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5  SMB2 EN OTASE                           

Une autre aventure: CONVOYAGE VERS ISRAËL par René SANSILVESTRI    ...À peine le réacteur coupé qu’une échelle était mise en place et un pilote israélien montait, coupe de champagne à la main, pour nous accueillir. Je n’ai jamais tant apprécié le champagne...
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La plupart d’entre nous ne savent pas ou ont oublié qu’un traité équivalent à celui de l’Otan fut établi en 1957 pour les pays du sud-est asiatique est conclu entre les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, l’Australie, la Nouvelle Zélande, le Pakistan, les Philippines, la Thaïlande et la France. Il fut bien évidemment appelé : Organisation du Traité de l’Asie du Sud-Est ou O.T.A.S.E.
Nos grands chefs décidèrent que l’armée de l’air devait participer aux manœuvres aériennes organisées en 1961, dans le cadre de ce traité et se déroulant en Thaïlande.

Pour représenter dignement la France il fallait choisir parmi l’élite de la défense aérienne. Choix sans doute délicat puisque ce fut finalement une désignation mixte :
- 5 SMB2 avec une quinzaine de pilotes des 10ème et 12ème Escadre (C.P. et S.C.P.)
- le support logistique, mécaniciens et équipements, transporté à bord de 4 Noratlas
- l’opération placée sous commandement de la 10ème Escadre.

Pour l’époque, compte tenu des moyens existants en matière d’équipements avion et d’infrastructures terrestres, « projeter » 5 SMB2 à l’autre bout de la planète constituait un « challenge » intéressant.
Il fut, bien entendu, relevé dans l’allégresse et sans aucun état d’âme (pour les heureux élus !).

Le Marcel Dassault SMB2
Il me paraît souhaitable de rappeler, principalement pour nos jeunes camarades qui n’ont pas connu cet excellent appareil, quelques-unes de ses caractéristiques, au regard des conditions et contraintes d’utilisation pour un aussi long déplacement. Premier intercepteur français supersonique en palier il disposait, avion lisse, avec 2 100 kg de pétrole, d’une autonomie de vol limitée et variant entre 30 minutes et 1 heure selon l’altitude et le régime utilisés. Le démarrage du réacteur Atar s’effectuait au moyen d’air fortement comprimé fourni par de volumineuses et très lourdes bouteilles extérieures à l’avion, montées sur roulettes (équivalentes à celles du Boeing 707 type A qu'il avait dans les soutes pour un démarrage autonome). Ce système privait l’avion d’autonomie de démarrage et constituait un handicap important en dehors de la majorité des terrains français non affectés à des escadres D.A.T. et, à fortiori, sur ceux des pays étrangers. En plus du compas gyro directionnel l’aide à la navigation reposait, sur les pays sans couverture radar (hors Otan), essentiellement sur un radio compas dont on connaît la sensibilité aux phénomènes radio électriques, tels que les orages. Les liaisons radio étant assurées au moyen d’un poste VHF. à 12 fréquences (sous réserve d’avoir mis en place avant le décollage les quartz correspondants) et d’un poste UHF utilisable, avec les terrains militaires, dans le cadre de l’O.T.A.N.

