Lorsque j'ai débuté ma carrière, le
SNPL (Syndicat National des Pilotes de Ligne) venait d'être créé.
Il deviendrait le principal syndicat regroupant la quasi totalité des
pilotes en activité.
Ayant été élu président,
j’avais présenté mon programme en insistant sur le fait que l’action
syndicale ne devait pas essentiellement porter sur le déclenchement
de grèves, mais sur une participation - sous diverses formes - aux
principales décisions concernant l’évolution des technologies et
les conditions d’exercice du métier.
Pour se préparer à cette démarche,
j’avais créé une Commission technique et une Commission économique
(qui existent encore de nos jours), ainsi qu’un bulletin de liaison
("Le BIL") devenu "La ligne", qui en était au
numéro 510, fin 2004.
À cette époque, il existait déjà un
syndicat dissident, l’UNL (Union des Navigants de Ligne). Après avoir contacté individuellement plusieurs de
ses adhérents,
j’avais réussi à les convaincre que l’unité était préférable
à des actions minoritaires isolées, si bien que l’UNL disparu.
Par la suite, au fil des ans, de nombreuses
guerres intestines furent préjudiciables au bon fonctionnement du SNPL et conduisirent
à l’émergence
de plusieurs autres syndicats et à des mouvements de grèves qui
n’ont pas toujours été bien compris du grand public.
Aujourd’hui, une bonne nouvelle : celle d’un
rapprochement syndical, par la création d’une union syndicale,
juridiquement plus forte qu’une intersyndicale. Elle se substituera aux
organisations professionnelles actuelles du Personnel Navigant
Technique (PNT). Baptisée (France-ALPA), son membre fondateur est le SNPL.
Les utilisateurs du voyage aérien que
nous sommes doivent accueillir favorablement cette étape
dans l’organisation des pilotes. En effet, étant les
mieux placés pour déceler les anomalies ou dysfonctionnements divers et en
proposer les remèdes, ils sont les derniers garants de la sécurité des
vols.
Or, quand il s’agit de la sécurité des
vols, les passagers ignorent, généralement,
la multiplicité des sujets à aborder et leur complexité. Ils doivent donc savoir que
les pilotes, jusqu’à ce jour, ont insuffisamment été intégrés dans
les processus décisionnels du fonctionnement du transport aérien. Et
pourtant, l’expérience montre que chaque fois qu’il a été fait
appel à eux, ils ont su apporter leur savoir et leur expérience à la
recherche de solutions admises par tous les participants.
Ici, je ne citerai que quatre domaines faisant
partie de leurs principales préoccupations actuelles.
* Caisse de Retraite du Personnel Navigant
(CRNP) TOP
Son état de santé a
toujours été très préoccupant et l’immobilisme constaté de la
tutelle (a) provoque les plus vives inquiétudes
des pilotes, quant à sa pérennité. Alors que des modifications des termes du décret régissant
cette caisse apportaient quelques avancées
sociales, le ministère des affaires sociales en a bloqué la
signature. L’absence de réaction des autres ministères est considérée par
les pilotes comme étant de mauvaise augure quant à
l’aboutissement de la réforme indispensable à son sauvetage.
(b)
Alors que les pilotes français qui
trouvent un emploi à l’étranger ne cotisent pas à la
CRPN, le SNPL a relancé un
projet pour pallier cette anomalie. Il consiste à
autoriser les personnels navigants - qui sont des travailleurs mobiles,
au sens de la Convention de Rome de 1980 - à cotiser à la CFE (Caisse des Français
à
l’Etranger) pour le régime de base (à la place de l’URSSAF), tout en maintenant la cotisation complémentaire
à la CRPN.
Quant on sait que le montant de la pension
d’un pilote n’est que de 35% de son dernier salaire et que, jusqu’à présent,
toutes les réformes ont eu pour finalité la diminution des pensions,
comment ne pas comprendre leurs efforts pour être
entendus et admettre leurs éventuelles réactions ?
* Les délocalisations (c)
TOP
Ces déplacements des outils de
production des pays industrialisés vers d’autres pays est un phénomène qui
devient de plus en plus important.
