CHAPITRE VI
 UN RETOUR DIFFICILE 

 
     
 

Nous allions tenter la première traversée sens Brésil-Afrique, jamais entreprise. 
Le clair de lune était splendide lorsque l'avion de Ville, amenant le courrier de Santagio-du-Chili, de Buenos-Aires, de Montevideo et Rio-de-Janeiro, arriva au-dessus de l'horizon. 
De la base des hydravions, nous vîmes Ville se hâter d'atterrir. Bien qu'il fût sept heures et demi, je décidai de partir la nuit. Nous étions prêts lorsque la camionnette apporta les 150 kilogrammes de poste que nous attendions. 
La campagne était illuminée; le bled et les marécages avaient un plus bel aspect qu'au grand jour. 
Notre hydravion chargé de 2.600 litres d'essence accusait un poids de 5.500 kilogrammes. La température était relativement élevée et le vent n'était pas du tout favorable, c'est à dire qu'il ne soufflait pas dans le sens du rio Potingui. Cependant, je demandai à me faire remorquer par la vedette jusqu'au pont de chemin fer, qui n'était pas très loin. 

Décollage impossible.    
Le vent étant très rarement favorable, j'aurais dû attendre plusieurs jours avant de prendre ma première chance. 
Sur la ligne de départ, le vent soufflait de trois quarts de coté. Dabry et Gimié étaient à leur place. 
Je mis le moteur en mouvement, le fis tourner quelques minutes, puis je tirai sur la manette des gaz pour démarrer. 
Lors des essais dans ce même bassin, l'hydravion décolla avec une facilité inouïe, étant relativement léger. 
Quelle ne fut pas ma surprise, et aussi mon angoisse, de ne pas pouvoir, non seulement décoller, mais même pas déjauger. 
D'un seul coup, brutalement, le flotteur gauche s'engagea. je fus amené dans un "cheval de bois" à gauche que je pus contrecarrer quelque peu en accélérant. 
Lorsque j'eus coupé le contact, je me demandais comment il serait possible de pouvoir partir avec un vent aussi mal orienté pour l'endroit. Je ne me fis aucune illusion et compris immédiatement que notre envolée serait de plus en plus difficile. 
Nous étions venus sans peine de Saint-Louis du Sénégal à Natal. Il fallait à tout prix, tenter l'expérience de la traversée dans le sens inverse, non pas pour tâcher de réaliser la première traversée d'ouest en est, mais pour voir dans quelles conditions on pourrait établir un trafic aérien hebdomadaire dans l'avenir. 
Abandonner? c'était impossible: notre mission était d'une importance considérable, beaucoup plus grande qu'on ne peut se l'imaginer quand on est rentré en France; là-bas, nos défendions et les intérêts et le prestige de l'aviation commerciale française. 
Je pris donc la décision de tenter ma chance autant de fois que je pourrais. 
A 2 heures du matin, je terminais ma huitième tentative. 
J'avais pourtant pris le fleuve dans tous les sens, d'amont en aval, d'aval en amont, en plein courant, à contre-courant, de travers, cherchant de toutes les façons à profiter du vent pour pouvoir enfin quitter la surface de l'eau. 
Il n'y avait absolument rien à faire. Jamais je ne pus me trouver face au vent. 
Dabry et Gimié, toujours assis dans leur fauteuil, étaient résignés et me laissèrent agir à ma guise sans intervenir ou manifester leur désappointement. Je leur savais gré de la confiance qu'ils me témoignaient. 
Au poste de pilotage, je me demandai comment je parviendrai enfin à décoller et, bien que conservant une certaine maîtrise  de moi-même, je dois reconnaître que je commençai à désespérer. 
Il était vraiment terrible, après avoir réussi des départs extrêmement faciles pour le record du monde en circuit fermé et la traversée de Saint-Louis à Natal, d'être impuissant et de ne pouvoir avec le même matériel, obtenir un même résultat sous une autre latitude et un autre climat. Seule, la nature de la base pouvait être mise en cause, mais cela suffisait amplement  à nous empêcher de prendre notre essor. 
Après la huitième tentative, le vent étant resté toujours dans la même direction, je ne pouvais pas répéter indéfiniment ces essais de décollage. De plus il était nécessaire de reprendre de l'essence et de procéder à une inspection générale de notre machine. 
Nous abandonnions notre hydravion pour aller dormir trois heures et le laisser aux mains des mécaniciens. 

