Jean-Loup Chrétien : "Nous ne
sommes pas venus sur Terre par hasard..." source
Où l'on apprend, grâce au pionnier français de l'espace, qu'un enfant de
12 ans pourrait partir pour la lune (mais que ce n'est pas recommandé) et que
l'apesanteur décuple les capacités de récupération physique. Second de nos
deux chats "spécial espace" organisés avec france5.fr en direct de
Houston à l'occasion du lancement de la mission STS-111.
Modérateur Bonsoir à toutes et à tous et bienvenue sur le chat de
l'Internaute.
Bonsoir, Jean-Loup Chrétien ! Merci d'être avec nous ce soir.
Quel est votre rôle aujourd'hui dans le cadre du départ
de Philippe Perrin ?
Jean-Loup Chrétien Je suis ici pour aider la NASA au niveau des
relations publiques.
La France ne vous manque pas trop ?
Ah si ! La Bretagne me manque terriblement...
Combien seriez-vous prêt à payer pour être à la
place de Philippe Perrin ce soir ?
Je ne paierais pas, mais je serais prêt à sauter sur l'occasion si elle se présentait.
Avez-vous préféré la compagnie des astronautes
soviétiques ou US ? Dans quelle fusée mange-t-on le mieux ?
Je n'ai pas de préférence posée en ces termes. C'est plus une question de
personnes, d'individualités. Déjeuner et dîner sont très "business
class".
Quel est votre film préféré en matière de conquête
de l'espace ?
"2001 Odyssée de l'Espace", sans conteste.
Que pensez-vous des touristes de l'espace ?
C'est le début d'une nouvelle forme d'exploration. Au début du siècle, le phénomène
de l'aviation pour millionnaires était comparable. Le ticket est aujourd'hui à
20 millions de dollars !!!
Qui a choisi Philippe Perrin pour partir dans
l'espace ?
C'est le directeur des astronautes de la NASA, Charly Précourt, sur ma propre
soumission.
Quelle langue parle-t-on dans la station
internationale ? L'anglais, j'imagine... N'est-ce pas un peu dommage ?
Nous parlons deux langues officielles : l'anglais et le russe.
Ca fait quoi d'être "héros de l'Union soviétique"
?
C'est une très haute décoration nationale russe. J'en suis très fier et très
reconnaissant envers la nation russe.
Votre mot préféré en russe ? Et en anglais ?
En russe, mon mot usuel est "Bonne Route" et en Anglais, "Go to
hell" :-))
Comment décririez-vous la vision de la Terre vue de
l'espace ?
Une immense boule bleue, dans un ciel noir d'encre. Il fait grand-jour et en même
temps, il fait nuit : c'est le grand paradoxe. Ajoutez à cela la sensation de
flottaison, totalement extraordinaire ; et le sentiment d'autonomie avec la
propulsion mécanique, bien présent.
Connaissiez-vous Youri Gagarine ?
Non, malheureusement. Il est décédé quelques années avant mes premiers entraînements
en Russie.
Pourquoi ne va-t-on plus sur la lune ?
Parce que c'était un challenge politique, et l'affrontement Est-Ouest n'est
plus de mise...
Votre père était marin. Pourquoi avoir préféré
l'espace à la grande bleue ?
J'ai toujours aimé me singulariser. J'adore cependant la mer et je pratique la
navigation, essentiellement en Bretagne et en Floride.
Quel est votre pronostic pour le match de demain
(France-Sénégal). Au fait, on fait du sport dans l'espace ? Y a-t-il une vraie
fatigue physique ?
1-0, à mon sens. Oui, le sport est même obligatoire quand le vol dure plus de
10 jours. La fatigue est identique au monde terrestre, mais l'apesanteur décuple
nos capacités de récupération.
Aujourd'hui on banalise les vols (quasi tous réussis)
d'Ariane et les décollages des navettes américaines. Avec quelle nouvelle découverte
ou conquête, selon vous, sortira-t-on de cette banalisation ?
C'est banalisé, effectivement, pour le spectateur. Pour ceux qui l'orchestrent,
la progression unitaire vol par vol est bien réelle et nous espérons synthétiser
nos expériences avec ISS pour base d'entraînement avec des vols spatiaux
lunaires ou martiens.
Pensez-vous qu'Ariane s'envolera avec des hommes à
bord un jour ?
Elle avait été conçue pour cela au début, mais ça n'est plus réaliste.
Cela nécessiterait de très grosses modifications.
Croyez-vous aux extra-terrestres?
Il ne faut pas dire non. Mars est une planète très proche de la structure de
la Terre et fossilisée (preuves scientifiques). Il y a des milliards de
galaxies dans l'Univers. Les chances existent donc bel et bien,
statistiquement...
Y a-t-il encore des risques d'accident au décollage
?
Hélas, oui. Nous en sommes parfaitement conscients, à hauteur de 1 pour 250 à
300 vols. Nous ferons mieux à l'avenir, en changeant la technologie des
boosters.
Vous êtes aujourd'hui consultant pour une filiale
de la Nasa, ça doit être quand même moins excitant...?
Ce n'est pas tout à fait cela. Je devais voler à nouveau, mais j'ai été
victime d'un accident dans un magasin Home Depot (35 kg sur la tête !). Je suis
vice-président d'une filiale de la Nasa, nous travaillons sur les futurs véhicules
spatiaux.
