UN KRACH FINANCIER DANS LE TRANSPORT AÉRIEN 

UN KRACH FINANCIER DANS LE TRANSPORT AÉRIEN 
juin 2001 Jean Belotti
A.- Les faits 
B.- Recherche des causes du krach 
C.- Les solutions envisageables 
D.- La politique s’en mêle 
E.- Recherche élargie des causes du krach  
F.- Que peut-on y faire?  
G.- Conclusion 


A.- Les faits

Tout le monde a pu suivre l’évolution de la situation extrêmement difficile dans laquelle se trouvent les deux compagnies AOM-Air Liberté et Air Littoral. SRLines (filiale de SAirGroup) a déjà coupé les vivres à Air Littoral. Quant à AOM-Air Liberté, elle est en perfusion jusqu’à fin juin, dans l’attente d’un plan de restructuration interne, appât indispensable à l’émergence de repreneurs.

Qui sont les principaux actionnaires concernés?
* Pour AOM/Air Liberté (indépendamment des Fonds Alpha et d’une banque commerciale italienne):
- Taitbout Antibes (filiale de Marine-Wendel) détient un peu plus de 50% du capital,
- SRLines (filiale de SAir-Group - holding de compagnie aérienne Swissair) détient un peu moins de 50%.
* Pour Air Littoral, le principal actionnaire est SRLines avec 49% du capital, Taitbout Antibes n’en possédant que 18%
Mais on parle surtout des deux figures de proue que sont Ernest-Antoine Sellière (Président du Medef, le patron des patrons), actionnaire majoritaire au travers de Marine-Wendel (sa holding familiale) et de SAirGroup, maison mère de Swissair. 
Avec 11 milliards de francs français de perte (montant intégrant probablement l’ampleur des obligations de réparation ou de comblement de passif pour chaque filiale, en cas de dépôt de bilan), le désastre de SAirGroup est un événement sans précédent dans l’histoire économique de la Suisse, pays de la rigueur, de la précision et dont la compagnie aérienne Swissair incarnait, à juste raison, la fierté nationale. 
Devant un tel trou abyssal dans la caisse, la première question qui vient à l’esprit est de savoir comment est-il possible d’arriver à perdre le sixième de son chiffre d’affaires?   TOP
B.- Recherche des causes du krach 
1°.- Puisqu’il s’agit de compagnies aériennes, débutons par le personnel pour savoir s’il peut en avoir été la cause? Pendant des années, le personnel a montré son dévouement en travaillant dans des conditions souvent difficiles. C’est lui qui a contribué à la réputation acquise, à la qualité de l’image de marque. La réponse tombe d’elle-même. Le personnel, non seulement n’y est pour rien, mais, de plus, il n’a pas démérité. 
.- Alors, quid des Directions? La gestion d’une compagnie aérienne ne pose pas de difficultés particulières. Elle porte sur des fonctions bien connues. L’analyse d’un compte d’exploitation montre, d’ailleurs, que la marge d’action des dirigeants est très faible eu égard aux nombreuses contraintes auxquelles ils doivent faire face. 
Il convient, cependant, de vérifier que les Directions ont, d’une part été conscientes de l’existence de certaines anomalies (comme celle d’AOM, où la facture informatique, en une année, serait passée d’environ 50 à 120 millions de francs français) et ont avisé, en temps utile, leur conseil d’administration de la dégradation de la situation sur le plan financier, en indiquant - également et surtout - les causes et les mesures correctives. En effet, comment expliquer pour AOM-Air Liberté et Air Littoral, une perte de 2,5 milliards de francs l’an passé? 
.- Serait-ce, alors, l’existence des compagnies, elles-mêmes, qui serait à remettre en cause? 
Comment des compagnies qui, depuis des années, possèdent des personnels qualifiés et une flotte avec laquelle elles irriguent un réseau complémentaire à celui des grandes compagnies, peuvent-elles être remises en cause? De toute évidence, leur disparition poserait problème. Pour s’en convaincre, il suffit de voir les conséquences de la situation actuelle, ne serait-ce, par exemple, que sur la desserte des Antilles. 
