Nuit du 26 octobre 1945, Paul Graugnard

Paul Graugnard nous raconte les 3 premières années de la Postale  

Allocution prononcée par Monsieur Graugnard, ancien de la Postale de Nuit et commandant de bord Air France retraité à l'occasion de la remise d'une maquette de Junkers 52 au musée de l'air, en commémoration du premier vol de la Postale de Nuit le 26 octobre 1945.

Mesdames, Messieurs,
Le Président Koenig m'a demandé d'évoquer pour vous l'époque de l'anniversaire que nous célébrons aujourd'hui. Quoique d'autres plus illustres l'aient fait avant moi et avec plus de talent (je pense à Jean Macaigne, à Raymond Vanier, Victor Beaufol et Jean Huillet, à notre ami le Colonel Petit et à la magnifique revue Icare de Jean Lasserre).
Je vais essayer de raviver votre souvenir et le mien.
On ne peut évoquer cette époque sans rechercher les tenants et les aboutissants de l'histoire de la Postale de Nuit.
Dés la fin de la guerre de 14 avec la création des lignes Latécoère débute la grande rencontre, d'où va naître La Postale, la collaboration entre la Poste, les PTT de l'époque et Didier Daurat. Cela sera la longue histoire d'une vie. Là est née " la mystique du courrier " qui sera toujours l'idée force de la Postale.
Elle fait son chemin le long des côtes d'Espagne et d'Afrique jusqu'à Dakar, avec les héros inoubliables dont les noms résonnent encore à nos oreilles.
Elle continuera avec l'Aéropostale vers les confins de l'Amérique du Sud.
Mais ce que nous voulons en retenir, c'est le lien qui se crée, entre les PTT, Didier Daurat et Raymond Vanier à travers cette époque.

En 1933 Air France est créée et l'on peut croire à la fin de l'aventure de cette trilogie.
Mais en 1935 Air Bleu rassemble de nouveau les trois partenaires, c'est à ce moment que commence à prendre forme la Postale.
Les lignes métropolitaines se créent, les méthodes de navigation et d'atterrissage se mettent au point.
D'autres hommes apparaissent qui vont être les artisans du renouveau de 45, c'est Georges Clément, Lucien Pauzié, André Brun, Jean Bouisset, Darquet et Bertin. Ils ont tracé la route : le 10 mai 1939 le Goéland F-AROV piloté par le chef pilote Vanier accompagné du radio Pauzié, ouvre la première ligne postale de nuit effectuée quotidiennement en France sur le parcours Paris Bordeaux Toulouse Pau alors que Georges Libert et Victor Beaufol amenaient le F-AOYS de Pau à Paris en sens inverse.
Le chemin était tracé ; pais la mission interrompue par la guerre 39-45. C'est durant ces heures sombres que des hommes menèrent une étude détaillée de ce qu'avait été l'aviation postale avant 1940.
Ces hommes, messieurs Pignochet directeur de la poste et Moignet, son successeur, élaborèrent le projet de ce que devait être la future aviation Postale de l'après guerre.
Nous sommes maintenant en 1945, la paix revenue les choses se sont peu à peu décantées, les structures de la postale se mettent en place et trois Junkers 52 sont affectés au nouveau Département postal d'Air France. Ces hommes sont ceux dont nous venons de parler, ceux d'Air Bleu.
La trilogie du début s'est étendue et c'est maintenant toute une équipe qui est prête à redonner vie à la Postale de Nuit.
Air France venait de m'y affecter, probablement parce que j'avais 100 heures de nuit.

Une petite camionnette bâchée faisait la navette entre la gare du Nord et Le Bourget, il faisait froid et les lumières parcimonieuses ne permettaient pas de distinguer les visages.
Ce n'est qu'une fois arrivés dans ce hangar que nous fîmes vraiment connaissance, il y avait Vanier, Clément, Pauzié, Lepaute, Favier et Prudon.
J'étais enfin en contact avec des hommes admirables dont, quelques années auparavant, je lisais les exploits dans ce petit journal aéronautique bleu qui s'appelait " Les Ailes ".
Didier Daurat me reçut, assis derrière son bureau, un journal étalé ; un paquet de gris éventré, en train de rouler une de ses cigarettes favorites. Accueil agréable, présentations, visite des installations, des ateliers, des avions. " Vous partirez demain avec Monsieur Clément pour une reconnaissance de ligne".
C'est de cette manière que j'ai pu imaginer comment s'était effectué ce fameux vol inaugural du 26 octobre 1945, celui dont nous célébrons aujourd'hui l'anniversaire.