Bonjour Jean-Loup ! Je suis très heureuse de vous
parler. J'ai travaillé pendant quatre ans à l'Euro Space Center comme
monitrice pendant les vacances. J'y ai rencontré Dirk Frimout, qui a avalé une
mouche dans sa bière (je n'ai jamais osé lui dire qu'il y en avait une dans
son verre !!!). Ma question : Faut-il manger des mouches pour être astronaute ?!!!
Non, plus sérieusement, pourriez-vous nous raconter votre meilleur souvenir de
mission ? Merci.
Mon meilleur souvenir, c'est la sortie extra-véhiculaire : plus de 6 heures
dans l'Espace. Inoubliable !
Avez-vous encore des rêves à réaliser ?
Aller sur Mars. Si c'est dans quinze ans, j'ai encore mes chances... C'est tout
à fait plausible (il faut boucler le projet ISS et le programme Mars devrait
prendre le relais).
Un enfant de 10-12 ans pourrait-il aller dans
l'espace ?
Techniquement, oui. Du point de vue des responsabilités c'est, par contre,
totalement exclu.
Avez-vous eu peur pour votre vie à un moment dans
l'espace ?
Peur, non, pas réellement; cependant je me suis pas mal inquiété lors de ma
sortie extra-véhiculaire. Nous arrivions à la fin de nos réserves d'oxygène
et la porte du sas était grande ouverte !!!
Que faire pour ressentir de la manière la plus
proche possible les sensations d'apesenteur ?
Sans aucun doute pratiquer la plongée sous marine : pas trop loin du fond pour
la sensation de flottaison.
Les meilleures sensations, c'est dans un Mirage F1
ou dans un Soyouz ?
Ce ne sont pas les mêmes : les deux sont excellentes.
On dit souvent d'une retraite qu'elle est "bien
méritée". La vôtre, vous la méritez vraiment, mais aurez-vous un jour
l'envie de la prendre ?
On ne me donne pas vraiment le choix : plus les années passent et plus j'ai de
responsabilité et de travail. J'aimerais bien cependant lever le pied de temps
à autre.
Croyez-vous en Dieu?
Dieu sous toutes ses formes. Nous ne sommes pas sur cette planète par hasard.
Le retour sur Terre est-il déprimant ?
Non, pas vraiment. Cette sensation de spleen est plutôt à réorienter vers une
vraie volonté de nouveau départ.
Quel sont les trois objets que vous emmèneriez sur
une île déserte ?
Mon orgue électronique, un livre blanc et un stylo (accessoirement un télescope
pour regarder les étoiles).
Et l'astrologie, qu'en pensent les astronautes ?
Cela touche à la superstition. Les signes avant-coureurs sont nombreux, mais je
n'y attache que peu d'importance.
Combien pèse une combinaison d'astronaute ?
Il existe deux types de combinaisons. Celle du départ/retour pèse environ 22
kilos, celle pour les sorties dans l'espace est encore plus lourde : elle pèse
près de 100 kilos (plus qu'un véritable scaphandre !).
Qu'est-ce qui vous passe par la tête au moment du décollage
de la fusée ?
Nous sommes très attentifs à ce moment précis, surtout sur la check-list en
cas de problèmes imprévus. Il faut être particulièrement agile avec les
claviers. Trois écrans sont à surveiller en permanence.
Avez-vous vu "Stars Wars", épisode 2 ?
Je ne l'ai pas encore vu mais je suis assez fan de la saga.
Combien de mois vous êtes-vous entraîné avant
votre premier départ ?
Deux ans. Et plus longtemps encore pour les missions suivantes (vol de longue
durée + sortie).
Que pensez-vous de la réduction des vols de la
navette ?
Je crois que nous sommes au plancher. Nous ne pouvons pas réduire à moins de 5
à 6 vols annuels.
Quelle est la durée de vie de l'ISS ?
Entre quinze et vingt ans environ. C'est à dire beaucoup plus que pour Mir, qui
devait durer cinq ans.
Pourquoi encore envoyer des hommes dans l'espace,
plutôt que des machines ?
Les robots informatisés ne résolvent rien, on ne peut les envoyer systématiquement
à notre place. C'est comme dans l'informatique, d'ailleurs !
Combien de personnes travaillent sur le vol de la
navette de ce soir ?
C'est considérable. De près ou de loin, 15 000 personnes sont aujourd'hui
impliquées. C'est un minimum. Ce chiffre est peut-être à doubler...
Que voulez-vous dire à Philippe Perrin avant son départ
?
Good Luck !
Où serez-vous au moment du décollage, et que
penserez-vous ?
Je serais au "Press Center". Ah ça, j'en aurai des choses à
penser... Je n'ai pas pu faire mon dernier vol à cause de mon accident chez
Home Depot...
Avez-vous pris la nationalité US pour éviter la
limite d'âge des spationautes européens ?
Non, pas réellement. J'ai quitté l'administration française à 60 ans. La
NASA m'a pris avec une Green Card (c'est un cas exceptionnel dans son histoire).
Par rapport aux années 80, la notion d'aventure
n'est-elle pas aujourd'hui érodée ?
Je ne pense pas. Les conditions sont un peu différentes : les nouveaux outils
et les nouvelles technologies maintiennent le plaisir intact.
Modérateur Un très grand merci à Jean-Loup Chrétien de nous avoir fait l'amitié de sa participation. Retrouvez toutes les informations sur la mission STS-111 et le décollage de la navette spatiale en direct sur www.france5.fr/espace. |