Jean Sarrail, 20 janvier 2001.

QUEL COCHON CE VAMPIRE... 

Ce récit de Jean Sarrail sur le vampire m'a été transmise par Bernard Faber 1. C'est pour moi un immense plaisir de la porter sur le Web. Sarrail, Boudier, Rozanoff... les avions Leduc, Trident, Griffon... les stato, les pulso, le mur du son, ont fait rêver les jeunes de ma génération... 

 
D’humbles objets quotidiens peuvent jouer un rôle important dans de très ambitieux programmes.
Pour preuve, la petite histoire que voici.
Le 10 Octobre 1949, le Vampire n° 723, à réacteur Goblin quitte Brétigny pour Marignane. Ce vol d’une heure dix ouvre la voie aux multiples navettes à réaction qui relient aujourd’hui les annexes à la maison mère. Les Anglais nous avaient cédé ce Vampire six mois plus tôt, non sans quelques hésitations; nous en faisions l’évaluation à Brétigny et la section avion l’utilisait pour mettre au point le méthodes d’essai à appliquer aux protos qui pointaient chez les constructeurs, SO 6000 Triton à la CASO, NC 1070 au centre, Ouragan chez Dassault. Les recherches se faisaient sur Messerschmitt 262 (le dernier avait été stoppé le 7-10-1948, le vol s’était terminé sur 1 réacteur, le droit éteint, suivi d’une panne de sortie de train – sorti en secours- puis d’une panne de volets d’intrados).
Le ciel du Midi, plus favorable aux essais à grande vitesse et moins fréquenté que les abords d’Orly vit donc arriver son premier réacteur et les essais se poursuivirent à Marignane. La cabine était très mal pressurisée, l’avion léger et les montées rapides étaient très éprouvantes.
Quelques incidents auraient pu se terminer en catastrophe. Maulandi et D’Oliviera qui, après avoir perdu connaissance en altitude et subi des évolutions désordonnées (bande HB[1]) reprirent miraculeusement connaissance in extremis.
La SNCASE[2] venait d’obtenir un contrat pour mettre au point, suivi d’une série, le Vampire à réacteur Nene, plus puissant que le Goblin d’origine.
Nous eûmes en essai le Vampire 51, ou Vampire à oreilles, ainsi dénommé à cause de deux belles protubérances sur le capot moteur, puis le Vampire 53 à courbure de capotage moteur modifiée. Il fut construit en série sous le nom de Vampire Mistral. Les essais de QDV[3] et perfos terminées, on en vint aux séances de tir qui avaient lieu en mer, à haute altitude ; le Vampire était armé de deux canons de 20 m/m. Mais au lieu des rafales attendues, chaque canon ne déclenchait qu’un seul obus. On vit alors arriver le Cdt Sautier et son équipe d’armuriers de Cazaux. Après d’intenses cogitations, ils attribuèrent ce défaut d’alimentation des canons au froid intenses qui, en altitude, figeait l’huile et bloquait le
réarmement de la culasse. Ils eurent alors une idée : en protégeant l’extrémité des canons, on devait parer à cet inconvénient – résultat probant, les rafales se succédèrent. Il fallait donc se munir de protections efficaces et rapidement utilisables pour poursuivre les essais. Un adjudant fut désigné pour acheter le nécessaire dans la petite pharmacie du village de Vitrolles. 
La suite fut racontée par Mademoiselle Ulysse, la pharmacienne, compatriote Corse de ma femme, qui était invitée ce soir là chez nous par pure coïncidence.
Elle nous confia avoir été d’abord très étonnée par le comportement de ce militaire qui tenait régulièrement à faire passer tous les clients avant lui. Quand nous fûmes enfin seuls, dit-elle, il me demanda si j’avais des préservatifs, je compris sa réserve et, discrètement, en glissai deux sur le comptoir. Mais il en voulait beaucoup plus, j’allais lui en chercher deux boites de 20, il parut satisfait, j’étais étonnée car c’est un objet rarement demandé et à un seul exemplaire. Mais quand, au moment de payer il me demanda une facture, je fus prise de saisissement - vous me connaissez, je ne suis pas particulièrement bégueule – et lui ai demandé ce qu’il comptait en faire.
Réponse : c’est pour une séance de tir. Je m’en doute, lui dis-je. Très embarrassé, il finit par m’expliquer que ces préservatifs détournés de leur fonction première, devaient servir à coiffer l’extrémité des canons pour leur éviter les basses températures, qu’un essai avait donné toute satisfaction et que son Cdt l’avait chargé de mission pour renouveler le stock. La facture bien évidemment devait servir de justificatif auprès des services de la DTI [4].
Nous aurions été très curieux de savoir sous quelle forme, la très efficace Madame Collard transmit cette étrange facture à notre très strict directeur Monsieur Bonte.
Autres temps, autres mœurs. Les préservatifs se vendent aujourd’hui dans les lycées et la réserve de notre pudique adjudant prêterait plutôt à sourire.
Après cette expérimentation, les Vampires Mistral eurent leurs canons obstrués par un manchon en bakélite.
[1] Enregistreur de vol
[2] Société Nationale Construction Aéronautiques du Sud-est
[3] Qualité de Vol
[4] Direction Technique             

Jean SARRAIL, pilote d'essais aux 6 700 heures de vol sur plus de 200 types d'avions et entre les mains duquel est passée la majorité des prototypes français de pointe de 1948 à 1968. Sorti premier de l'Ecole d'Istres, pilote de chasse (3 citations, 2 victoires, plus 3 probables), entré en 1946 au C.E.V., il est aujourd'hui à 61 ans, commandeur de la Légion d'Honneur, Grand Officier de l'Ordre National du Mérite.
   Au terme d'une carrière partagée entre l'Armée de l'Air. la société Leduc (dont il fut le pilote d'Etat, puis pilote d'essais de 1952 à 1958) et le C.E.V., il dressait lui-même l'impressionnant bilan de ses coups durs: «8 accidents» n'ayant pas eu de conclusion brutale « et dix » ayant provoqué une arrivée brutale sur terre ou sur l'eau . Ceci comprend le feu en « Spitfire », une arrivée au sol à 15 m/s avec le Leduc 010 n° 2, un évanouissement à 63 000
pieds en supersonique, etc. Son plus gros coup dur restera son combat héroïque pendant 45 minutes dans une mer avec creux de 2 mètres et des vents de 55 noeuds suite à l'utilisation du siège éjectable d'un « Mirage » en feu en juillet 1961... sa plus belle victoire, celle de la ténacité et de l'obstination. Bel exemple pour les pilotes d'essais dont il assura pendant des années la formation.
  A un extraordinaire « métier », une exceptionnelle science du pilotage, un jugement sûr, il ajoute la fine sensibilité des hommes de coeur.

                   J. NOETINGER .
 Air & Cosmos n° 867 du 4 juillet 1981   
Extrait de   Hommes et Femmes qui ont donné des ailes à la France.
Le VAMPIRE.
Ayant effectué son premier vol en 1943, le chasseur monoréacteur De Havilland "Vampire" ne participa pourtant pas aux combats. Assemblé sous licence dans de nombreux pays, il connut un franc succès à l'exportation et fut construit en France par la SNCASE sous le nom de "Mistral". 

                                                                                  
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Dernière mise à jour/ latest updating  30 janv. 2009