DAURAT par Jean MACAIGNE.

Le 2 janvier 1891.

Il y a un siècle naissait Didier DAURAT. Les Anciens de la Postale de Nuit se doivent d'évoquer celui qui fut leur chef depuis Air Bleu en 1935 au Centre d'Exploitation d'Air France en 1953.

Nous vous présentons, ci-dessous, un très beau texte de Jean MACAIGNE publié dam la revue des Anciens d'Air France.

Car c'est par l'air que tout est arrivé. Pou ce qu'il en fut à même d'apprécier au cours d'une longue vie d'action, le rédacteur de ces lignes résiste mal à la souveraine tentation d'esquisser, en toute humilité, la sommaire analyse d'une existence d'homme qui porta tant de fruits

Nous savons que la naissance d'un homme ne constitue pas forcément un exploit en soi. Mais cette naissance peut -être grosse de l'exploit qui en adviendra car, dans l'écoulement ordinaire des choses, souvent l'inattendu arrive. Et l'homme, alors réalisé dans sa période de plénitude, accomplira sa mission, par l'effet d'un étrange révélateur dont la subtile composition restera inconnue. Ainsi parlera-t-on de mystère ou de secret.

Est-ce de cette essence-là qu'était Didier Daurat ?

Plus de vingt ans déjà, que le samedi 6 décembre 1969, les cloches de la basilique Saint-Sernin de Toulouse sonnaient un glas dont les résonances profondes se répercutaient en un douloureux adieu. Et parmi les plus notoires marques de gratitude alors témoignées, le Secrétaire Général de l'Aviation Civile, M. Jacques BOITREAUD devait notamment déclarer "Au nom du Ministre des Transports, j'ai mission d'associer le gouvernement au dernier hommage rendu à Didier DAURAT. J'accomplis cette mission avec respect".

Puis après avoir également rappelé l'homme hors série qu'était Didier DAURAT, Jacques BOITREAUD dit en substance : " ... Sans Didier DAURAT, la France n'aurait pas la place qu'elle a aujourd'hui dans le transport aérien. Son œuvre fait honneur à son pays et lui vaut notre reconnaissance. Nul n'oubliera ce qu'il a fait".

C'était l'hommage de la France et, par la qualité des délégations présentes, l'hommage du monde.

D'origine modeste, hors d'une formation intellectuelle particulière (ce qu'on ne lui pardonnera pas vers le milieu de son éblouissante carrière), Didier DAURAT ne semblait nullement prédestiné à être projeté vers un tel sommet.

D'un naturel plutôt timide, réservé, en milieu familial équilibré, travailleur, son enfance et son adolescence se déroulent dans le courant d'une vie calme, paisible. Celle-ci oriente son entrée à l'Ecole d'horlogerie de Paris, puis son admission à celle des Travaux Publics où les connaissances acquises renforcent un goût certain d'ordre minutieux, de méthode. Rien ne laisse percevoir les dons d'un chef.

Où, quand, et comment s'opérera cette sorte de transmutation soudaine ? Pourquoi et par quoi ?

Ce sont les événements qui révèlent la valeur intrinsèque de l'homme. Et si Didier DAURAT n'était pas un chef né, l'aviation secrètement attendue, définit finalement en lui une vocation intuitive. Car c'est d'abord dans l'infanterie qu'il accomplit son temps légal de service militaire lorsque la guerre de 14/18 éclate. Et c'est même en qualité de sous-lieutenant, qu'à la tête de son unité il est blessé au cours d'une contre-attaque à Verdun, le 2 avril 1916.

Après une convalescence écourtée, il est fait droit à sa demande de mutation dans l'aviation. Et le 16 décembre de cette même année 1916, il obtient le brevet de pilote, après avoir eu parmi ses moniteurs le prestigieux Sadi Lecointe.

Cette fonction nouvelle de pilote détermine à coup sûr en lui un sens particulièrement aigu de la responsabilité, de ce qu'elle comporte pour soi, et de ce qu'elle engage à l'égard des autres. Et là, s'impose pour lui le sentiment spécifique du devoir, auquel Didier DAURAT ne faillira jamais.

Après la période des hostilités, où le pilote s'illustrera dans l'observation, le bombardement, puis passera par la fameuse escadrille de chasse Spad-87, Didier DAURAT est démobilisé et vient à Toulouse, en juillet 1919.