Trente-cinq tentatives.  
Au lever du jour nous constations que le vent avait toujours la même direction, qu'il était du sud-est et qu'il nous prendrait toujours de coté. Bien qu'en aviation on ne puisse pas compter sur le miracle, j'espérais enfin réussir. 
Entre 5 et 7 heures du matin, je refis quatre nouveaux tentatives de décollage. 
Quatre fois encore l'hydravion ne put se déjauger. Je fis remorquer l'appareil en amont, pensant que ce sens nous serait plus favorable. 
A l'heure du déjeuner je fis le compte des essais: il y en avait seize. 
Seize fois j'ai tenté de soulever l'avion sans y parvenir et j'avais l'impression que j'allais succomber à la tâche et que je serai obligé de déclarer forfait. Dans ces instants-là, une force intérieure stimule soudain et décuple les énergies physiques et nerveuses quand on se serait cru incapable de déployer un effort de cette intensité et de cette durée. 
Les mécaniciens devant compléter notre provision d'essence et jeter un coup d'oeil sur la cellule et le moteur, nous décidâmes de prendre une heure de repos et de nous restaurer. 
Trois fois je fis remorquer de nouveau l'hydravion par la vedette sur la ligne de départ. Ce fut pour enregistrer trois nouveaux échecs. 
Je priai les mécaniciens de vidanger de l'essence jusqu'à ce que l'appareil ne pesât plus que 5.300 kilogrammes. A une heure du matin j'avais quatre échecs de plus à mon actif. 
Pour comble de malheur, la hauteur des eaux avait baissé avec la marée basse. Notre hydravion, tiré par la vedette, s'échoua sur une sorte de banc de sable et nous dûmes nous retirer. 
Le 8 juin, à 20 heures, j'étais sur la ligne de départ et à une heure et demie du matin, le 10 juin, nous allions nous coucher après vingt-trois tentatives infructueuses. 
Mais je ne comptais pas les embardées à gauche et les "chevaux de bois" à droite redressés plus souvent au moteur qu'au pied. 
Ce n'est qu'à 10 heures et demie que les mécaniciens eurent achevé leur révision. Comme nous avions récupéré des forces nouvelles nous étions tout disposés à faire ce qu'on appelle l'impossible. 
Au cours de la matinée je n'eus pas plus de chance que précédemment: six faux départs furent ajoutés aux vingt trois déjà enregistrés. 
L'après-midi il y eut quelques grains. Ce ne fut pas un obstacle: six fois je me fis conduire vers l'embouchure du fleuve. 
Ayant essuyé trente-cinq échecs entre la vingtième heure du 8 juin et la seizième du 10 juin, je dus donc renoncer à tout: avec le vent fort de coté, les flotteurs n'avaient pas le temps de sortir de l'eau et l'hydro avait une course insuffisante pour que je puisse réussir dans mon entreprise. Le vent n'étant jamais de face, l'appareil ne pouvait pas s'accrocher. 
La mort dans l'âme et dans l'incapacité absolue de faire quoi que ce soit d'autre, je fis embarquer le courrier sur un aviso en partance pour Dakar. 

