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Qu'avez-vous ressenti lors de votre
premier "pas" dans le vide de l'espace ?
Lorsque j'étais installé
dans le sas de la station Mir en compagnie d'Alexander Volkov,
avec vue sur les étoiles, j'étais pressé de débuter la mission
car nous commencions à consommer l'autonomie de nos
scaphandres. Mais nous étions retenus par des consignes du
centre de Moscou. Il a fallu attendre 10 à 15 minutes. Une
fois que nous avons franchi la porte circulaire, nous sommes
entrés dans un monde céleste où des milliards d'étoiles vous
tendent les bras. C'était un moment très intense. Plus que
depuis le hublot de la station qui n'offre pas de vue
panoramique. J'y repense encore aujourd'hui lorsque je regarde
un beau ciel d'été.
Puis la mission extra-véhiculaire
vous a accaparé. Comment l'aviez-vous préparée ?
Une de nos missions
consistait à tester la technologie de déploiement d'une grande
antenne. A vérifier son bon fonctionnement puis à la larguer
quelques heures après. Plusieurs séances ont été nécessaires
en piscine, à la Cité des étoiles de Moscou, pour s'y
préparer. On y répète la procédure pendant environ une
centaine d'heures. Une autre centaine d'heures est
indispensable pour prendre connaissance du fonctionnement des
équipements. Une fois dans la station, l'une de nos tâches a
consisté à vérifier et préparer les scaphandres dans le sas,
la veille ou l'avant-veille. Le jour J, nous avons commencé à
nous équiper à 7 h et nous sommes rentrés de la mission à 18
h.
Votre sortie s'est prolongée
pendant six heures alors qu'elle ne devait durer que trois
heures. Que s'est-il passé ?
Quand il s'agit de
réaliser des manipulations techniques dans l'espace, on peut
vite prendre du retard. Accentué par le fait qu'à l'époque, nous n'étions pas
en communication permanente avec Moscou. C'est ce qui s'est passé pour
nous, puisque le déploiement de l'antenne ne s'est pas déroulé
comme prévu. Autre difficulté, j'ai connu une anomalie de
ventilateur qui a fait que mon casque s'est couvert de vapeur
d'eau. Arrivé en fin de mission, dans le sas, je n'y voyais
presque plus rien. C'est quasiment un miracle si nous avons
réussi à la mener à bien !
image: http://www.letelegramme.fr/images/2017/01/13/sortie-dans-l-espace-un-moment-intense-vecu-par-jean-loup-ch_3250861.jpg
Avez-vous paniqué à cause de ce problème de casque ?
Non, j'étais concentré sur
ma mission et très bien préparé. En revanche, les gens au sol
ont connu un stress extrêmement fort.
Finalement, quel est le plus gros danger d'une sortie
extra-véhiculaire ?
C'est la dépressurisation
par la déchirure du scaphandre. Même si l'équipement est prévu
pour que ça n'arrive pas. Il faut savoir que l'effet d'une
météorite de la taille d'un gravier est celui d'une balle de
pistolet. Si ça arrive, on ne peut rien faire. Toutefois, la
probabilité d'en être victime est extrêmement faible. Cela
n'est même jamais arrivé dans l'histoire de l'aérospatiale.
Dans quel état de fatigue
étiez-vous à la fin de la mission ?
C'était une bonne fatigue,
comme après un bon match de football. Il n'y a pas
d'épuisement car on s'est entraîné pour cela. La principale
difficulté physique est de se battre contre l'immobilité et la
rigidité du scaphandre, même si là-haut, on ne pèse plus rien.
Là-dessus, je pense que ça n'a pas beaucoup évolué, les
scaphandres étaient déjà très perfectionnés à l'époque.
Quand la mission a été terminée, il
a fallu rentrer dans la station et quitter ce lieu onirique.
Comment l'avez-vous vécu ?
Je n'étais pas pressé de
rentrer ! Pendant les six heures de mission, on n'a pas le
temps de profiter du spectacle. Mais j'ai eu un laps de temps
de 15 minutes entre le moment où Moscou a validé la fin de la
mission et celui de rentrer dans le sas. J'ai alors tiré sur
la ficelle pour profiter du spectacle et des vues sur la Terre
entre phases de nuit et de jour. C'était assez fascinant de
contempler la surface du sol en vue verticale. Je me rappelle
encore voir mes pieds au-dessus d'un paysage de torchères de
pétrole d'Arabie saoudite !
Avez-vous été en contact avec
Thomas Pesquet ?
Non, ces gens-là n'ont pas besoin de nous. Je suis ce qui se
passe dans la presse. En ce qui me concerne, je suis toujours
actif à Houston (États-Unis), où je suis vice-président de la
société Tietronix. On travaille étroitement avec la Nasa sur
les vols habités du grand futur.
Vous avez effectué trois vols dans
l'espace. Les conditions de vie ont-elles réellement
changé là-haut ?
Non, ça n'a presque pas changé. Je rencontre assez
régulièrement des astronautes américains qui ont pu séjourner
dans la station internationale. Ça évolue lentement. On peut
comparer ça au Boeing 747, toujours largement en activité,
dont la conception remonte aux années soixante-dix. Sa
structure n'a pas beaucoup changé, même si pas mal de choses
ont évolué.
Le lanceur est un Soyouz. C'est
également un Soyouz qui vous avait propulsé dans l'espace.
Pourquoi cet engin est-il si fiable ?
Il y a eu très peu de problèmes avec la technologie russe. On
a connu des incidents mais pas d'accident. Pour autant, des
modifications ont tout de même été apportées. Les moteurs et
le carburant ont été changés.
Vous étiez dans quel état d'esprit
lors des décollages ?
Je n'étais pas angoissé. J'étais tendu. Car on ne s'installe
pas dans une fusée comme on s'assoit dans sa voiture. C'est
comparable à des missions exceptionnelles qu'on effectue quand
on est pilote de chasse ou pilote d'essai.
Six mois, c'est long dans l'espace
?
C'est la nouvelle donne. Beaucoup de Russes et d'Américains
effectuent des vols de cette durée. C'est ce qu'il y a de plus
rentable. Monter quelqu'un là-haut, pour le faire redescendre
quinze jours après, n'a pas de sens.
Les vols vers Mars, vous y croyez ?
On en parle depuis très longtemps. La question est de savoir
où l'on place l'avenir de l'homme dans l'espace, par rapport à
l'avenir de l'homme en général. Et là, on n'a pas la réponse.
Car il nous manque des visionnaires qui sauront convaincre les
politiques d'y aller. On n'ira pas sur Mars sans une grande
décision internationale.
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