"Votre demande revient encore refusée". C'est ainsi que mon chef à Saumur, le capitaine de Castelbajac, venait m'annoncer, une fois de plus, le rejet de ma demande de mutation pour l'Aviation.

On était en février 1922. J'étais lieutenant instructeur, au cadre bleu de l'Ecole de Cavalerie de Saumur ; avec une automaticité persévérante j'établissais tous les deux mois une demande pour passer dans l'Aviation, et régulièrement cette demande revenait refusée. Malgré sa magnifique participation dans la première guerre mondiale, l'Aviation n'était guère prisée d'un grand nombre des chefs de l'Armée. Je ne donnerai comme exemple que l'avis du général commandant l'Ecole de Saint Cyr en 1923, avis que je trouvais exprimé dans les notes d'un jeune officier affecté dans mon escadrille à Thionville : " officier médiocre, pourra faire un aviateur ". La justice, qui pour une fois était venue honorer la terre, a voulu qu'une fille de ce général épousât un officier d’aviation

Pour ma part, je ne comptais plus les demandes que j'avais faites depuis la toute première rédigée bien péniblement au début de 1915 dans les sables inondés des lugubres tranchées de Nieuport et de l'Yser.

Ce ne fut qu'aux mutations de juin 1922 que mon affectation était prononcée pour le 1er régiment de Chasse à Thionville. En ce même mois de juin, je perdais mon beau-frère, le capitaine Bonneton, tué dans un accident aérien à Bruxelles. L'aviation perdait en lui un de ses plus valeureux officiers aux 9 victoires, un des espoirs de notre arme pour l'après-guerre. A ses obsèques, son admirable chef qu'était le commandant Houdemon, commandant le 1er de Chasse, dans un naturel élan de son extrême délicatesse demandait à ma mère si elle n'exprimait pas le souhait de l'annulation de ma mutation. Cette mère angoissée mais au coeur vaillant et noble lui répondit : "Mon fils est là pour remplacer mon gendre, dans votre régiment".

Entré dans l'Arme, il fallait y faire sa place, et ce n'était par une petite affaire dans ce milieu d'anciens au passé brillant. A cette époque on commençait le pilotage dans le régiment même. On partait seul sur un vieil avion de la guerre, dont les ailes avait été rognées et que l'on baptisait du nom de pingouin (!) parce qu'il était, en principe, incapable de décoller. Le problème avec cet engin bizarre consistait à essayer de rouler en ligne droite et ces débuts, pour tous ceux qui n'étaient pas à bord, constituaient un spectacle des plus amusants. En effet le débutant, par crainte, ne mettait jamais assez de moteur pour donner une suffisante efficacité aux gouvernes et il transformait rapidement la ligne droite avidement souhaitée, en des virages involontaires à droite et à gauche qui souvent se terminaient par un capotage magistral !