Quant à Air Littoral, comment imaginer que cette compagnie disparaîtrait du midi de la France. En effet, créée il y a une trentaine d’années, cette compagnie relie dix villes françaises et vingt autres sud-européennes, avec 120 liaisons, 31 lignes directes et 200 vols quotidiens. Elle a aussi largement contribué à faire de Nice le deuxième aéroport français. Elle est la seule à permettre l'aller-retour dans la journée vers les villes espagnoles, suisses et italiennes. Son coefficient de remplissage de rentabilité ne se situant qu’à environ 60%, il est donc meilleur que celui de nombreuses autres compagnies. 
Sauf s’il est démontré que ces compagnies ne sont pas viables et d’en indiquer les raisons (passif antérieur trop lourd à résorber, réseau exploité non rentable, tarification inadaptée, etc..), ce n’est donc pas chez elles que se cache la cause première du krach. 
4°.- Force donc est de braquer les projecteurs au niveau des actionnaires, à travers les conseils d’administrations et des commissaires aux comptes, qui - comme chacun le sait - peuvent être tenus pour responsables de la mauvaise gestion d'une société et de l’approbation de bilans inexacts. 
Certes, il convient de conserver la plus grande prudence avant de donner un avis, sans avoir pu, préalablement, exploiter et analyser toutes les données recueillies. Cela étant, tout en confirmant que toutes les personnes visées devraient bénéficier de la présomption d’innocence tant que la chose n’est pas jugée, il n’en reste pas moins évident qu’il existe, à tout le moins, une forte présomption de dysfonctionnements et d’anomalies graves ayant conduit à la désolante situation actuelle. 
La faute à qui ? Remise en cause de la stratégie d’expansion de SAirGroup, qui conduit Sabena (en Belgique)et LTU (en Allemagne) "rachetées" par Swissair, à être également dans le rouge? Laxisme, incompétence à gérer un grand groupe? Mélange de responsabilités? Relations ambiguës? Intervention sur les méthodes et les organisations en place dans les filiales, conduisant à une perte totale d’efficience? Faute lourde de gestion, voire détournement de fonds? Magouilles dans le rachat d’AOM, très endetté, sans garantie de passif? Sont-elles à la clé de l’affaire? Y a-t-il eu une contre-garantie cachée, qui pourrait être l’énorme commande de 38 Airbus par Flightlease (une filiale du groupe), confirmée quelques jours après le rachat d’AOM? Une commission ou une remise, qui pourrait se situer entre 450 et 500 millions de dollars, a t-elle été effective? Est-ce le prix à payer pour le ticket d’entrée dans l’Union européenne? Est-il vrai qu’un milliard de francs aurait été distribué à des consultants? Quelle est la part de responsabilité des deux groupes d’actionnaires, l’un composé de huit personnes (Marine-Wendel) et l’autre (SAirGroup)? Ernest-Antoine Seillière n’a t-il pas de bonnes raisons de ne pas vouloir réinjecter des millions dans un puits sans fond, ayant déclaré n’être, dans cette affaire, que "passager", le "pilote-opérateur" étant SAirGroup, spécialiste de l’aéronautique, qui a comme filiale la compagnie Swissair? 
Toutes ces questions ayant déjà été posées des nombreuses fois, on est surpris par le laisser-faire, voire le laxisme approbateur des gouvernants et des Autorités de l'aviation civile qui ont délivré, puis renouvelé un Certificat de Transporteur Aérien (CTA/AOC) communautaire à des entreprises qui ne l'étaient pas, au sens du Règlement CEE n° 2407/92 (*). 
Toujours est-il que ces interrogations sur l’origine du krach peuvent être considérées comme légitimes, eu égard à l’ampleur du déficit. C’est ainsi que la COB suisse - subodorant un scandale sous-jacent - pourrait se pencher sur la fiabilité des informations financières remises par la compagnie et certifiées exactes par les commissaires aux comptes. Le Conseil d’Etat genevois (actionnaire minoritaire du Groupe) envisagerait même une plainte contre SAirGroup. 