Avec les possibilités
offertes dans la libération des échanges qui s'effectuent entre l'Union Européenne,
les nouveaux pays industrialisés et ceux en voie de développement,
la pratique de la délocalisation est désormais encouragée. Elle est avantageuse pour les entreprises françaises,
qui - sans préoccupation d'éthique sociale - profitent des législations
sociales moins avancées des autres pays de la Communauté européenne et
des autres pays tiers, essentiellement asiatiques. C'est ainsi que
certaines compagnies ont délocalisé une partie de leurs fonctions (administrative, comptable,
technique, affrètements, etc...), dans des pays moins chers. Il en résulte
des conséquences non seulement, sur le niveau de l'emploi, mais également
sur la sécurité, dont le niveau attaché aux "pavillons de
complaisance", est bien médiocre.
Depuis une dizaine d’années, les
menaces de délocalisations susceptibles d'affecter l'industrie du
transport aérien ont été examinées au niveau européen, sans pour autant déboucher sur des mesures concrètes,
à
l'exception de la création d'un observatoire.
C'est ainsi qu'en France - exploitant la
neutralité des Institutions face aux risques liés à la délocalisation
- des compagnies françaises, envisagèrent - alors que des milliers de pilotes français sont
en attente d’un emploi, d’embaucher des pilotes étrangers
(Américains, Yougoslaves, Bulgares). Heureusement, cela a été refusé par le
Ministre des transports.
Dans l'attente d'un projet de résolution
des problèmes posés par les délocalisations - auxquels il serait souhaitable que la
participation des organismes représentatifs des pilotes soit
acquise - il est bon de rappeler les trois méthodes
actuellement appliquées, qui, toutes, visent à remplacer du personnel de
l'Union Européenne, par du personnel étranger, moins cher et,
souvent, sous-qualifié.:
Les compagnies communautaires peuvent :
- réaliser une partie de leur opérations aériennes
au départ d'escales situées à l'étranger.
Lors de vols à plusieurs escales, des équipages étrangers
prennent la relève de l'équipage de l'Etat d'immatriculation. Lorsqu'il s'agit de vols
directs long-courriers (pouvant être réalisés grâce aux
gros porteurs à long rayon d'action), il suffit de déclarer
que la base de l'exploitation se trouve au terminus aller. Ainsi, un
vol Paris-Bangkok-Paris est transformé en un vol Bangkok-Paris-Bangkok, permettant l'utilisation de PNC thaïlandais ;
- affréter des avions et des équipages
extra-communautaires. Elles échappent aux contraintes réglementaires
et sociales de leur Etat d'immatriculation, pour se placer sous celles d'Etats beaucoup moins exigeants. De plus, cette procédure
conduit à l'utilisation d'équipages de formation hétérogène, ne
parlant pas la même langue, d'expérience limitée, tous facteurs ayant forcément un impact sur la sécurité des
vols ;
- s'entendre avec des compagnies étrangères. La
plus grande partie du trafic commun est effectué sous le
numéro de code de la compagnie ayant les coûts les
plus bas, qui est, dans tous les cas, une compagnie étrangère.
Le Commandant Jérôme
Bensard donne une image, très démonstrative, des possibilités offertes par ce système et
des dangers qui peuvent en résulter pour la sécurité. (d)
Finalement, la mise en oeuvre de toute la
gamme des possibilités offertes aux compagnies permet :
- par le "partage de code", d'effectuer un
transfert d'activité tout en améliorant les recettes grâce à un
meilleur taux de remplissage ;
- par la sous-traitance, de reporter les problèmes
sociaux sur la compagnie affrétée ;
- par la délocalisation, de réduire
les coûts ;
- par l'embauche de nouveaux pilotes, de réduire,
jusqu'à 40 %, le coût salarial, grâce à des nouveaux contrats.
C’est ainsi que des pilotes sont embauchés avec
un contrat de travail signé dans un paradis fiscal, sans caisse de retraite et avec des
salaires de 2.500 dollars pour un commandant de bord et de 1.500 pour
un co-pilote. Bien que ces exemples ont été dénoncés depuis
plusieurs années, ces pratiques perdurent. Il en résulte un
alignement des coûts de production et des rémunérations
sur ceux des pays les plus attractifs, dont certains n’ont aucune
protection sociale.
Il est évident qu'une des raisons se
trouve dans les lourdes charges aéronautiques qui pèsent sur
les compagnies (e). Ainsi, en deux années (2002
et 2003), plus de quarante compagnies ont disparu et des milliers de
navigants ont perdu leur emploi. Quant à la part
du pavillon français dans les relations internationales, elle ne cesse de
baisser depuis 1996. (f)
* La formation
(g)
TOP
La tendance actuelle est de remplacer la
formation de base de pilotage par un cursus simplifié adapté à
quelques compagnies aux exigences bien spécifiques.
