"POSTALE DE NUIT" AVEC SIDONIE
Dans le courant de la décade 90, la
Postale exploitait les deux 727 d'Aéropost travaillant pour la
Poste. Ces 2 avions étaient loués à une compagnie US de Miami.
Sidonie est co-pilote de 727 à la Postale.
Elle se fait une tartine au fromage dans la salle des opérations
de Roissy, dont le bâtiment préfabriqué a
connu des jours meilleurs. Sur les murs, des affiches jaunies
rappellent que V1 est une vitesse calculée avant laquelle
on peut arrêter le décollage, après laquelle
il faut continuer. Des fois que les pilotes oublieraient... L'agent
ops a préparé le dossier : météo,
consignes diverses et log de nav. Le mécano compulse tableaux
et polaires pour remplir son carton de décollage. Dehors,
on charge les containers. Ce soir, Sidonie transportera de la
presse pour La Poste et du frêt express pour TNT. le "Delta Zoulou"
a l'air fatigué. Son fuselage est marqué, sali,
on dirait qu'on l'a éborgné. Il se laisse sagement
gaver de 24 tonnes de frêt. Sidonie compile météo,
route, pistes en service, frêt embarqué, limites
de poids, délestage et annonce le carburant à embarquer
: 11.1 tonnes. C'est plus facile à diviser par trois.
Elle écoute l'ATIS et calcule la V1 pour ménager
les réacteurs. H-15, on embarque. Les check-lists s'égrènent,
les lumières s'allument, s'éteignent. Autorisés
pour le push-back. Mise en route des trois réacteurs, un
à un. Les mots précis claquent dans le cockpit obscur.
La zone de frêt est loin des pistes. Alors on roule, et
on roule. Plutôt, on rebondit sur les lumières vertes
qui marquent le cheminement. Schboing, schboing. Une famille lapin
traverse le taxiway dans l'éclat brutal des phares. Violente
embardée. "Encore loupé" soupire le commandant
de bord, qui découvre à cette occasion que le HSI
reste coincé dans les virages. Le mécano quitte
son tableau et se met face aux manettes pour délivrer la
poussée. Sidonie s'aligne, Delta Zoulou s'ébranle
et cahote jusqu'à l'annonce de la V1. Après la rotation,
il ne reste plus qu'à rentrer un cran de volets, puis deux,
et le train. A chaque coup de trim, les disques métalliques,
de chaque côté de la console centrale, s'animent
brusquement dans un grand bruit de casserole. On passe au dessus
de la couche, c'est plein d'étoiles. On affiche le niveau
de vol autorisé, 290 pour ce soir, on a du vent arrière.
Un coup de pilote automatique, on est partis.
La Postale de nuit, c'est magique. Pas seulement à cause de Mermoz. Mais aussi parce que les containers, c'est plus cool que les passagers. Ca ne réclame pas de plateau-repas, ça ne vomit pas. On peut s'amuser avec le manche. Ensuite, un bon vieux Boeing 727 n'embarque pas d'électronique, mais un mécano avec des check-lists. Et puis l'ambiance est différente, la nuit, plus complice. Les contrôleurs sont moins chargés, les équipages plus familiers. C'est la liberté.
Dehors, les taches lumineuses défilent
: bye bye Périgueux, voilà déjà Cahors.
350kts, ça change du 112.
"Aéropost 623, vous ne tenez pas votre niveau de vol.
Je vous signale un trafic en sens opposé au FL280"
"On a des problèmes de PA, on corrige, 623".
C'est vrai qu'on yoyote un peu. Le trim PA croisière a
rendu l'âme. En descente sur la ville rose, tout réduit,
pour la vent arrière. Faut bien trimer la bête dans
les virages. Check list avant atterrissage. Le mécano égrène
les hauteurs-sol, on se jette sur la piste, un grand coup de reverse avant la première sortie.
Les ops Toulouse sont là, fidèles au poste. On explique le problème de trim, besoin de contacter Paris, on attend pour le fuel. L'équipage se plonge avec ardeur dans les bouquins. Va-t-on repartir ?
C'est là qu'on voit pourquoi on forme un commandant de bord et pourquoi on le paie. Pour décider. En environnement plus ou moins certain. La panne de trim signifie retour à moins de 15.000 pieds et 250kts. Ca impacte directement le délestage, ou quantité de carburant consommée. On n'a pas à Toulouse toutes les infos nécessaires pour les calculs de conso. Il faut appeler les ops à Roissy. Octave ne sait pas sortir un log de nav à moins de FL190. Le pétrolier s'impatiente. Son camion est bloqué au pied de l'avion. Le fax ne crache toujours pas le log de nav. Il faut décider. Sidonie annonce "On prend 15 tonnes ". Et glou et glou.
Le préfabriqué des ops Aéropostale
de Toulouse est animé, entre l'équipage du Fokker,
fraîchement posé, qui s'enquiert, ricanant, de la
panne du 727, un gendarme en visite, une passagère en quête
d'un vol gratuit.
C'est la nuit
Le plan de vol révisé sort, la tolérance
est signée pour un retour à la base, on repart.
Facétieux, le contrôle insiste pour nous faire monter
au FL300. On refuse poliment. Pour une fois qu'on a le temps de
réviser la géographie
Sidonie n'a jamais vu
Limoges d'aussi près. La lune rousse grimpe dans le ciel
et le commandant s'impatiente.
On sort le crayon pour estimer la vitesse sol. A 5NM la minute,
il faudra une heure et demie pour rentrer à Roissy.
Bordeaux est un peu sidéré de
nous trouver si bas et si lents.
- Aéropost 624, confirmez type d'appareil.
- Un 727, 624" "624, vous avez un problème
?
- Le trim PA croisière est en panne, 624
- 624, c'est une situation d'urgence ?
- Non, tout va bien, on rentre doucement, c'est tout, 624
- OK
On appelle Limoges pour savoir si on peut faire la course avec le Fokker qui remonte sur Paris. Il a décollé il y a une demi-heure, on ne le rattrapera pas. Sidonie nous fait une approche tonique sur l'ILS 27, façon CR100 égaré dans la crasse. Heureusement que les containers sont bien accrochés. On perce dans l'axe, on se pose en douceur, on roule pour le parking sans croiser de lapin. Le chargement de l'autre 727, Delta Yankee, vient à peine de commencer. Les containers marqués TNT attendent sagement sur un côté. Ca signifie que Delta Zoulou continuera sur Liège, au lieu de Marseille, à 250 kt et à moins de 15.000 pieds. Le retour est prévu vers 4/5 heures et l'équipage voit brutalement s'éloigner les draps blancs et les oreillers douillets. Dans la salle des ops, une armée d'hommes en pantalon bleu marine et blouson de cuir a envahi les fauteuils. " Les pilotes de Fokker ", explique Sidonie. Ils ont l'air décalé de ceux qui vivent d'horaires errants et à contre-temps.
Il ne me reste plus qu'à remercier Sidonie,
Louis et Jean. Je ne regarde plus les avions clignoter dans le
ciel de nuit comme avant.
reporté sur
par Anne-Céline
Dernière mise à jour/ latest updating: 31 janv. 2009