En France, également, les réactions ne se sont pas faites attendre. Une plainte contre X a été déposée par des pilotes d’AOM. Un pilote (Fernand Danan) va porter plainte contre les dirigeants du Groupe, en Suisse, en France et en Belgique, dénonçant un déficit d’information et un système généralisé de surfacturation. 
Considérant qu’il est tout à fait normal de demander des comptes, il s’agit donc bien de démarches non catégorielles, mais de citoyens qui exigent de connaître la vérité. 
En effet, s'il s'agit certes d'un drame national pour la Suisse, il n'en est pas moins un pour la France, où près de 7.000 employés et leurs familles sont concernés, sans compter plus de 3.000 sous-traitants. 
Certes, les grèves déclenchées les 18 avril et 25 mai, par les salariés d’AOM-Air Liberté pour la défense de l’emploi, ont pénalisé la fidèle clientèle de cette compagnie, ce que tout le monde peut déplorer. Mais d’autres salariés ont aussi été contraints de recourir à ce mode de réaction pour se faire entendre, à la suite de la brutale application de plans sociaux, chez Danone, Marks & Spencer, Moulinex, Ericson, Valeo, ...     TOP

C.- Les solutions envisageables 
Au niveau de SAirGroup - après une perte de 2,9 milliards de francs suisses, l’an passé - pour reconstituer ses fonds propres, il a été procédé à des opérations chirurgicales, telle la liquidation de la compagnie suisse Balair, telle la mise en vente du parc hôtelier (chaîne Swissotel), pourtant rentable! 
Au niveau des deux compagnies françaises, l’espoir est de trouver des repreneurs. La séparation d’AOM et d’Air Liberté été envisagée. Le rachat de la société par les salariés a également été évoqué. Mais, ce qui est important à retenir, c’est que - quelle que soit la solution qui permettra d’éviter le dépôt de bilan - les effectifs devront être réduits. Les accords et usages collectifs en vigueur dans l'entreprise ont même été dénoncés. 
Finalement, quoi qu’il arrive, tous les intervenants concernés seront pénalisés: 
- une partie du personnel risque de perdre son emploi, ceux qui resteront auront perdu leur statut et les avantages acquis, 
- la clientèle habituelle sera privée de certaines lignes existantes, du fait de leur suppression, liée à la réduction d’activité, 
- les actionnaires devront ouvrir leur gousset pour participer à la rallonge, 
- le gouvernement (suffisamment préoccupé par les affaires en cours et les scandales connus) est interpellé par les conflits sociaux qui en résultent déjà, 
- toute l’industrie du transport aérien, d’une façon ou d’une autre, est touchée par ce type d’événement sans précédent, 
- l’Etat français, quant à lui, voit son image de marque dégradée. 
Il s’agit donc bien de "désorganisation" du transport aérien et non pas de "deregulation", n’est-ce pas? 
De plus, il est important de rappeler que la détérioration du climat social peut être un facteur contributif d’incidents, voire d’accidents, dont la survenance serait une catastrophe désastreuse dont certains auraient alors à rendre compte.    TOP

D.- La politique s’en mêle 
Et c’est dans ce contexte, alors que l’acuité du désastre retient l’attention de tous, que le représentant du gouvernement et celui des patrons nous donnent une triste et désolante image, dans leur joute d’invectives. 
Le ministre des transports estime que Ernest-Antoine Sellière porte une responsabilité; se lave les mains du sort des employés de la compagnie; est le représentant d’un monde impitoyable. 
Ernest-Antoine Sellière reproche au ministre communiste d’avoir monté les syndicats contre lui. Il qualifie de pitoyable et de polémique méprisable ses déclarations qui sont des gesticulations politiques. Il cherche un dérivatif à ses récents échecs électoraux. 
