OCTOBRE 1970

AULNAT

En ce début d'octobre 1970, alors que nous dînions dans un restaurant du vieux Strasbourg, une brusque rafale de vent bouscule les tables de la terrasse. Les nappes s'envolent, emportant verres et assiettes qui se brisent au sol. C'est la panique !

Les clients et les garçons se précipitent et tentent de protéger les tables en plaquant leurs mains sur les nappes.

Roland Othnin-Girard, l'officier pilote, Jurvilliers - dit Juju l'officier mécanicien et moi, nous nous débrouillons assez bien : la vaisselle de notre table tangue mais ne se renverse pas. Cette attitude efficace nous vaut la gratitude du patron qui nous remercie en s'affairant à ramasser la vaisselle cassée. Le ciel est pourtant dégagé mais les fines aigrettes de cirrostratus qui s'effilochent en virgules à haute altitude ne nous disent rien qui vaille. En effet, nous devons décoller dans 2 heures pour transporter le courrier de Strasbourg à Clermont-Ferrand en passant par Mulhouse, Genève et Lyon. C'est une rotation classique des années 70, qui dure 5 nuits de suite, alternativement une nuit dans le sens Strasbourg / Clermont (AF 1081) et la nuit suivante Clermont/Strasbourg (AF 1080). Ce n'est pas trop dur car les étapes sont courtes et, à l'inverse des courriers DC 4 sur la Corse, on se couche assez tôt - vers 2 heures du matin. L'hiver, la rotation peut être piégée par un brouillard tenace... n'est-ce pas Henri ?

Les 3 premières étapes de l'AF 1081 se déroulent sans problèmes le temps est maniable, seules quelques rafales de vent, violentes et imprévisibles, nous font friser les limitations de vent de travers à l'atterrissage. Mais le Fokker avec son aile haute est facile à poser.

Pendant la courte escale de Lyon, nous sommes accueillis par notre ami Guineaudeau et par les équipages qui viennent de Paris, de Bastia par Nice et Marseille, et de Toulouse par Montpellier. Si mes souvenirs sont fiables, il doit y avoir là : Venet, Dézé, Masselin, Silvain, Vignal et d'autres que j'oublie. En buvant un café, nous échangeons nos impressions sur ce type de MTO très particulière qui traverse la France. L'équipage qui vient de Marseille en DC 4 a eu maille à partir avec de gros cumulonimbus qui sévissent dans la vallée du Rhône - sans radar. Mais il est temps de reprendre les commandes pour faire notre dernière étape. La MTO de Clermont nous signale de fortes averses de neige - nous sommes le 6 octobre 1970.

Juju égrène la check-list, les moteurs sont lancés, le roulage et le décollage sont rondement menés par Roland qui pilote - c'est son étape. Relativement légers, nous montons rapidement au niveau 100 en cap direct sur Thiers. Vers 1 000 pieds nous entrons dans la couche et nous givrons rapidement. Il faut dégivrer les plans, les hélices, le pare-brise et les moteurs. Avec ma lampe de poche, je peux voir les cristaux de neige s'agglutiner sur les essuie glaces. Très vite je contacte l'approche de Clermont sur 125.0 mcs qui nous passe une MTO confortable pour les hiboux que nous sommes devenus au fil des mois :

- vent 240 / 10 KTS

- plafond 300 pieds

- visibilité 800 mètres.

Il neige en abondance sur le terrain. Nous passons à la verticale du VOR de Thiers au niveau 80, nous avons clôturé avec le contrôle précédent et, en descente accentuée, nous voulons passer la balise Charlie Fox vers 2 000 pieds, alignés sur le localizer et sur le glide à une vitesse de 120 nœuds. Tout semble promettre une approche facile.

Cependant, nous sommes obligés de prendre des caps de plus en plus accentués vers le sud pour intercepter le localizer axé au 267° cap 240° puis 230° puis 220°. Nous voici avec 47° de dérive droite, ce qui laisserait à penser - à la vitesse où nous sommes à un vent du sud de 80 à 100 nœuds. C'est complètement contradictoire avec le vent au sol que nous signale la tour. Nous passons la balise Charlie Fox comme prévu à 2 000 pieds, alignés sur le LOC et le GLIDE mais au cap 222°. Il nous vient bien sûr à l'esprit de mettre en doute la validité des indications fournies par les vannes de flux. Cependant nous n'avons pas été foudroyés et le compas boule confirme ce cap stupéfiant.

La concentration s'accroît dans le cockpit : il va falloir être vigilant lorsque ce vent incroyable va nous abandonner à basse altitude pour augmenter les caps de manière à rester sur l'axe. En effet, le sud de l'axe est vite mal pavé, comme le montre clairement la feuille d'approche.

Vers 1500 pieds, c'est la poisse : les drapeaux rouges LOC et GLIDE apparaissent sur nos A.D.I. et, presque immédiatement, la tour nous signale une panne totale d'ILS, les antennes sont enterrées dans la neige. Il faut remettre les gaz en dégageant vers le nord. Nous remontons à 7 800 pieds, l'altitude minimum de secteur dans les 25 nautiques, nous voulons réfléchir calmement à la situation. Curieusement, le vent du sud s'est atténué en prenant de l'altitude. Nous n'y comprenons rien.

Heureusement, à 1 heure du matin, il y a peu d'avions dans les parages à l'exception de la Postale de Nuit et les contrôleurs nous laissent libres de notre manœuvre. Après concertation avec Roland et Juju nous décidons de tenter une nouvelle approche au gonio VHF sur 118.5 mcs. Roland pilotera, Juju fera les checklists et je pomperai les QDM en phonie à forte cadence tout en contrôlant la manœuvre... Et nous voici à nouveau à la verticale Charlie Fox à un cap 225° pour rester sur le QDM 267 ! Il faut le faire ! J'ai demandé au gonio de nous prévenir immédiatement d'un changement de vent au sol mais rien ne bouge et la neige tombe toujours.

- Fox Trot Uniform Golf pour cap magnétique vers la station ?

- QDM 267° - cap 225, QDM 267°, altitude 1 500 pieds - cap 225, QDM 269°, altitude 1 200 pieds.

Attention : les QDM augmentent, le vent faiblit, Roland a compris sur-le-champ et augmente le cap :

- cap 235° QDM 267° altitude 1000 pieds

- cap 235° QDM 269° altitude 900 pieds

- cap 240° QDM 268° altitude 800 pieds

- cap 250° QDM 268° altitude 600 pieds

- cap 2600 QDM 267° altitude 500 pieds

Ainsi un vent inexplicable du sud, à près de 100 nœuds, nous a fait dériver sur toute l'approche de 35° à 45° vers la droite. Curieusement, la turbulence est faible. Nous sortons de la couche vers 350 pieds, dans l'axe et sur le plan, la rampe nous saute à la figure.

- Juju, les phares s'il te plait.

Tout est blanc, la neige scintille dans les phares : c'est très beau. Je demande à Roland de relever la tête et de poser l'avion.

Le crissement des pneus sur la neige - Le petit pas sol décélère très vite en soulevant un nuage de poudreuse. En arrivant au parking, je vois notre ami Demonteix dans les phares... il regarde sa montre. Il nous a fallu 1 h 10 pour rallier Lyon à Clermont -alors qu'habituellement il suffit d'une 1/2 heure à peine. Certes, nous avons un peu de retard mais le courrier est passé. Il est temps d'aller dormir, ce soir nous repartirons sur l'AF 1080 Clermont/Lyon/Genève/Strasbourg.

Claude Koenig

  revue No 47

 

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