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Didier Daurat     

Quand la politique s'en est mêlée on a fait à Didier Daurat des reproches, qui, avec le temps, font peu de cas des formidables difficultés que cet homme exceptionnel eut à maîtriser. "Il ordonnait le départ en dépit des pires circonstances atmosphériques, envoyant ainsi à des accidents graves, mortels parfois, des pilotes jeunes, courageux, disciplinés qui fonçaient sans discuter. Il était dur, très dur, trop dur, inaccessible, à tout autre sentiment que le passage et la régularité du courrier quel que soit le temps... Il a injustement mis à la porte des pilotes accidentés ou gravement perturbés et fatigués par des vols au cours de tempêtes transformant le pilotage en aventure insensée, pilotes qui manifestement avaient besoin de repos". Telles furent les principales accusations portées contre Didier Daurat, mais plus tard quand la partie était gagnée.

En réalité, Daurat avait pris en main l'exploitation de la ligne quand celle-ci était en perdition. Dans ces conditions il n'avait pas d'autre voie cruelle, sans doute, mais salvatrice. S'il avait admis l'ajournement des vols cause "mauvais temps", s'il n'avait pas éliminé, sans pitié, quiconque reculait ou donner l'impression de reculer, s'il n'avait pas, constamment, fouetté l'émulation entre les meilleurs... s'il n'avait pas créé cette mystique impérative, absolue, dévorante du courrier... s'il avait en somme choisi la voie de la bienveillance et de la compréhension... du laxisme, comme l'on dit aujourd'hui... c'est simple le tronçon Toulouse-Casablanca se serait étiolé puis serait mort. Quand aux autres on n'en aurait jamais parlé.

Telle est en fin de compte, l'opinion sur Didier Daurat de pilotes justes, raisonnables et sincères qu'il a parfois très durement traités.

Pour l'histoire cela devait être dit.

* par l'amicale des pionniers des lignes aériennes LATECOERE-AEROPOSTAL


et
Aussi Postale de Nuit

Daurat par Marcel MIGEO
Daurat par Jean MACAIGNE 
Daurat par Paul GRAUGNARD  Le coté "Rivière" et le coté non "Rivière"


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DAURAT par Jean MACAIGNE. Le 2 janvier 1991.
A ciseler sur de l'airain

Il y a un siècle naissait Didier DAURAT. Les Anciens de la Postale de Nuit se doivent d'évoquer celui qui fut leur chef depuis Air Bleu en 1935 au Centre d'Exploitation d'Air France en 1953.
Nous vous présentons, ci-dessous, un très beau texte de Jean MACAIGNE publié dans la revue des Anciens d'Air France.