Certes, ce sont, tous les deux, des élus - donc habitués à ce genre d’attaques - mais, quand même, un peu de décence, face au drame qui se noue. 
Il convient d'ailleurs de faire remarquer, ici, que ce comportement agressif est d'autant plus surprenant que ces deux personnages, opposés en apparence, sont associés dans les faits. 
En effet, le gouvernement ne peut redistribuer les richesses - et à sa façon - que lorsque celles-ci ont été créées par le patronat. Quant au patronat, c’est un vrai aspirateur de grands commis de l’Etat qui continuent ainsi leur carrière dans le privé ("pantouflage") dans des conditions très avantageuses. Il n’est pas nécessaire d’être grand clerc pour imaginer les avantages que cela peut représenter pour les uns et pour les autres. Quant à la normalité d’une telle pratique, chacun l’appréciera en fonction de ses convictions et sensibilités personnelles. À qui peut-on faire croire qu’à l’intérieur même des grandes sociétés françaises, il n’y a pas suffisamment de cadres qui ont les diplômes, les capacités et l’expérience nécessaires pour être en mesure d’occuper les plus hauts postes au sein de leur entreprise?     TOP

E.- Recherche élargie des causes du krach 
À ce stade, la question qui vient à l’esprit est de savoir si, au-delà des intervenants concernés et bien identifiés, il n’existe pas d’autres raisons, plus diffuses, plus subtiles, moins directes, se situant bien en amont du constat du krach? Voyons cela de plus près, en présentant quatre commentaires. 
1°.- Notre régime politique 
Commençons, tout en haut de la pyramide, en nous intéressant à notre régime politique. C’est celui de la démocratie, dans lequel le peuple exerce, lui-même, sa souveraineté. On sait ce qu’en avait dit Winston Churchill, quelque chose comme "le plus mauvais, après tous les autres!". 
En effet, le fait qu’un candidat puisse être élu avec quelques voix de plus que 50% de celles exprimées, n’est pas une garantie qu’il soit le meilleur, loin s’en faut. Compte tenu de l'importance de l'absentéisme (parfois jusqu'à 70%), que représente ce 50% ? Ce sont alors, 16% des citoyens qui vont faire la loi dans le pays. 
De plus, pour être élu, deux conditions indispensables s'imposent. La première est de faire des promesses qui - on le sait pertinemment bien - n'engagent que ceux qui les écoutent et ne sont jamais tenues. La seconde est de systématiquement critiquer les décisions de l'opposition. Quant au comportement de l'élu, il est dicté par son désir d'être réélu et donc par les réactions potentielles de ses électeurs. 
Comment imaginer une grande famille, coupée en deux, dans sa façon d’envisager la vie en commun, les uns tirant à hue et les autres à dia, se critiquant sans cesse et se faisant de vaines promesses d’améliorations qui ne voient jamais le jour? 
Ce raccourci - certes simplificateur, donc réducteur - permet cependant de comprendre ce qui se passe autour de nous et, pour ce qui nous concerne aujourd’hui, de comprendre la nature des déclarations officielles qui sont faites, par les élus que nous avons cités. 
2°.- Notre système économique 
Enchaînons sur notre système économique et social qui est celui du capitalisme. Si de nombreuses critiques ont été portées à son encontre, c’est quand même ce système qui - depuis son émergence - a créé et distribué le plus de richesses. C’est sous son règne, au fil des ans - certes, non sans peine et sous tous les gouvernements successifs - qu’ont été obtenus les acquis sociaux dont la France peut être fière. 
Or, ce système présente certaines particularités et paradoxes, brièvement mis en exergue ci-après. 