La préparation du déplacement
Les moyens logistiques indispensables au support de l’opération furent définis par l’équipe des mécaniciens de la 10. Le groupe de transport basé à Orléans-Bricy reçu pour mission d’assurer, avec 4 Noratlas, les acheminements des personnels et matériels nécessaires au bon déroulement du déplacement et de la mise en œuvre des 5 avions durant un mois. Je fus chargé par le Commandant d’Escadre de constituer un petit groupe de pilotes pour préparer la partie navigation du trajet. Heureusement, nos amis du G.L.A.M. de Villacoublay purent nous procurer de la documentation sur les terrains susceptibles de nous accueillir ainsi que quelques cartes, plus ou moins récentes, des régions à survoler. Les SMB2  étant équipés voyage (2 bidons de 1 000 kg de pétrole) le temps de vol maximum pour une croisière à 30 000 pieds et une arrivée verticale était de 1h45. Ce qui nous laissait une réserve de 700 kg pour la percée éventuelle et l’atterrissage. Ce paramètre ajouté à d’autres données telles que : infrastructures des terrains potentiels, support local éventuel (Escale Air France), autorisations de survol accordées, aboutit au choix des étapes journalières suivantes : Creil – Brindisi – Ankara – Téhéran – Bahreïn – Karachi – New-Delhi – Calcutta – Bangkok avec une extension à Saigon et quelques « stop » en cours de chemin. Les terrains de dégagement possibles étaient plutôt limités, voire inexistants, au cours de certaines étapes. De plus, ils comportaient souvent de sérieuses contraintes par exemple :
Téhéran – Bahreïn. Secours possible : Tabriz
-  piste en dur : 1 880 mètres Altitude 4 400 Pied
- du fait de l’altitude : longueur de piste ramenée à 1 660 mètres
- décollage pleine charge pétrole avec P.C. possible si température extérieure est inférieure à 12° celcius.
Bahreïn – Karachi. Secours possible : Sarjah  
- piste en sable compacté: 1600 mètres
- pas de décollage pleine charge
- occupation du terrain incertaine (R.A.F.?)
- en cas de pluie (c'est la saison!) le terrain est impraticable.

Pour assurer la meilleure sécurité possible (météo, liaisons radio), le dispositif suivant fut adopté: 
1-  décollage des SMB2 en 2 patrouilles de 3 et 2 avec un intervalle de 15 à 20 minutes
2-  1 Noratlas précurseur sur le terrain de destination avec un contrôleur d’approche français à son bord

3-  1 Noratlas en vol sur la fin de l’étape
4-  1 Noratlas en vol sur le début de l’étape
5-  1 Noratlas récupérant le matériel après le décollage des SMB2 et fermant la marche

Par ailleurs, afin de perfectionner et de mettre en pratique notre phraséologie en langue anglaise, les pilotes désignés effectuèrent des exercices de percée (QGH et GCA) sur les terrains de Laon et d’Evreux sur lesquels étaient, à l’époque, basées des unités de l’USAF. Ainsi, après plusieurs semaines de préparations intensives, toutes les équipes étaient fin prêtes et enthousiastes à l’idée de réaliser, enfin, ce grand périple.

Le voyage aller
La météo a mis son nez dans l’opération en étendant un épais voile de brouillard sur la région de Creil, le jour prévu pour le départ. Il fut donc reporté avec pour seule consigne : « décollage dès que le brouillard se lèvera ».
C’est chose faite dans la matinée du 20 février 1961 et, chacun se précipite pour récupérer sa valise en « stand-by » à son domicile ; laissant parfois sur le coin de la table un petit mot du style « Au revoir chérie, je suis parti pour un mois. Je t’embrasse… »

La première étape vers Brindisi se déroule sans fait notable.
Le lendemain matin décollage vers Ankara avec survol du Péloponnèse.
Terrain d’Ankara en vue, la première patrouille menée par le Capitaine Ortolo est bientôt face à la piste, en échelon, et prépare son « break ». Soudain, le leader ressent une baisse brutale de régime, suivie par l’extinction du réacteur. Aucune alternative possible à une altitude de l’ordre de 500 pieds : éjection immédiate !
L’avion s’écrase un peu avant l’entrée de piste tandis que l’éjection se déroule sans problème pour le leader qui se pose comme une fleur, à quelques centaines de mètres de son avion.
L’équipier a indiqué avoir eu juste le temps d’apercevoir l’entrée d’air du SMB2 de son leader aplatie avant de lui passer devant.
L’enquête menée ultérieurement, conclura à « une collision avec un volatile ayant provoqué l’écrasement de l’entrée d’air du SMB2 avec, comme conséquence, l’extinction du réacteur »…
Arrivée très remarquée qui eut les honneurs de la presse et déjà, un de chute à la seconde étape !…
Cet accident, heureusement sans conséquence humaine, a quelque peu entaché les relations avec nos hôtes. La situation étant, par ailleurs, tendue car, suite à un problème de communication entre la FRANCE et la TURQUIE, les hauts représentants de l’armée de l’air turque nous attendaient sur le terrain d’Eskisehir, situé à quelque 200 km plus à l’ouest !