Attente...  
L'hydravion devait pouvoir décoller d'un plan d'eau plus vaste et mieux exposé par rapport aux vents dominants. 
Le lendemain, 11 juin, je pris un avion pour rechercher un bassin. J'allai jusqu'à 250 kilomètres au sud de Natal. Mais c'est à soixante kilomètres au nord de la ville que je découvris une lagune d'eau douce de 8 kilomètres sur 5, bien orientée et ou le clapotis était fréquent. 
L'après-midi même, j'amerris sur la lagune avec l'hydravion, accompagné de Dabry et Gimié. Les mécaniciens vinrent avec une automobile; une vedette avait été placée sur une camionnette. 
Nous prenions aussitôt les dispositions pour tenter d'effectuer la liaison postale avec le courrier du 16 juillet.         
Alors que nous songions à organiser en détail notre nouvelle base, nous recevions des ordres de Paris. Le ministère de l'Air exigeait que nous renforcions certaines attaches des flotteurs pour obtenir une plus grande solidité. 
Pour nous, la robustesse de l'hydravion ne faisait aucun doute, après les trente-cinq tentatives de décollages. Cependant il fallait bien respecter les ordres. 
Les jours et les jours s'écoulèrent. Nous étions inactifs du matin au soir, traînant dans une villa sans meuble, où des hamacs remplaçaient les lits, et deux caisses d'essence les armoires, les tables, les chaises et les sièges. Que cette existence put être odieuse! Nous nous ennuyions mortellement, à un tel point que nous n'avions plus d'appétit et que je maigrissais à vue d'oeil. 
Le premier courrier de juillet coïncidant avec la lune, et la mise en état de notre hydravion en conformité avec les exigences du service technique de l'aviation marchande, nous fixâmes d'accord avec la direction de la Compagnie Générale de l'Aéropostale, notre départ du 6 juillet.       

Au cinquante-troisième essai... 
Tous no préparatifs étaient terminés à l'arrivée de Barbier, dans la nuit du 6 au 7 juillet, sur l'aérodrome de Natal, avec le courrier hebdomadaire qui vint jusqu'à nous par voie de terre. 
Mais quel ne fut pas notre effarement en constatant cette fois que le vent ne soufflait plus du sud-est: il avait tourné à l'ouet et l'eau de la lagune n'était pas ridée. Vingt huit jours sur trente, le vent est dus-est; ce jour-là il en fut autrement. Un terrible destin nous poursuivait. 
Ma tâche ne devait pas être plus aisée que sur le Rio Potingui. J'eus beau tout essayer, avoir toutes les audaces, je subis huit échecs au cours de la matinée. 
L'un des essais de départ faillit se terminer très mal: étant parvenu à "hydroplaner" à une vitesse de 100 kilomètres-heure, une saute de vent brutale attrapa l'appareil de travers et faillit le faire chavirer. 
Le redressement, réussi à pleine puissance, fut sensationnel: emporté à toute allure à gauche, l'avion dérapa pour ainsi dire, glissa sur la gauche, une forte accélération accompagnée d'un violent coup du pied droit sur le palonnier le ramena dans une position plus normale et moins périlleuse. 
L'après-midi, comme le matin, l'esprit ne put triompher de la matière. 
A trois reprises je fus vaincu. 
A la onzième tentative de la journée, en bras de chemise aux commandes, la sueur perlant sur le front, mon attention était concentrée à tel point que je crispai les mains sur le volant et serrais les mâchoires. 
Je ne pouvais pas tout envoyer au diable: mon plus grand désir était de tenter une traversée d'ouest en est pour procéder à des expériences. 
Ma volonté pesait bien peu: le lendemain matin, je repris six fois ma chance, six fois l'hydro resta collé à la lagune, bien qu'il fut allégé de 200 litres d'essence. 
La direction technique de l'Aéropostale estima que les cinquante-deux tentatives de départ suffisaient simplement pour savoir à quoi s'en tenir sur les mesures à prendre pour enregistrer un succès au premier effort. Je reçus un câble me priant de convoyer le courrier à bord d'un aviso. 
Je ne devais donc plus essayer de repartir. 
Cependant je ne pouvais pas me faire à l'idée d'abandonner là mon appareil, de reconnaître mon impuissance à décoller, et de rentrer en Europe par le bateau: j'étais arrivé au Brésil avec le désir bien arrêté de tâcher d'en partir par la voie aérienne. 
J'en étais là de mes réflexions quand le vent changea de direction, redevint sud-est. 
A l'instant même où je crus me trouver dans l'obligation de capituler j'entrevis la possibilité d'entreprendre une cinquante-troisième tentative de décollage. Je fis laisser le courrier à bord de notre machine et j'invitai les mécaniciens à procéder en hâte au plein d'essence et à vérifier les réservoirs d'huile et de radiateur. 