Dans ce système, quelle est la problématique de l’entrepreneur? Elle est simple. Il est non seulement condamné à ne pas faire de pertes et à réaliser des profits, mais ces derniers doivent être plus élevés que ceux de ses concurrents. Dans le cas contraire, sa cote en bourse étant en baisse, il peut disparaître du jour au lendemain par les opérations classiques d’OPA ou d’OPE ou être racheté par des groupes plus puissants, possédant généralement la trésorerie nécessaire à la modernisation de l’outil de travail, en vue d’améliorer la productivité. Comment pourrait-on lui reprocher de procéder à des réductions drastiques des coûts pour contribuer à assurer la survie de son entreprise? En revanche, il convient d’indiquer que l’effet pervers se situe dans la tentation de faire des impasses sur la qualité des produits, sur les conditions de travail des personnels, sur leur niveau de qualification professionnelle, sur la sécurité de fonctionnement des installations. En effet, les médias nous rapportent de tels cas presque quotidiennement.  
À quoi mène cette fuite perpétuelle en avant? 
.- Monopoles et concurrence 
Dès le début de la révolution industrielle, ce sont les américains qui, les premiers - s’étant rendus compte que les situations de monopole n’étaient pas saines pour un développement harmonieux de l’économie - élaborèrent une loi antitrust. De nos jours, on sait qu’au niveau européen, la Commission a son mot à dire sur les ententes lorsque ces dernières portent atteinte à la libre concurrence. 
Retenons que la croissance par diversification verticale (acquisition en amont et en aval) et par diversification horizontale (acquisition d’entreprises aux productions identiques) sont interdites, dès lors qu’elles freinent les lois du marché. Il s’est alors développé une croissance dite conglomérale par l’acquisition de toutes autres entreprises, les plus diverses et dont la situation est telle quelles attirent rapidement l’intérêt des investisseurs. 
La stratégie est simple. Après le rachat, on restructure, on casse les prix, même si cela conduit à perdre de l’argent, ce qui est largement compensé au moment de la consolidation qui est faite au niveau du groupe. Les concurrents régionaux étant alors mis en difficulté, ils sont facilement absorbés. Une fois le programme terminé, une situation de quasi-monopole étant obtenue, elle permet la hausse des prix, en toute quiétude. 
Dans l’ultra-libéralisme, constat doit être fait, également, que la concurrence à couteaux tirés conduit irréversiblement à des situations de monopole de plus en plus puissants, ayant des surfaces financières énormes, pouvant dépasser le PNB de certains petits Etats. 
Ces monopoles sont entre les mains de groupes de holdings dont le fonctionnement est facile à comprendre, mais difficile à percer. L’enquête que j’avais menée, il y a plusieurs années, au sujet des hyper-groupes suédois m’avait conduit à constater que les participations croisées, les accords techniques, commerciaux et stratégiques, représentaient des labyrinthes dans lesquels il était facile de se perdre et difficile de savoir où se trouvait le début de la pelote. Autrement dit qui commande? Où se cache le ou les quelques décideurs? 
Dans le cas d’aujourd’hui, bien que seules dix entités soient citées, la connaissance des actionnaires de chacune d’entre-elles serait de nature à mieux apprécier la stratégie et les décisions ayant conduit au krach. J’ajouterai que, par exemple, il serait bon de se renseigner sur les liens entre AOM et le Crédit Lyonnais, société à l’origine du plus grand krach du siècle qui a coûté plusieurs milliers de francs à chaque français, les responsables n’ayant, d’ailleurs, pas été inquiétés! 
Dans le domaine aérien, la "deregulation" américaine de Carter de 1978 découle de la philosophie du "laisser- faire", confiance étant accordée aux lois du marché. 
Or, vingt ans après - comme je l’ai déjà développé longuement - les postulats initiaux n’ont pas été démontrés, ce que les américains, eux-mêmes, ont admis. Des dizaines de compagnies ont disparu (certaines prestigieuses, comme Panam), absorbées par les plus grandes qui constituent des monopoles très puissants, dirigés par une nouvelle oligarchie indéboulonnable, car protégée par les infranchissables barrières à l’entrée, qu’aucun concurrent sérieux ne peut franchir.   
Ainsi, l’ensemble des effets pervers de cette "deregulation" - injustement traduite par "déréglementation" - dépasse largement les effets positifs qui se résument - et seulement pendant une courte période - à une contribution à la démocratisation du transport aérien. 