Ankara 
Profil bas. Oublions vite, en espérant trouver des cieux orientaux plus cléments.  

Téhéran
Nous y apprécions la chaleur de l’accueil des Persans et la finesse du caviar (sans modération)… Passage obligé au bazar dont les boutiques regorgent d’or et de tapis (c’est toujours vrai). Dans le quartier des tisserands les tapis sont disposés à même les trottoirs et la chaussée. Ainsi livrés au foulage des piétons et des véhicules, ils requièrent de la souplesse et de la patine (çà n’est plus le cas). C’est ici que nous avons vérifié le bien fondé de la réputation d’excellents commerçants des orientaux, ainsi que la force et la valeur sacrée de la parole donnée. Cette appréciation ne fera que se renforcer au fur et à mesure de notre avancée vers l’est.
L’anecdote suivante en est un exemple:
Intéressé par un tapis chez un « bazari » celui-ci, devant mon indécision à conclure, me proposa le marché suivant : « Laissez-moi un acompte et emportez le tapis. Puisque vous repassez à Téhéran dans trois semaines, vous me réglerez le tapis si vous souhaitez le garder. Sinon, vous en choisirez un autre ». C’est exactement ce que je fis. A partir de là, les Noratlas se mirent à prendre des Kg d’embonpoint…

Bahreïn
Nous nous retrouvons au milieu de nulle part. Dans cet endroit perdu, la distraction préférée des autochtones consiste à effectuer des aller et retour, avec leurs grosses américaines, sur les quelques kilomètres d’une autoroute qui aboutit en plein désert…

Karachi
Premier choc avec le sous-continent indien et l’Islam : grande pauvreté et régime sec. Pas question d’apprécier sous le chaud climat du pays une « petite mousse » bien fraîche

New Delhi
C’est l’Inde et sa population grouillante et colorée. La ville nous permet de gonfler encore nos bagages avec, ses châles de cachemire (le véritable passe aisément au travers d’une bague), et son artisanat d’excellente qualité.

Calcutta
C’est le moment d’un nouveau choc. Nous avons l’impression d’être plongés dans le moyen-âge en traversant la banlieue miséreuse, transportés dans un bus qui a tout du char à bœuf, muni d’un moteur et d’une volumineuse trompe à poire en guise d’avertisseur. Les « pousse-pousse », tirés à bras d’homme, véhiculant leurs clients à travers la ville en trottinant. Lorsque la nuit tombe, les trottoirs sont encombrés par les gens qui s’y allongent pour dormir. Il faut les enjamber pour rentrer à l’hôtel ! Au petit matin, une charrette passe et emporte les corps de ceux qui ne se sont pas réveillés. Ils iront alimenter les bûchers crématoires, qui brûlent sans discontinuer, sur les bords du fleuve Hooghly… Que d’émotions fortes et de découvertes enrichissantes vécues, au cours de ce périple dont le terme est maintenant tout proche.