Au-dessus de l'Atlantique
Et à 16 h. 30 (19 h. 30 G.M.T.) notre hydravion s'éleva de la lagune en une minute avec une facilité dérisoire. 
Notre victoire, nous la devions au vent sud-est. 
Que nous importaient les nuages bas, les menaces de pluie entrevus peu après notre envolée. Nous étions payés de tous nos maux, et nous filions de l'avant sans nous apitoyer sur notre aventure. 
Tout de suite Gimié entra en relation avec le poste de T.S.F. de Natal. 
Malgré les secousses provoquées par les cinquante-trois manoeuvres, notre appareil était aussi fringant que par le passé. A 200 mètres d'altitude, au-dessus d'une mer sombre, il fonçait, j'oserai dire, tête baissée dans la pluie? La visibilité horizontale n'excédait pas un kilomètre, le plafond était à moins de 50 mètres. 
Le vent soufflait en rafales du sud(est à la vitesse de 30, 40 kilomètres à l'heure. Nous vîmes alors une mer agitée, et parfois démontée. La lumière de la lune ne perçait pas les nuages. 
La nuit nous surprit en plein milieu des grains. 
Je vécus des heures vraiment très désagréables. Si le moteur tournait toujours avec la plus parfaite des régularités et si toutes les températures étaient normales, la pleine charge rendait le pilotage très pénible. 
Lassé de ne rien voir je mis la tête dans la carlingue et conduisis l'hydro en me servant uniquement des appareils de bord et de contrôle. 
Dabry et Gimié n'étaient pas plus à l'aise, le premier pour effectuer ses travaux de navigation et le second pour émettre et recevoir des messages radio. 
Pendant trois heures et demie, tout se confondit: les nuages, l'horizon et la mer. De temps en temps, des petites gouttes d'huile s'écrasaient sur le pare-brise. Je n'eus aucune inquiétude: je croyais que le trop plein d'huile s'échappait par le bouchon du réservoir. 
Comme tout a une fin, à minuit, nous dépassâmes la zone de perturbation, pour entrer dans un ciel splendide, dépourvu de tout nuage, et baigné dans une lumière éclatante. 
Jusque-là, nous avions navigué avec une grande sûreté: le poste de Fernando de Noronha et le bâtiment Cigogne firent des relèvements avec beaucoup de précision. Noronha commit une petite erreur et nous emmena à 45, 50 kilomètres de notre route. L'ancien capitaine au long court Dabry eut tôt fait de faire le point et de déterminer la correction. Deux heures plus tard, le Brentivy nous indiqua que nous étions sur la route. 
Je commençais à être tourmenté par les taches d'huile qui grossissaient et se multipliaient sur le pare-brise. Car les heures passaient, et le moteur devait bien consommer quelques litres. 
Je fus distrait par deux lumières qui posées sur la mer, non loin du rocher de Saint-Paul que nous avions laissé à droite. J'éprouvai la curiosité d'aller voir de près ces deux lumières.               
En me rapprochant de la surface de l'océan quelle ne fut pas ma stupéfaction de voir une véritable île flottante! Mille fenêtres ou hublots éclairées comme les fenêtres d'un palace un soir de grandes réjouissances. Le fait de voir en pleine nuit, au coeur de l'océan, un paquebot en fête a quelque chose de magique et de grandiose. 
Je fis un large virage au-dessus du navire, tandis que Gimié nous faisait connaître et demandait à l'équipage où il allait et qui il était. En réponse à notre appel, nous reçûmes des Portugais des souhaits de réussite. 
Nous allions vers la fin du clair de lune; pas la moindre brise de vent; la mer était calme et notre joie complète. Nous faisions alors un véritable voyage de plaisir, une excursion; de pilotes de ligne, nous étions devenus des touristes. 
Le Beintivy nous fixa sur notre position. La lune disparut à l'horizon et ce fut la nuit noire, une nuit d'encre. 
Il était 6 heures. Les lueurs d'échappement du moteur m'aveuglaient et me faisaient mal aux yeux de telle façon que je me trouvais dans l'obligation, une seconde fois de regarder à l'intérieur de la carlingue et de suivre toutes les indications données par les instruments de bord pour piloter. 