Il s’en est suivi la globalisation et l’émergence d’alliances globales, sujet déjà traité dans une précédente chronique. Contrairement aux fallacieuses promesses d’amélioration de la concurrence, cette orientation de l’évolution du marché conduit à une coopération de plus en plus renforcée entre tous ceux qui veulent rester sur l’échiquier. Il y a vingt ans que je prédis cette irréversible évolution vers un système de concurrence/coopération, ainsi que les effets pervers résultant de la "deregulation". 
4°.- Européanisation et mondialisation 
Pour l’entrepreneur - tel que décrit plus haut - la possibilité de délocaliser, de sous-traiter et d’embaucher des personnels européens à des tarifs très inférieurs à ceux pratiqués en France est une manne du ciel, dont il entend profiter au maximum. Comment, ici également, le lui reprocher, puisque c’est légalement autorisé? 
Ce qu’il convient cependant de noter, c’est que, ce faisant, il contribue à diminuer l’efficience de la France au profit de celle d’autres pays, ce qui doit interpeller beaucoup de français. 
L’Europe se construit lentement. Avant l’harmonisation et la réduction des différences, il est admis que les pays les moins favorisés soient aidés par les plus puissants afin d’améliorer leur PNB, leur économie, la protection sociale de leur population. 
Or, pendant cette période, tous les Etats concernés sont en fait des réservoirs communicants dont les robinets sont tous ouverts. Les lois de la physique s’appliquent aussi à l’économie. Le transfert automatique conduira à un niveau moyen dans tous les réservoirs. Mais, et c’est là que le bât blesse, les pays les plus favorisés enregistreront un recul se manifestant par une baisse de niveau de leur réservoir.     TOP

F.- Que peut-on y faire? 
Les voies à explorer sont probablement nombreuses. Emises à chaud pour cet article, en voici quatre. 
.- La première disposition à prendre est d’appliquer plus strictement les règles en vigueur, en cas de: 
- diversification verticale, comme, par exemple, l’absorption d’une chaîne hôtelière par une compagnie aérienne, 
- diversification horizontale, comme, par exemple, l’absorption d’une compagnie aérienne par une autre compagnie aérienne. 
Certes, on sait que Bruxelles veille au grain, mais plusieurs de ses décisions ont été critiquées. Il en est de même aux Etats-Unis où je citerai l’exemple du rachat de TWA par American Airlines. Cette absorption a été autorisée par les autorités américaines car elle a été considérée comme étant une mission de sauvetage d’une compagnie en faillite et pour éviter le licenciement de 20.000 personnes, tout en permettant à la nation américaine de ne pas perdre un pan de trafic important. On voit là une préoccupation, non seulement du potentiel national, mais également du sort des employés, ce qui mérite d’être signalé. Cela étant, American, qui était déjà très bien installée sur le réseau des Antilles, grâce à son "Hub" de Puerto Rico, se trouve maintenant en situation de monopole, puisque son seul concurrent, TWA, n’existe plus! CQFD. 
.- Une autre disposition consiste à placer des clignotants d’alarmes et des garde-fous dans les accords de tous types passés entre les différents participants en vue d’optimiser leur fonction de production. J’arrête de suite une remarque qui conclurait que cela correspond à des mesures restrictives, des contingentements, des restrictions à la liberté individuelle. Ce n’est pas du tout de cela dont il s’agit. 
Un pilote conduit son vol en respectant de multiples contraintes face auxquelles il réagit en temps réel et cela, dans l’intérêt du confort de ses passagers, de la régularité, de la rentabilité et de la sécurité. Eh bien, l’entrepreneur doit mener sa barque en respectant, lui aussi, certaines contraintes, certaines lignes rouges à ne pas franchir, et ceci, non seulement dans l’intérêt de sa propre entreprise, donc également de ses employés, mais également dans celui de son pays. Il faudra donc de plus en plus de règlements et de gendarmes, dont la peur, à elle seule, conduit à lever le pied. 
