Capitaine Jean DONGRADI
Cela se passe dans un camp entre Djibouti et Addis Abeba,
capitale de l'Ethiopie
Extrait de "Le drame Ethiopien" de Henri de
Monfreid, 1935, chapitre 2, La mort de Bernard. Page 59.
Dongradi est plus âgé, vingt-huit ans peut-être. pur type corse aux yeux sombres; sérieux et doux, des yeux qui se souviennent. Grand front sculpté, le nez bourbonien, le menton volontaire,
et encore les yeux, on y revient toujours, tant ils captivent par toute âme qui s'y concentre, une âme un peu triste, veloutée de bonté et de rêve. Il parle peu, très calme, réfléchi, observateur. Il n'a aucune prétention à conquérir l'âme indigène, lui, il reste ce qu'il est: un soldat discipliné et ponctuel, soucieux du bien-être de ses hommes, ferme et toujours juste. ---------------------------- En silence, Dongradi souffre un peu de sentir son collègue parfois distant ne comprenant pas toujours comme il le souhaiterait son désir de collaborer plus intimement. Bernard est trop jeune encore pour se pencher sur une âme repliée et ne sait pas encore y découvrir le dévouement qui s'offre. ----------------------------- La camionnette, dans la nuit du 16 au 17 février, arriva à Dikil. Dongradi et Bernard soupèrent ensemble gaiement, après avoir lu les nouvelles de France. Demain Dongradi ira à la station d'Ali-Sabiet avec l'une des deux camionnettes et emportera le courrier. Bernard, resté seul devant sa table, éclairée par une lanterne de tempête, répond aux lettres de France. Dans un coin un gamin de sept ou huit ans, roulé dans son tob, dort sur une natte et rêve tout haut. C'est un orphelin que Bernard a élevé, un petit Somalien trouvé errant après un combat. La nuit, passe, très douce, imagée de chers souvenirs, plein de tendresse et d'amour. Plusieurs fois le jeune homme tente de se coucher, mais le sommeil ne veut pas venir. Peut-être est-il trop fatigué par sa tournée...Il rêvait encore quand le premier coq chanta; il souriait au printemps de sa vie, ouverte devant lui comme la riante vallée descend vers la plaine fertile... A la même heure, les Assamimara revenaient du massacre et là-bas, sur la pente rocailleuse, du fond de la plaine de Gobad, les trois Issas, inconscients messagers de mort, accouraient, porteurs de l'inexorable arrêt du destin.. Dongradi partit à 13 heures pour la station de chemin de fer D'ali-Sabiet; Il serait de retour, avait-il dit, à 17 heures. Bernard, las d'une nuit d'insomnie et toutes les précédentes fatigues de ces jours passés, faisait la sieste; il dormait quand les trois Issas arrivèrent. Le sergent indigène, mis au courant de ce qui les amenait, leur dit d'attendre pour ne pas déranger le Mais le gamin avait entendu et compris de quoi il s'agissait, tout vibrant d'émotions, il alla réveiller celui qu'il appelait "père". En suivant naguère cet enfant, il avait scellé son destin! Sur pied aussitôt, Bernard interrogea les Issas. Bernard se mit en route avec une camionnette................. Pourquoi Bernard n'a-t-il pas attendu deux heures le retour de Dongradi, son collaborateur et ami? A son retour, deux heures après, Dongradi trouve le camp vide... la nuit tombe... Cette fois il n'y a plus à hésiter, Dongradi partit à pieds, à trois heures du matin, avec un seul garde et quelques partisans. Il ne laissait au poste que sept miliciens. Il dut suivre la route, de crainte de manquer la camionnette qu'il espérait rencontrer, ce qui allongea le parcours. A Timero, après 45 kilomètres, il trouva enfin le véhicule qui a transporta Bernard avec son chauffeur et deux gardes... le véhicule est vide... Dongradi part aussitôt, suivant les traces tant bien que mal... Un groupe d'Issas rencontré venant de l'ouest lui parle d'un combat qui a lieu ce matin; beaucoup de tués et le kawaga a disparu ... Dongradi a maintenant le pressentiment d'un grand malheur... il se raidit, il repart, il faut savoir à tout prix, mais il est exténué: il a fait soixante-cinq kilomètres depuis trois heures du matin... Dongradi apprend la terrible nouvelle, Bernard a été tué... Dans ce profond silence du désert il se sent seul, horriblement seul, maintenant que ses amis, ses frères d'âmes ont disparu... Des larmes lourdes et chaudes débordent ses paupières brûlées, et, cet homme si fort, si maître de lui, éclate en sanglots comme un enfant.... Dongradi reste une seconde immobile, devant la majesté de la mort... Il paraît insensible, submergé d'horreurs; sa sensibilité est bloquée, il agit automatiquement pour faire ce que le devoir lui commande, les constations officielles... |
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Dernière mise à jour/ latest updating: 31 janv. 2009