L'avion vous le connaissez, la Julie, l'avion à tout faire de l'armée allemande, de la tôle ondulée et trois moteurs ; l'équipage est à bord, la camionnette de poste a reculé jusqu'à la porte, les sacs de poste sont vigoureusement propulsés à l'intérieur.

 La porte n'est pas encore fermée que Vanier tournillant du doigt fait signe au pilote de mettre les moteurs en route ;Le départ se fait immédiatement dans un bruit assourdissant, le vent retrousse les pardessus et fait envoler les chapeaux, l'avion roule déjà sur les grilles métalliques du Bourget.
Un point fixe rapide et c'est le décollage, dans un bruit infernal et des vibrations étonnantes, l'engin s'arrache de la piste.
Le bruit s'apaise et déjà le radio sort l'antenne pendante, lance ses appels au sol. Ce sera le seul moyen de communication durant tout le vol. les QDM, les QDR, les QTE vont s'égrener, les phares aéronautiques vont se succéder Orly à gauche, Janville, Rilly, Cyvray, Luxé, Barbézieu, autant de balises placées là par Air bleu pour ses premiers vols de nuit qui se déroulent au-dessous de nous.

A bord c'est la détente il fait beau, Clément explique, montre, raconte, le café sort des thermos, les casse-croûtes de leur sacs, c'est facile le vol de nuit !

Les choses se compliquent à Bordeaux, le radio vient de passer à Clément un message annonçant du brouillard en formation. Les pilotes se préparent, une plaquette de contreplaqué fixée par un élastique sur le genou droit, des notes, des plans dessinés à la main y sont tenus par une pince. Les lampes de poche sont à portée de main.
Visi 50 mètres…Visi 30 mètres…les QDM se succèdent de plus en plus rapidement, le mécanicien vérifie ses moteurs, lit l'altimètre, il n'y a pas encore de sonde, visi 10 mètres, l'antenne radio est rentrée. Une vague loupiote, le train qui touche le sol, une piste en ciment, les freins qui poussent leurs gros soupirs, l'avion s'est immobilisé. On attend la camionnette du chef d'escale qui nous ramènera au hangar.
Le terrain est encore truffé de trous de bombes et il est prudent de bien suivre la voiture.
Déchargement, chargement et ça repart.
Même scénario à Toulouse et à Pau sur des terrains en herbe et des gonios décalés par rapport à l'axe d'atterrissage, pour arranger les choses…
Il est quatre heures du matin, j'ai sommeil et trop de questions en tête. Je n'ai rien vu ou presque, je suis content, j'ai fait mon premier vol à la Postale.
" Vol sans histoire " commente Clément. " Cela ne me semble pas évident, mais j'apprendrai par la suite et à mes dépens qu'il y a pire, bien pire…
Il est difficile d'imaginer aujourd'hui la volonté qui devait animer l'ensemble du personnel, navigants ou mécaniciens au sol, pour surmonter les obstacles humains ou matériels.
Convaincre les responsables de l'aviation civile que les équipages de la Postale de Nuit étaient aptes à atterrir et décoller par des plafonds très bas et des visibilités très faibles tandis que des " spécialistes " assuraient que la régularité exigée par l'administration des postes ne pourrait être assurée.

Après 50 ans nous pouvons dire que nous avons gagné, la régularité est parfaite et le contrat bien rempli.
Mais les choses changent, on prévoit l'Europe, Air France est en pleine mutation, la Poste a créé sa propre exploitation (son vieux rêve de toujours).
Une chose est sure, la postale peut être fière d'avoir parfaitement rempli sa mission et continuer vaillamment au service de " La mystique du courrier ".
Aujourd'hui la Postale est à la fête

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