Une fuite d'huile. 
J'attendais le lever du jour avec une vive impatience. 
Quand le soleil s'éleva au-dessus de l'horizon, j'aurai préféré ne le voir jamais: c'est l'aube qui me fit entrevoir toute l'importance du désastre; il y avait de l'huile de partout, sur le pare-brise, sur la carlingue, il y en avait jusque dans le poste de pilotage. Il se passait évidemment quelque chose d'anormal. 
Cependant le moteur tournait aisément au régime de 1.620 tours-minute, et notre vol en était facilité par un vent du sud-ouest. A 200 mètres d'altitude, nous distinguions les vagues qui semblaient avoir deux à trois mètres de creux. 
Il n'y avait qu'une chose à faire: passer les 35 kilogrammes d'huile de réserve dans le moteur, puisque la pression d'huile avait des variations inquiétantes. 
Il était impossible d'atteindre la côte. 
J'alertai Gimié pour lui dire d'aviser le Phocée de notre infortune. Le second bâtiment de secours placé par mesure de sécurité sur notre trajet par l'Aéropostale nous fit savoir qu'il se trouvait à 70 kilomètres en avant. 
Presque minute par minute, le radio du Phocée nous passa notre relèvement pour que nous ayons la certitude de conserver la bonne direction. 
Puis nous entendîmes plus rien, nous étions trop près pour percevoir la moindre émission. Dabry fit le point et constata que j'avais bien observé les instructions passées par le Phocée. 
Les nuages faisaient de grandes taches sombres sur la mer, ce qui m'empêcha de trouver le bateau. Une longue traînée de fumée m'indiqua que le Phocée n'était pas très loin de là, navigant dans une mer très démontée. 
Nous étions à 800 kilomètres environ de la côte du Sénégal; il était 10 heures (G.M.T.) et nous volions depuis 14 heures.  
Il restait 1.050 litres d'essence dans les réservoirs. L'huile recouvrait entièrement le pare-brise, Dabry me passa un superbe foulard de soie pour que je puisse procéder à un nettoyage plus rapide. 
La pression d'huile était tombée à zéro et la température du moteur atteignait 90°. 

Dans le creux d'une vague de quatre mètres.  
Ainsi que nous en avions convenu, le Phocée allait contre le vent. A notre approche, les baleinières furent mises à l'eau. Ces petites embarcations dansaient d'une manière effrénée à côté du Phocée qui, tantôt tombait sur bâbord, tantôt sur tribord, quand il ne piquait pas du nez. 
Comment allait se passait notre amerrissage sur une mer aussi démontée? 
Deux alternatives se présentaient: se poser dans un creux sur le flanc d'une vague, ou bien aborder l'eau à la crête de la  vague. 
Le courrier ayant été placé à l'arrière de la cabine, Dabry et Gimié se maintenant au même endroit, je volais le plus lentement possible en me rapprochant de l'océan. 
Un creux très profond se forma à 30 mètres devant l'hélice, sèchement je poussai le volant en avant puis le tirai sur le ventre: l'hydravion se plaqua en cabrée, sur le flanc de la vague. 
Gimié ouvrit la porte, une baleinière s'approcha de nous, grâce à la dextérité étonnante des matelots. 
Gimié lança un filin, l'hydravion et le bateau se trouvèrent côte à côte. Dans une danse éperdue, nous parvînmes à décharger les sacs de poste. L'un des plus mauvais moments fut de transbordement de l'hydravion dans la chaloupe du vapeur. Nous avons failli vingt tomber à la mer, au milieu des requins que l'aviso, immobile à la même place depuis quelques jours, avait rassemblé autour de lui. 
J'étais sur l'un des flotteurs quand je m'aperçus que, dans les préoccupations, j'avais oublié de couper le contact. Je bondis dans l'avion pour arrêter le moteur. 
Dans le choc très brutal de l'amerrissage, un croisillonnage céda et l'extrémité de l'aile gauche baignait dans l'écume. 
Pendant que nous tirions notre appareil vers le Phocée, Dabry détachait ce qu'il pouvait de la planche de bord. Lorsque notre navigateur vint nous trouver, nos étions très près du navire, sur lequel nous ne tardions pas à grimper. 
Nous avions espéré pouvoir ramener notre hydro, que nous tirions avec un câble d'acier très solide. 
Une vague plus puissante que les autres s'y opposa: le Comte-de-La-Vaulx disparut dans les flots. 
En regardant sombrer notre hydravion, je me fis la promesse de profiter plus tard de l'expérience acquise au cours de ces deux vols.        

                    

 

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