.- Imposer à toute entreprise procédant à une délocalisation - source d’importantes réductions des coûts - une contribution logique et acceptable à un fonds commun de financement des cours et stages de recyclage des personnels ayant, de ce fait, perdu leur emploi. 
.- Protéger les emplois et les déroulements de carrière, ce qui - espérons le - devrait être garanti par la loi de promotion sociale du gouvernement, en cours d’élaboration.

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Il est bien évident que ces dispositions ne sont valables que si toutes les entreprises au niveau d’une communauté y sont soumises. Cela ne devrait donc pas poser de problème majeur sur le plan européen. En revanche, au plan mondial, il est certain que cela posera problème dans nos relations avec, par exemple, les Etats-Unis où un employé, quelle que soit sa position hiérarchique dans l’entreprise, peut être licencié du jour au lendemain et où la protection sociale est loin en arrière de la nôtre. Cela étant, il y aurait toujours un moyen de trouver une solution avant une mondialisation des règles du jeu. J’entends déjà, en écho à ce commentaire, le constat selon lequel il n’y a pas de chômage aux Etats-Unis, ce qui sous-entend que leur système est meilleur que le nôtre. Il s’agit d’un choix de société qui n’est pas celui de la France. 
Retenons, cependant, le point de vue de Leo Mullin, Président de Delta Airlines, lu dans le magazine Delta Sky, destiné à ses passagers. Tout d’abord un premier conseil de prudence se résumant à "il est préférable de reporter une telle décision plutôt que de faire une erreur". Puis une recommandation aux décideurs américains, consistant, avant de se lancer à corps perdu dans la voie des fusions, à examiner plus attentivement les conséquences, non seulement sur les passagers, mais également sur l’industrie et sur l’intérêt du pays qui doit conserver le système de transport aérien le meilleur et le plus compétitif du monde. Quel beau sujet de méditation!    TOP

G.- Conclusion 
Terminons avec quelques notes d’optimisme. Le gouvernement sera très attentif à ce que soit préservé le potentiel humain. Ernest-Antoine Seillière a de l’espoir en ce qui concerne l’avenir de d’AOM-Air Liberté. Air France, non seulement est prête à aider au reclassement d’une partie des pilotes et mécaniciens, mais, de plus, souhaite qu’une solution de continuité soit trouvée. La direction actuelle veut éviter le drame social. Enfin, SAirGroup et son partenaire français Taitbout Antibes combleront les besoins en capitaux d’AOM/Air Liberté jusqu’au 30 juin, ce qui laisse quand même un peu de temps pour qu’une solution soit trouvée. 
Formons le voeu que tous les décideurs prennent en compte que l’avenir du transport aérien passe par la prise en compte de la richesse des hommes et femmes qui la composent, le respect de leurs aspirations et la restauration de leur foi en leurs entreprises, ce qu’avait déjà bien compris Jean Rodin en écrivant: "Il n'y a de richesse que d'Hommes".    TOP

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(*) Nicolas Loukakos (juriste et auteur. Site: http://www.lex-aero.com/ ) mentionne que la notion de "contrôle effectif" d'un transporteur aérien communautaire est définie précisément par l'alinéa "g" de l'article 2 du Règlement CEE n° 2407/92 du Conseil du 23 juillet 1992, concernant les licences des transporteurs aériens. Il dispose qu'un contrôle effectif est "une relation constituée par des droits, des contrats ou de tout autre moyen qui, soit séparément soit conjointement et compte tenu des circonstances de droit et de fait du cas d'espèce, confèrent la possibilité d'exercer directement ou indirectement une influence déterminante sur une entreprise, grâce notamment à: 
i)- un droit de jouissance sur tout ou partie des actifs d'une entreprise; 
ii)- des droits ou des contrats conférant une influence déterminante sur la composition, le vote ou les décisions des organes d'une entreprise ou conférant par ailleurs une influence déterminante sur la conduite des affaires de l'entreprise". 

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