Car c'est par l'air que tout est arrivé. Pou ce qu'il en fut à même d'apprécier au cours d'une longue vie d'action, le rédacteur de ces lignes résiste mal à la souveraine tentation d'esquisser, en toute humilité, la sommaire analyse d'une existence d'homme qui porta tant de fruits.
Nous savons que la naissance d'un homme ne constitue pas forcément un exploit en soi. Mais cette naissance peut -être grosse de l'exploit qui en adviendra car, dans l'écoulement ordinaire des choses, souvent l'inattendu arrive. Et l'homme, alors réalisé dans sa période de plénitude, accomplira sa mission, par l'effet d'un étrange révélateur dont la subtile composition restera inconnue. Ainsi parlera-t-on de mystère ou de secret.
Est-ce de cette essence-là qu'était Didier Daurat ?
Plus de vingt ans déjà, que le samedi 6 décembre 1969, les cloches de la basilique Saint-Sernin de Toulouse sonnaient un glas dont les résonances profondes se répercutaient en un douloureux adieu. Et parmi les plus notoires marques de gratitude alors témoignées, le Secrétaire Général de l'Aviation Civile, M. Jacques BOITREAUD devait notamment déclarer "Au nom du Ministre des Transports, j'ai mission d'associer le gouvernement au dernier hommage rendu à Didier DAURAT. J'accomplis cette mission avec respect".
Puis après avoir également rappelé l'homme hors série qu'était Didier DAURAT, Jacques BOITREAUD dit en substance : " ... Sans Didier DAURAT, la France n'aurait pas la place qu'elle a aujourd'hui dans le transport aérien. Son œuvre fait honneur à son pays et lui vaut notre reconnaissance. Nul n'oubliera ce qu'il a fait".
C'était l'hommage de la France et, par la qualité des délégations présentes, l'hommage du monde.
D'origine modeste, hors d'une formation intellectuelle particulière (ce qu'on ne lui pardonnera pas vers le milieu de son éblouissante carrière), Didier DAURAT ne semblait nullement prédestiné à être projeté vers un tel sommet.
D'un naturel plutôt timide, réservé, en milieu familial équilibré, travailleur, son enfance et son adolescence se déroulent dans le courant d'une vie calme, paisible. Celle-ci oriente son entrée à l'Ecole d'horlogerie de Paris, puis son admission à celle des Travaux Publics où les connaissances acquises renforcent un goût certain d'ordre minutieux, de méthode. Rien ne laisse percevoir les dons d'un chef.
Où, quand, et comment s'opérera cette sorte de transmutation soudaine ? Pourquoi et par quoi ?
Ce sont les événements qui révèlent la valeur intrinsèque de l'homme. Et si Didier DAURAT n'était pas un chef né, l'aviation secrètement attendue, définit finalement en lui une vocation intuitive. Car c'est d'abord dans l'infanterie qu'il accomplit son temps légal de service militaire lorsque la guerre de 14/18 éclate. Et c'est même en qualité de sous-lieutenant, qu'à la tête de son unité il est blessé au cours d'une contre-attaque à Verdun, le 2 avril 1916.
Après une convalescence écourtée, il est fait droit à sa demande de mutation dans l'aviation. Et le 16 décembre de cette même année 1916, il obtient le brevet de pilote, après avoir eu parmi ses moniteurs le prestigieux Sadi Lecointe.
Cette fonction nouvelle de pilote détermine à coup sûr en lui un sens particulièrement aigu de la responsabilité, de ce qu'elle comporte pour soi, et de ce qu'elle engage à l'égard des autres. Et là, s'impose pour lui le sentiment spécifique du devoir, auquel Didier DAURAT ne faillira jamais.

Après la période des hostilités, où le pilote s'illustrera dans l'observation, le bombardement, puis passera par la fameuse escadrille de chasse Spad-87, Didier DAURAT est démobilisé et vient à Toulouse, en juillet 1919.
Sur les instances de Beppo de Massimi, ami de Latécoère, qui avait été son observateur sur le front, il est engagé. D'emblée, ses qualités apparaissent telles que, le 1 septembre 1919, Latécoère lui confiera l'ouverture de la ligne TOULOUSE/RABAT.
Et le 1er octobre 1920, treize mois après son arrivée à Montaudran, Didier DAURAT est nommé Directeur de l'Exploitation des "Lignes Aériennes Latécoère". * La transmutation s'opère. Elle s'amplifiera dans l'exercice de l'autorité, de la responsabilité, et de l'exemple lorsque celui-ci se révélera nécessaire pour obtenir des hommes plus qu'eux-mêmes n'eussent alors imaginé. Un peu plus tard, il livrera une partie de sa pensée : Donnez aux hommes, dira-t-il, un but collectif, et placez ce but à une hauteur presque inaccessible. Bloquez tous les efforts dans une émulation sans fin, et vous ferez de la molle pâte humaine une substance de qualité. Elle offrira alors ce qu'elle contient de meilleur".
Et c'est dans l'application sans faiblesse de cette conception, viscéralement ressentie, que Didier DAURAT trouvera sa dimension.

Rien pourtant qui le distingue du quidam commun, attitude calme, égale, sans recherche vestimentaire particulière qui attire l'attention, fondu dans la masse, sans émergence apparente, saut... ah ! sauf, en approche, un bloc, une présence, non recherchée, non exploitée, mais effective, intégrale, absolue, radiante.

Parlera-t-on d'ascendant ?

Là est le mystère ou le secret. Le sortilège peut-être.

