UN "ANCIEN" SE SOUVIENT
En cette dernière année avant l'an 2000, c'est un
Ancien du Bureau qui vous brosse une petite rétrospective de ses
activités à la Postale de Nuit.
Après être entré à la Compagnie côté "sol"
en 1960, je suis allé voir du côté "air ", où j'ai débuté
à la Postale (on disait alors CEPM) en 1962 au Bourget. Là, j'ai
vraiment appris mon métier : la ligne, sur DC 3 et DC 4.
Les " pistons "
Une grande et belle époque que celle des avions "
conventionnels. Bien sûr je n'ai pas connu les débuts en 1945 mais
déjà, jeune soldat à Clermont Ferrand Aulnat en 1955, avec les autres
élèves pilotes pleins d'espoir, nous admirions, des fenêtres de la
caserne de la base 745, les atterrissages et décollages des avions
postaux en pleine nuit.
Les vols de nuit, pour nous qui ne faisions encore que
du Stampe SV4C, cela faisait rêver ! Et puis, les années ont passé.
Elles passent toujours d'ailleurs ! Et après cinq années dans l'armée
de l'air, j'ai eu la chance d'entrer à la Compagnie Air France en mai
1960 - projet envisagé de longue date.
Après deux ans passés au sol dans les services du
fret, de la coordination et des opérations, j'ai pu faire partie d'un
stage de la Compagnie elle-même qui, moyennant un certain nombre d'heures
de vol acquises, formait ses pilotes.
En novembre 1962, j'étais devenu un de ceux qui se
posaient de nuit à Clermont Ferrand Aulnat sur DC 3.
Bien sûr, il existait déjà des avions de ligne à
réaction : Comet, B 707 et Caravelle (J'avais même piloté un SMB2
supersonique militaire) mais la Postale ! Quelle école de précision et
de maîtrise de soi, au pilotage entièrement manuel, régie générale de
l'époque.
Un jour, je fus programmé sur DC 4 - le skymaster sur
lequel j'étais aussi qualifié quatre moteurs, une impression de
puissance, un volant de direction de roue avant pour roulage au sol en
place gauche - le luxe du CEP !
Et puis les escales : toujours plongées dans la nuit
mais tenues par des chefs d'aéroplace agréables et efficaces, jonglant
avec les impératifs d'horaires, souvent avec plusieurs avions en même
temps - et pour cause : ils étaient en correspondance entre eux.
L'été, il n'y avait pas beaucoup de problèmes ;
l'hiver, par contre, la neige, le verglas, le brouillard, le givrage ne
facilitaient pas le travail et nous nous forcions tous à tenir les
horaires. Et le bon entretien des avions y contribuait - " être
à l'heure, c'est déjà être en retard " disait M. Daurat
Les vitesses, elles non plus, n'étaient pas ce qu'elles
sont aujourd'hui - 150 nœuds pour le DC 3 (278 km/h - 180 nœuds pour le
DC 4 (333 km/h) les temps d'étape étaient plus longs qu'avec les Fokker
27 et les Transall C 160.
C'étaient encore les années où n'était pas codifié
ce qu'il était permis de boire et de manger. Il reste le souvenir des
casse-croûte que l'on trouvait à bord et que les escales bouts de ligne
faisaient confectionner avec beaucoup de soins et de discernement avant le
départ.
En 1967, je suis parti faire autre chose : le réseau,
les passagers, les équipages commerciaux, les vols de jour, le soleil des
tropiques pour quelques années dans les îles sous le vent des Caraïbes,
toujours grâce au DC 4 et la Caravelle - mais ceci est une autre
histoire.
Après avoir quitté le CEPM en 1967, je ne suis pas
resté inactif. Je me suis un peu éloigné de la Postale qui, de son
côté, a évolué. J'y revenais presque chaque année pour les
assemblées générales et le pot de l'amitié qui nous permet toujours de
nous retrouver.
En 1964, le CEPM a quitté le Bourget pour Orly puis a
changé de hangar et de matériel, les voitures, les camions, les tapis
roulants de chargement mais surtout les avions. Au réseau des passagers
aussi, on a changé et en 1981, j'ai eu quelque regret pour dire adieu à
la dernière Caravelle, remplacée par l'Airbus, mieux adapté.
Alors je suis revenu à mes premières amours : la
Postale qui s'appelle maintenant le CEP.
Les " lampes à souder
Finis les avions de papa ; le turbo propulseur avait
détrôné le moteur en étoile. Le bruit n'était plus le même et les
vitesses avaient progressé.
Les aéroports aussi avaient changé de dimension et
parfois de site comme à Lyon.
Moi aussi, j'avais changé : j'avais un galon de plus et
j'étais maintenant en place gauche. C'est là que j'ai fait la
connaissance du Fokker 27 Friendship.
De construction hollandaise, il remplace le DC 3 (le DC
4 a cédé la place au Transall C 160). La souplesse d'emploi, son seuil
acceptable de bruit et sa vitesse de 240 nœuds (445 km/h) ont plaidé en
faveur de ce bi turbopropulseur. Il emporte en tonnage le double du DC 3
et consomme du kérosène, carburant standard sur les aéroports modernes
l'essence a pratiquement disparu des grandes plate formes.
Mon premier contact avec ce nouvel oiseau n'a pas été
très bon. Je venais de quitter la Caravelle, tombée en désuétude mais
qui, parfaitement dessinée, restera un fleuron de notre aéronautique
française. Je devais reprendre contact avec les hélices, ce qui ne me
gênait pas mais avec un turbopropulseur, moteur pourvu d'une certaine
inertie et d'une régulation d'hélice dotée d'un pas nul, j'étais
déconcerté pour les évolutions au sol.
Ensuite, je l'ai pris en mains pour m'apercevoir que
c'est une machine remarquable. Mieux encore, un équipement moderne, des
instruments bien lisibles, précis, faciles à interpréter pour réaliser
des approches comme le travail postal l'exige.
En 1981, le chargement se faisait encore comme en 1968 :
manuellement, les sacs postaux dans des alvéoles avec sangles et équipes
de chargeurs évoluant dans la poussière et criant les différentes
destinations (chaque alvéole avait sa destination).
Depuis, la mise en conteneurs du courrier a amélioré
le chargement et le travail des équipes de postiers - par contre l'espace
réservé au personnel de bord s'est considérablement réduit et les
casse-croûte d'autrefois se prennent à l'arrivée à la dernière
escale.
Le 17 octobre 1992, le CEP a quitté Orly pour Roissy et
le silence s'est fait sur ce qui était une ruche bourdonnante dès la
tombée de la nuit sur le parking postal. La Postale de Nuit continue à
Roissy - le hub ! . Les équipages partent vers leur escale de
départ en province tous les lundis de la petite antenne opérationnelle
qui subsiste à Orly.
Pour combien de temps ? ...
Pour moi, je suis aujourd'hui à la retraite mais
toujours parmi vous à l'Association qui nous rassemble. Heureux de vous
revoir de temps en temps aux réunions mais je garde un bon souvenir de
tous ceux qui ne peuvent être présents.
Continuons à garder l'honneur de
notre
profession le plus longtemps possible.
Jean-Claude THIBOU
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