Sur les instances de Beppo de Massimi, ami de Latécoère, qui avait été son observateur sur le front, il est engagé. D'emblée, ses qualités apparaissent telles que, le 1 septembre 1919, Latécoère lui confiera l'ouverture de la ligne TOULOUSE/RABAT.

Et le 1er octobre 1920, treize mois après son arrivée à Montaudran, Didier DAURAT est nommé Directeur de l'Exploitation des "Lignes Aériennes Latécoère". * La transmutation s'opère. Elle s'amplifiera dans l'exercice de l'autorité, de la responsabilité, et de l'exemple lorsque celui-ci se révélera nécessaire pour obtenir des hommes plus qu'eux-mêmes n'eussent alors imaginé. Un peu plus tard, il livrera une partie de sa pensée : Donnez aux hommes, dira-t-il, un but collectif, et placez ce but à une hauteur presque inaccessible. Bloquez tous les efforts dans une émulation sans fin, et vous ferez de la molle pâte humaine une substance de qualité. Elle offrira alors ce qu'elle contient de meilleur".

Et c'est dans l'application sans faiblesse de cette conception, viscéralement ressentie, que Didier DAURAT trouvera sa dimension.

Rien pourtant qui le distingue du quidam commun, attitude calme, égale, sans recherche vestimentaire particulière qui attire l'attention, fondu dans la masse, sans émergence apparente, saut... ah ! sauf, en approche, un bloc, une présence, non recherchée, non exploitée, mais effective, intégrale, absolue, radiante.

Parlera-t-on d'ascendant ?

Là est le mystère ou le secret. Le sortilège peut-être.

Par la nature même de son action, et la forme qu'il lui donnait, Didier DAURAT imposait une révolution. Mais une révolution insensible, dont le nom ne pouvait et n'avait pas à être prononcé ; une révolution inlassablement poursuivie, toujours animée du même souffle, inspirée de la même foi communicative.

Sur Didier DAURAT, insaisissable par la magie qu'induisait sa personne, que n'a-t-on pas trouvé, commenté, exploité, et ce qu'une légende alors établie s'est complue à propager : chef dur, impitoyable, dépourvu de tout sens humain, etc... Cette légende l'a conduit trop loin, si l'on comprend qu'il rejetait ensemble la médiocrité et la malchance. Ce qui lui attira nombre de critiques et d'ennemis. Il négligeait les unes et ignorait les autres, sachant bien que les vraies victoires, qui s'imposent d'elles-mêmes, ne sont pas perceptibles à tous.

A travers des difficultés sans nombre, des bouleversements suivis de chaos, on note cette phrase du compagnon de 34 années de lumière (1919 - 1953), phrase qui. tombe comme un accent de vérité : " .... je n'ai connu personne, dira Raymond Vanier, qui résiste bien longtemps à DAURAT !

34 années ! 34 années de créations représentant une longue suite ininterrompue de succès : "Les lignes aériennes Latécoère", "l'Aéropostale", "Air Bleu" jusqu'à l'inauguration de la "Postale de Nuit", les "S.C.L.A.M." (Services Civils des Liaisons Aériennes Métropolitaines) arrachés aux commissions d'Armistice italo-allemande dans notre zone encore libre durant la période noire, puis la renaissante et prestigieuse "Postale de Nuit", enfin appelé comme chef d'exploitation d'Air France à Orly où, pour redresser une situation difficile, il restera jusqu'en 1953, admis à faire valoir ses droits vers une retraite à laquelle il n'aspirait nullement.

Et alors même qu'il allait à Orly la nuit, suivre les longs-courriers dispersés sur le monde, Didier DAURAT passait souvent au Bourget, où Raymond Vanier était présent, veillant sur "leur Postale".

Alors ? Peut-on conclure sur un tel raccourci ? Didier DAURAT, un exemple ? Ah! non Autre chose. Un monolithe habité par l'inconnaissable... Et la concentration d'un don, laissé en héritage, pour le bonheur de ceux qui, l'espace d'un temps, ont été nourris de l'efficiente présence d'un esprit à l'état pur ; une composante majeure de joie de vivre, offerte sans compromission, jamais.

Dans l'impénétrable mystère de l'après dernière heure, cependant lourde d'indéfinies renaissances, l'hommage rendu, très haut, "presque inaccessible" vers ce qui passe, et en même temps doit demeurer. .... nul n'oubliera ce qu'il a fait".

A ciseler. Sur de l'airain.

*ADLR à 29 ans

 

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