La dernière étape
Pour donner une certaine solennité à notre arrivée à Bangkok, la première patrouille est constituée par le chef des Ops et le commandant de base. La météo recueillie par le canal de la KLM (via Amsterdam !) donne, à l’arrivée une base des nuages située vers 10 000 pieds et 20 milles de visibilité sous la couche: un vrai temps de colonel me direz-vous. Le décollage est donc décidé.
1ère difficulté: La visibilité horizontale n’est pas terrible à Calcutta. Il y a de la brume sèche dans les basses couches, alimentée par une bonne dose de pollution provenant de la ville. Dans ces conditions, le numéro 2 perd son leader de vue au décollage et ne parvient pas à rassembler. Compte tenu de la sécurité pétrole à conserver, il n’est pas question d’orbiter à basse altitude pour tenter de se retrouver. Chacun part donc au cap et à la montre.
2ème difficulté: Quelque part, au-dessus de la Birmanie, le leader constate que son radio compas est HS. C’est trop tard pour faire demi-tour et il ne peut pas compter sur son équipier pour percer ! Espérons et prions pour qu’il y ait quelques trous à l’arrivée pour passer sous la couche… 
3ème difficulté: Il tombe des cordes à Bangkok ! Un vrai temps de cochon… Il y a incontestablement un zéro de trop dans la prévision de « visi » obtenue à Calcutta. Quant au plafond il est indéfinissable. Réactions de l’échelon précurseur : « Avec ce temps ils ne vont pas venir ». Le contrôleur d’approche n’est pas présent, avec les permanents américains, dans la salle de contrôle. Tous les ingrédients d’un solide scénario catastrophe sont donc réunis mais, hélas, il ne s’agit pas d’une fiction car « SIE KOMMEN ». Comme entrée en matière, nous assistons à la spectaculaire remise de gaz, d’un 707 d’Air France, qui a manqué la piste. Pendant ce temps, le numéro 2 est arrivé verticale balise Bangkok, sans avoir de contact avec l’approche, effectue sa percée radio compas. Il se retrouve sous la courbe à basse altitude, dans la pluie et avec une visi très médiocre. Il se met alors à circuiter en recherchant le terrain dans les environs, tout en continuant à lancer des appels sur la fréquence. Il entend bien quelques échanges mais, personne ne répond à ses appels de plus en plus pressants (pas le bon accent sans doute !) et les noms d’oiseaux rares et les apostrophes se mettent à voler sur les ondes ! " Toi le cow boy, si je t'attrappe, je vais te tirer les moustaches..." en est un example. Le pétrole descend dangereusement et la 10 minutes de vol (150 kg !) se met à clignoter. Il devient donc urgent de rechercher quelques rizières, assez accueillantes pour s’y crasher …
Leader de la 2ème patrouille CZERNYJ alias « Cul d’ours » arrive, fort à propos, sur la fréquence et prend immédiatement conscience de la situation et de sa gravité. Il lance aussitôt le message salvateur « Attention ! le terrain est situé à 30 km dans le nord de la balise »…
Dans le même temps, l’IFF déjà passé sur mode « Emergency », finit par attirer l’attention des contrôleurs américains pas très vigilants, devant leurs écrans radars, mais, par ce temps, ils n’ont pas de compatriote en l’air … Ils réagissent enfin, rapidement et, à l’aide de quelques solides « Steer base » ramènent notre équipier vers le terrain pour un atterrissage direct « Priority number one ». Ouf !… C’était vraiment juste et nous avons eu très chaud.
Mais, qu’est-il advenu du leader dont l’arrivée est attendue dans le même espace de temps ? Ayant poursuivi sa navigation à l’estime sans avoir trouvé un trou dans la couche nuageuse, il dépasse son HEA (Heure Arrivée Estimée) à Bangkok en mettant le cap sur le Golfe du Siam. Lorsqu’il pense être suffisamment en mer il effectue alors une percée « Kamikaze » et passe sous la couche, évitant ainsi les obstacles potentiels du relief. Ensuite, cap au nord et à basse altitude pour rejoindre la côte, tenter de s’y repérer, de gagner l’embouchure du fleuve Chao Phraya puis de le remonter jusqu’à Bangkok. Toute la manœuvre se payant, bien entendu par la disparition de la sécurité pétrole et sans avoir la certitude de pouvoir gagner le terrain. La fréquence de l’approche est, heureusement, devenue très animée entre temps. L’IFF de notre leader est enfin détecté alors qu’un lumignon rouge, peu sympathique, éclaire déjà le cockpit (la lampe des dix minutes de vol au maxi range restant, la consigne étant de prendre le top quand elle s'allumait). C’est donc d’un œil inquiet qu’il scrute le sol, peu engageant, défilant sous lui. Malgré sa noirceur, le ciel restera clément. La piste n’aura jamais été atteinte avec autant de soulagement. Deux fois Ouf !…
Nous avons alors pu voir une concrétisation incroyable de l’expression « Mouiller la liquette ». En effet, nos deux « gaziers » sont sortis de leur taxi avec la combinaison « anti-g » entièrement mouillée des pieds à la tête : pas 1 cm2 de sec ! (Je vous assure que ça n’était pas dû à la moiteur ambiante). Quant à leur visage, ils reflétaient l’extrême intensité et la violence du stress vécu :
Dé…com…po…sés….
En fait d’arrivée en fanfare, nous sommes passés « raduc » d’un retentissement « couac ».