Certains constats - révélés par
l’analyse systématique des vols - ont révélé
l’existence d’insuffisances dans la formation de base au pilotage
manuel, devant conduire à ce que les pilotes restent de bons manoeuvriers, en cas de nécessité.
À cet égard,
Air France, par exemple, a déjà pris certaines mesures correctives.
(h)
Ajoutons qu'avec la prochaine mise en ligne de
l’A380 - qui fera des vols, sans escale, de 16 à 18
heures, avec équipage renforcé - il en résultera un sous-entraînement certain des pilotes,
étant donné qu'ils
feront de moins en moins de décollages et d’atterrissages.
Des séances de simulateurs devraient permettre d’entretenir les réflexes
et la mémorisation des procédures. Sachant que, lorsque les
automatismes sont défaillants, le pilote se trouve dans l’obligation de continuer
la procédure en pilotage manuel, ne faudra-t-il pas envisager des
vols d’entraînement sur des avions plus petits, dans des conditions météorologiques
particulières ? En effet, quelle sera l’efficacité d’un
pilote d’A380, qui, depuis plusieurs mois, n’aura fait que deux ou
trois atterrissages par mois, en automatique, lorsque, pour une raison
quelconque, il sera obligé de faire l’atterrissage avec un fort vent de travers ?
J’ai déjà décrit
comment le système actuellement en place obligeait les futurs pilotes à se présenter
avec les qualifications de type (i)
en poche, qu’ils ont dus
financer eux-mêmes, sans d’ailleurs être certain que le type d’avion
choisi sera celui que leur employeur potentiel exploite.
Comment ne pas reconnaître -
comme le président de l'Association nationale des demandeurs d'emploi du
Personnel Navigant (j) - que cette sélection
par l'argent est tout à fait contraire aux règles élémentaires
d'égalité des chances, définies dans le traité de Brighton, jetant les bases
d'une Europe sociale?
De plus, si ce type de comportement - vis à vis
d'une jeunesse qui composera les équipages des prochaines décennies
- perdure, il fera peser une lourde responsabilité morale,
civique et humaine, sur tous les partenaires en cause, prisonniers,
eux-aussi, de l'ultra-libéralisme dans lequel le monde de l'aérien est
entraîné.
Alors, la situation s’améliorera-t-elle
? Rassurons nous, puisque le Directeur Général de
l’Aviation Civile a déclaré : "Nous aurons toujours des exigences de qualité, de
rigueur, une surveillance organisée pour détecter
les tendances accidentogènes, une formation de qualité, des
obligations d’entraînement, des tests périodiques".
* Validation des licences
étrangères
TOP
Bien que plusieurs de ces licences ont été délivrées après des
formations "a minima", elles viennent désormais
concurrencer le licences européennes (JAA).
Le problème étant posé et
connu, l’organisation internationale (OACI) n’a rien trouvé de
mieux qu’une solution consistant à modifier - comprenez
"abaisser" - le niveau de nos formations traditionnelles. Heureusement,
"les caractéristiques de nos licences demeureront et il n’y a aucun
risque de détérioration" a affirmé le
Directeur de l’Aviation Civile.
— *** ---
Voilà le rideau un peu levé sur ce que sont les préoccupations
des pilotes, ceux qui sont aux commandes des avions dans lesquels vous
prenez place ; ceux qui ont une obligation de résultat :
transporter en toute sécurité des passagers jusqu’au terrain de destination, quelles que
soient les contraintes et problèmes qui peuvent survenir
pendant le vol.
Pour exercer leur mission en toute efficacité, ils
ont besoin de bonnes conditions de travail et de quiétude
quant à la pérennité de leur compagnie. Ils doivent être
correctement formés et avoir la certitude que les qualifications de leurs collègues
dans le poste de pilotage sont d’un bon niveau.
J’ai également démontré combien l’affirmation selon laquelle 80% des accidents
étaient
dus aux pilotes était fallacieuse et expliqué les raisons pour lesquelles il
ne fallait pas systématiquement et a priori "tirer sur le pianiste". Eh
bien, aujourd’hui les pianistes s’organisent pour avoir un piano bien
accordé et nous, qui assistons souvent à leur récital,
nous devons nous en réjouir et réserver le meilleur accueil à cette
initiative. Certes, le facteur de piano et son propriétaire
ont leur mot dire, mais il n’en reste pas moins vrai que c’est le
pianiste qui est le mieux placé pour dire si le piano est bien
accordé et indiquer les cordes sur lesquelles il convient
d’intervenir. TOP
==
(a) - La tutelle est représentée par
trois ministères : Finances, Affaires sociales et Transports.
