Jean Mermoz fait un
discours après sa traversée de l'Atlantique Sud. A droite, Jean
Dabry. A gauche, Marcel
Bouilloux-Lafont.
Extrait de La ligne de
Jean-Gérard FLEURY.
Lettre de Jean MERMOZ à Monsieur
Bouilloux-Lafont
De
temps en temps, Mermoz faisait une visite
à celui qui, docilement assis au poste de pilotage, avait été son élève
appliqué en Amérique du Sud : Marcel Bouilloux-Lafont. La chute de
l'Aéropostale avait provoqué l'écroulement de l'immense édifice qu'il
avait bâti peu à peu. Un jour Mermoz m'invita à l'accompagner chez lui. - Tu verras quel cran, quelle fermeté d'âme il a gardés dans ses infortunes, me dit-il. Avenue Hoche, le vieux financier avait réduit les vastes appartements qu'il occupait naguère à quelques pièces indispensables. Il s'avança vers nous et, à la façon dont il chercha nos mains, je compris qu'il était aveugle. Auprès de Mermoz, son visage s'irradia. Il mit une sorte d'orgueil à nous cacher son infirmité. Ses yeux vides cherchèrent notre regard. Ses traits s'animèrent. Il posa au pilote des questions sur ses camarades. - J'ai eu bien du chagrin quand Depecker a disparu, dit-il. Il demanda des nouvelles du Brésil, d'Uruguay, d'Argentine. Et aussitôt, il nous confia ses projets : - Ce qui me pèse surtout, c'est que le désastre de l'Aéropostale provoqué par ma confiance dans le la parole du gouvernement français, a entraîné la ruine d'entreprises prospères constituées avec des capitaux français. " Il faut que je reprenne tout ce qui est viable dans mon oeuvre, ajouta-t-il avec décision. Je dois subir une opération. Dés que j'en aurai fini avec mes médecins, je retournerai là-bas. J'essaierai de reprendre nos ports, nos chemins de fer. J'y travaillerai jusqu'à mon dernier souffle. " Quelque temps plus tard, je revis un autre homme. Une intervention chirurgicale lui avait rendu la vue d'un oeil. - Je vois clair, s'écria-t-il avec une joie d'adolescent. Je m'embarque pour Rio... au travail ! Dés lors, avec une obstination de termite, le vieil homme ramassa les bribes de son empire et avec les ruines éparses des anciens édifices il tenta d'échafauder une oeuvre nouvelle. le 2 février 1944, la mort le surprit dans cette tâche... Quelques fidèles amis brésiliens et français l'accompagnèrent au cimetière Sao Joao Batista où il repose. TOP |
I'm supposed to know
what copyright means !!! Lettre de Mermoz à Monsieur Bouilloux-Lafont 18 mars 1933 Cher Monsieur Bouilloux-Lafont, Je regrette infiniment que d'impérieux devoirs m'appellent à nouveau vers l'Atlantique Sud et m'obligent à ne pouvoir demeurer près de vous et de votre fils André dans l'épreuve imméritée qu'il va subir ces jours-ci. Malgré cette absence , coïncidence trop malheureusement avec cet événement, rappelez-lui et dites-lui bien que jamais je ne l'ai cru coupable et que jamais, en aucun cas, je ne le croirai coupable. A l'époque où nous vivons, il est,
hélas, trop facile de frapper un homme à terre et de le déshonorer. A
l'école du courage qu'est l'Aéropostale, les hommes comme moi, qui
vivent de la ligne, luttent pour elle et s'y sacrifient au besoin,
n'ont pas cette lâcheté. C'est ainsi qu'au cours de mon dernier voyage
en Amérique du Sud, les pilotes, les radios, les mécaniciens, dont la
plupart ignorent tout de la politique internationale, m'exprimaient
leur indignation, et il n'est pas un homme de bon sens, chez nous à la
ligne, qui, en réfléchissant, ne se soit rendu compte que, en traînant
votre fils dans la boue et en salissant également le nom même de
l'Aéropostale, on cherchait à démolir l'œuvre en frappant l'homme. En attendant, allons respirer l'air pur du grand large. Que ne pouvez-vous venir, Monsieur le Président, comme au temps où, assis à côté du pilote, au poste de pilotage, vous viviez très près de nous les impressions magnifiques, puissantes et profondes d'un courrier partant de nuit de Buenos Aires, et arrivant après quinze ou seize heures d'efforts et d'incidents, à Rio de Janeiro. Je me souviens, nous nous souvenons tous, et je demeure bien affectueusement vôtre. signé : MERMOZ TOP |