Bangkok
La préparation des manœuvres a rapidement repris ses droits avec les briefings aux divers participants basés à Bangkok. Notre mission qui consistait à réaliser des interceptions sur des « bandits » n’a pas présenté de difficultés particulières. Nous avons eu le plaisir de tirer quelques « Voodoo » US tout surpris d’être piégés par des avions « frenchies ». Une rotation bien organisée du personnel nous a permis de visiter largement Bangkok, de compléter la collection de souvenirs  (soieries, pierres précieuses, véritables antiquités ou ménagères en bronze…) et, de faire  connaissance avec des massages locaux réputés et très relaxants… 

Saïgon
A part quelques lustres du palais présidentiel et vitrines de la rue Catinat, les Saïgonnais ont apprécié le double bang introduisant ma présentation, à basse altitude, sur le port. Cette escapade, à Saïgon, nous a valu une réception très chaleureuse et enthousiaste de la part de la colonie française et de notre ambassade. Après toutes ces fortes émotions et journées bien remplies, le moment de prendre le chemin du retour était, hélas, arrivé.

Le retour
Nous avions jusqu’alors laissé en sommeil d’importantes préoccupations à propos de l’étape Karachi – Bahreïn. En effet, nous avions appris, à l’aller, qu’un jet-stream puissant (100 à 120 Kts) souffle sur cette branche, d’ouest en est, pratiquement toute l’année. Nous l’aurions donc dans le nez. De plus, à ces latitudes, la tropopause se situe très bas et, avec nos gros bidons, pas possible de grimper plus haut, sauf à utiliser la P.C.
Karachi
C’est l’ambiance préparation « grand raid » et « Adieu camarades ». Tout le monde est, en effet, conscient qu’il y a un grand risque pour que « ça ne passe pas… »
Composition des paires :
1ère patrouille:
Leader : Capitaine Camus (dit : le P’tit), Commandant l’escadron 2/10 Equipier : Damestoy ou « Pepito » du 2/12
2ème patrouille 
Golain accompagné de Chévrier ou « Jo la chèvre » du 2/12
Météo : 8/8 d’altostratus vers 15 000’ sur l’ensemble du trajet. Bonne visi sous la couche.
- Terrain de secours : Sarjah dont l’occupation est incertaine et sa piste en sable de 1 600 mètres.
- Les avions sont parqués sur le taxiway, à l’entrée de la piste 27, pour supprimer le roulage
- Le plein des réservoirs externes est effectué avions sur vérins, en ligne de vol, pour ne pas manquer 1 kg de pétrole.
- Mise en route après autorisation de décoller donnée par la tour .
- Décollage type décollage sur alerte, prise directe du cap, l’équipier rassemble pendant la montée « Alea jacta es »…
Après avoir traversés, durant la montée la couche d’altostratus nous nous heurtons bientôt à la tropopause vers 25 000 pieds. Conséquence : réduction de la distance franchissable de plus de 10% sans l’effet du vent mal connu en altitude. Pas question d’utiliser la P.C. pour grimper à 30000 pieds car nous aurions alors besoin d’un régime plus fort pour y tenir et risquerions, très fort, de perdre encore plus en distance franchissable. Le survol, au-dessus des nuages, de la mer d’Oman se poursuit donc dans ces conditions. Après environ 1h40 de vol, le numéro 1 commence à appeler Bahreïn approche. Le contact est rapidement établi et le contrôleur donne ensuite régulièrement des QDM., sans indication de distance car il n’y a pas de radar d’approche. Ces caps restent désespérément station avant et le temps s’écoule inexorablement.
La lampe rouge des dix dernières minutes de vol ne va pas tarder. Il n’y a pas d’alternative et il faut continuer en espérant enfin, arriver verticale. Soudain, « le P’tit » annonce « Extinction réacteur, je commence à descendre !… »
Silence angoissé sur les ondes … et puis miracle !… Le leader ayant traversé la couche nuageuse annonce : « Je suis verticale terrain… ». Il effectue alors une magistrale prise de terrain et un impeccable atterrissage, turbine coupée (ils sont bien utiles les exercices d’Acontucou (1) !)…