(b) - Actuellement, le montant des pensions versées - grâce
à
l’existence d’un fonds de réserve - dépasse de 50% celui des cotisations.
(c) - Définition : "Recours, pour effectuer des vols sous pavillon
français, à des avions ne figurant pas sur une liste de flotte d’une
compagnie française et/ou des personnels navigants qui ne sont pas sous
contrats français".
(d) - Vice-Président exécutif du SNPL. "Embarquement pour Louxor, ce premier juin 97, dans un avion
banalisé, c'est-à-dire sans marque commerciale distincte. Le propriétaire de
l'appareil, immatriculé à l'Ile Maurice (raisons fiscales obligent) est une société de
leasing japonaise. L'exploitant, une société basée à
lstanbul - créée pour les besoins de la saison été 97 -
assurera l'entretien de son unique appareil à Dakar
(coût oblige). L'équipe technique est constituée de
deux pilotes de langue maternelle et de formation différentes,
dont le seul point commun est le contrat de travail d’une société intérimaire
basée à Jersey (charges sociales obligent). Quant aux passagers, ils
ne connaissent que l'émetteur du billet, lequel est réputé pour sa
sécurité (noblesse oblige)". ..
(e) - En cinq ans, les redevances de navigation ont
augmenté de plus de 30% ; les taxes DGAC de plus de 100% ; les taxes
et redevances aéroportuaires de plus de 120%. C’est ainsi que, par exemple,
sur un aller et retour Paris/Nice, alors que le passager paiera 84 euros, Air France ne disposera que de 36 euros pour financer son
exploitation. S’ajoute également l’augmentation du carburant. Quant aux charges
sociales totales (employeur et salarié) elles atteignent 80% de la rémunération
nette des PNT... ce qui n’a d’équivalent dans aucun autre pays.
(f) - Jean Baptiste Vallé - Président
du syndicat des compagnies aériennes autonomes (SCARA) - estime que cette
évolution
résulte de façon très majoritaire de l’activité d’Air France qui, par un mécanisme
dit du "double affichage", fait réaliser de plus en plus de
liaisons par des compagnies aériennes étrangères, 43
actuellement.
(g) - Lire plusieurs articles consacrés
à la
formation dans le magazine "Pilote de ligne". Numéro 44. Abonnements à "Pilote de ligne" Roissypôle. Le Dôme. 5,
rue de La Haye. BP 19955. Trermblay en France. 95733 Roissy CDG Cedex.
Quatre numéros par an. France : 18 euros. Etranger : 21 euros.
* "Judiciarisation du paysage aéronautique" - Nicola Loukakos - Ancien Commandant de bord - Juriste et
auteur de nombreux ouvrages de référence.
* "Le low cost dans la formation" - Jean Delattre -
Commandant de bord Air France - Vice-Président
social du SNPL.
* "Un métier
à la croisée des chemins" - Jean-Pierre
Chambelin - Commandant de bord - Président de l’Institut Jean
Mermoz.
* "Les pilotes formés en FTO
sont-ils employables ?" - Denis Apvrille -
Chef du SEFA (Service d’exploitation de la formation aéronautique)
(FTO = Organisme de Formation au vol).
* "Vers une délocalsiation de la formation ?" - Didier Guy - Président de l"EAAPS (European
Association of Airline Pilot Schools).
(h) - Article du Commandant Jean-Pierre Delpech -
Chef pilote et Directeur du PNT Air France - Magazine "Pilote de Ligne"
Numéro 44.
(i) - Une "qualification de type", atteste la réussite
à un
stage, sur un type d'avion déterminé.
(j) - "Imagine-t-on un instant un cheminot se
payer sa qualification Micheline ou TGV; un mécanicien
avion financer sa formation sur avion Boeing ou Airbus; un astronaute débourser
pour sa formation Soyiouz ? Pourtant la réalité est là : pas
d'embauche dans aucune compagnie régionale, si le candidat n'est
pas en possession de sa qualification de type, achetée, si
possible, dans la filiale de la compagnie ou dans l'école
partenaire. Or, non seulement des compagnies exigent que le candidat
possède déjà une qualification, mais un mouvement se développe
pour que les pilotes, une fois embauchés,
financent eux-mêmes leur qualification de changement de machine, ainsi que le
stage leur permettant de passer de la fonction de copilote à celui
de commandant de bord".