 
Mardi, les enfants. J'aurai bientôt fait. 
Mercredi, les garçons et les filles. Cela pourra être long. 
Jeudi, les hommes. Nous couperons court. 
Vendredi, les femmes. Je dirai: Pas d'histoires! 
Samedi, le meunier!... Ce n'est pas trop d'un jour pour lui tout seul... 
Et, si dimanche nous avons fini, nous serons bien heureux.   
Vois-tu, Gringoire, quand le blé est mûr, il faut le couper ; quand le vin est tiré, il faut le boire. Voilà assez de linge sale, il s'agit de le laver, et de le bien laver. Ce qui fut dit fut fait. On coula la lessive. Depuis ce dimanche mémorable, le parfum des vertus de Cucugnan se respire à dix lieues à l'entour. 
Et le bon pasteur M. Martin, heureux et plein d'allégresse, a rêvé l'autre nuit que, suivi de tout son troupeau, il gravissait, en resplendissante procession, au milieu des cierges allumés, d'un nuage d'encens qui embaumait et des enfants de choeur qui chantaient le Te Deum , le chemin éclairé de la cité de Dieu. 

Et voilà l'histoire du curé de Cucugnan, telle que m'a ordonné de vous le dire ce grand gueusard de Roumanille, qui la tenait lui-même d'un autre bon compagnon.   
 

Pour plus d'informations voir l' interview avec l'Abbé Martin  et ses élucubrations: Jureur ou réfractaire?  -  Foi et athéisme  -  Les mangeurs de curés   -  Ma foi en l'homme  -  Pourquoi?  -   L'hérésie albigeoise  -  Confessions  -  Questions d'un athée à Monsieur l'Abbé  

  Les trois messes basses
  La mule du pape la pièce  le texte 
  Chez le Bon Dieu  
  et les classiques  

Notes: CUCURON est à quelques kilomètres de LOURMARIN et de son château, c'est un village charmant qui a inspiré DAUDET pour son curé de CUCUGNAN.        sources Columbia, South Carolina  

     TOP