Mais où est passé notre ami « Pepito » pendant ce temps ? 
Lorsqu’il a senti la situation virer vers le rouge « Pepito » a cessé de « branler la manette » et se fait distancer par son leader. Il commence ensuite une descente lente, régime réduit, toujours au cap vers Bahreïn. Il traverse ainsi la couche nuageuse et, à la sortie, divine surprise : l’île de Bahreïn et le terrain sont en vue à quelques kilomètres sous son nez! Il n’a plus qu’à continuer la descente, manette dans la poche, et atterrir dans la foulée. Il lui restera suffisamment de pétrole pour rouler jusqu’au parking avant l’extinction réacteur!… « Well done » mais, oh combien tangent!
En voilà au moins deux à bon port. Et les autres ?
Après environ 1h30 de vol, j’ai la grande chance d’apercevoir dans un trou, bien placé la côte Est de la presqu’île d’Oman. Rapide constat : près d’un quart d’heure de retard sur l’estime ! Compte tenu du pétrole restant, et du nouveau temps calculé pour rejoindre Bahreïn, ça ne passe vraiment pas… Approchant de Sarjah, je commence à entendre les échanges radio de la patrouille me précédant, avec Bahreïn. Je comprends vite, que devant, cela sent fort le roussi. Décision : on se pose à Sarjah. Appel sur la fréquence et réponse d’un contrôleur à l’accent oxfordien. C’est bon ! Il y a au moins quelqu’un sur le terrain. Sans gisement radio compas sur la balise j’apprends, par le même canal, qu’à la suite de travaux le câble d’alimentation a été sectionné. Exit, le radio compas…
On va donc faire sans, en continuant le vol de manière à percer en mer puis revenir vers la côte et rejoindre le terrain. Heureusement, il n’a pas plu depuis deux jours et l’atterrissage sur la piste en sable s’effectue normalement. Nous découvrons, alors, qu’un escadron de Hunter est stationné sur le terrain. Sauvés ! Nous aurons du pétrole pour regagner Bahreïn demain. En attendant, il faut intercepter le Noratlas « balai », indispensable, avec ses bouteilles à air comprimé nécessaires pour notre mise en route (pour cela, les Hunter utilisent un système percutant de grosses cartouches à poudre, placées dans un barillet, fixé sur le réacteur). Nos amis anglais de la tour s’en chargent et nous confirment bientôt l’arrivée à Bahrein de la patrouille précédente dans les conditions que l’on connaît.
Nous ressentons alors avec « Jo la chèvre » un immense soulagement.
Accueil très chaleureux de la part de nos amis anglais et rencontre surprenante, en plein désert, avec leurs traditions très « British ».
Pour le repas du soir, grande tenue : pantalons à parements, décorations pendantes. Avec « Jo » nous nous sentons, dans cette ambiance fastueuse, plutôt misérables avec nos pantalons et chemises d’été. La cravate, nous l’avions empruntée à un collègue anglais !… Le matin, réveil très sympathique avec un « Sir, your cup of tea ». Puis, le moment de rejoindre Bahreïn est arrivé : décollage bidons vides, en patrouille avec P.C. La piste n’a pas beaucoup apprécié car, notre souffle a arraché, sur quelques centaines de mètres, de larges plaques de sable. « Sorry Sir !… »
Nous venions, fort heureusement de vivre au cours de cette étape les dernières frayeurs de cette expédition extrême-orientale. Toutes les équipes : mécanos, transporteurs et chasseurs ont largement contribué grâce à leur entraînement et à leur professionnalisme, à la bonne réalisation de ce grand périple et, au retour, heureux des 4 SMB2 à Creil.

Il ne faut cependant pas oublier la part de chance indispensable pour faire pencher, dans les moments critiques, la balance du bon côté. Qui peut toutefois prétendre n’en avoir jamais bénéficié, durant sa carrière, pour devenir un vieux pilote ?…

CAPITAINE Ph. GOLAIN 2/5 -1951/1955

(1) atterrissage configuration turbine coupée

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