Par la nature même de son action, et la forme qu'il lui donnait, Didier DAURAT imposait une révolution. Mais une révolution insensible, dont le nom ne pouvait et n'avait pas à être prononcé ; une révolution inlassablement poursuivie, toujours animée du même souffle, inspirée de la même foi communicative.
Sur Didier DAURAT, insaisissable par la magie qu'induisait sa personne, que n'a-t-on pas trouvé, commenté, exploité, et ce qu'une légende alors établie s'est complue à propager : chef dur, impitoyable, dépourvu de tout sens humain, etc... Cette légende l'a conduit trop loin, si l'on comprend qu'il rejetait ensemble la médiocrité et la malchance. Ce qui lui attira nombre de critiques et d'ennemis. Il négligeait les unes et ignorait les autres, sachant bien que les vraies victoires, qui s'imposent d'elles-mêmes, ne sont pas perceptibles à tous.
A travers des difficultés sans nombre, des bouleversements suivis de chaos, on note cette phrase du compagnon de 34 années de lumière (1919 - 1953), phrase qui. tombe comme un accent de vérité : " .... je n'ai connu personne, dira Raymond Vanier, qui résiste bien longtemps à DAURAT !
34 années ! 34 années de créations représentant une longue suite ininterrompue de succès : "Les lignes aériennes Latécoère", "l'Aéropostale", "Air Bleu" jusqu'à l'inauguration de la "Postale de Nuit", les "S.C.L.A.M." (Services Civils des Liaisons Aériennes Métropolitaines) arrachés aux commissions d'Armistice italo-allemande dans notre zone encore libre durant la période noire, puis la renaissante et prestigieuse "Postale de Nuit", enfin appelé comme chef d'exploitation d'Air France à Orly où, pour redresser une situation difficile, il restera jusqu'en 1953, admis à faire valoir ses droits vers une retraite à laquelle il n'aspirait nullement.
Et alors même qu'il allait à Orly la nuit, suivre les longs-courriers dispersés sur le monde, Didier DAURAT passait souvent au Bourget, où Raymond Vanier était présent, veillant sur "leur Postale".
Alors ? Peut-on conclure sur un tel raccourci ? Didier DAURAT, un exemple ? Ah! non Autre chose. Un monolithe habité par l'inconnaissable... Et la concentration d'un don, laissé en héritage, pour le bonheur de ceux qui, l'espace d'un temps, ont été nourris de l'efficiente présence d'un esprit à l'état pur ; une composante majeure de joie de vivre, offerte sans compromission, jamais.
Dans l'impénétrable mystère de l'après dernière heure, cependant lourde d'indéfinies renaissances, l'hommage rendu, très haut, "presque inaccessible" vers ce qui passe, et en même temps doit demeurer. .... nul n'oubliera ce qu'il a fait".

*ADLR à 29 ans








Extrait de "Didier Daurat" de Marcel MIGEO

DIDIER DAURAT - Souvenirs de la Postale de Nuit

"En septembre 1939, la déclaration de guerre allait interrompre ce merveilleux élan  donné par AIR BLEU fondé en 1935 par Didier Daurat- et c'est seulement en octobre 1945 que s'envola de nouveau du Bourget, sur l'unique piste en grille métallique entourée de cratères de bombes, l'avion postal.

Ce courrier fut un symbole : celui d'une résurrection. Didier Daurat, de son bureau installé dans un baraquement en planches, parmi les ruines, allait an prix de mille difficultés, avec des moyens dérisoires et des hommes venus vers lui comme vingt cinq ans plus tôt, après une autre guerre déjà, ranimer cette aviation postale qui fut la grande oeuvre de sa vie et qui fut aussi la souche de l'aviation commerciale. C'est en portant des lettres d'abord que l'avion ouvrit les premières routes qui sillonnent le ciel de notre planète. C'est en portant des lettres d'abord que l'aviateur apprit à connaître les éléments si redoutables de l'atmosphère. C'est en portant des lettres d'abord que se découvrirent les imperfections des machines volantes et que se développa l'aérodynamique, technique nouvelle dont les progrès allaient être prodigieux. C'est en portant des lettres d'abord que naquit, se modela et s'affermit dans la race humaine une nouvelle lignée qui, poussée vers les hauteurs, ouvrit les voies mystérieuses vers l'infini qui révèleront peut être un jour à l'homme les secrets de la vie.

Sous l'impulsion de Didier Daurat, des équipages, aussi grands par leur effacement que par leur courage et leur ferveur, allaient poursuivre et développer l'entreprise d'AIR BLEU et revivre en même temps l'aventure des pionniers. Car des hommes peuvent aujourd'hui encore, connaître l'aventure dans le ciel de la France, comme dans n'importe quel ciel, au-dessus de n'importe quelle portion de territoire dans le monde.

Des équipages allaient payer de leur vie ce qui était lin peu comme une reconquête. En janvier 1946, Perrin, Le Coroler et Morin se tuaient à Bordeaux. Deux mois plus tard Gobert, Favreau et Houix tombaient à Pau -seul le pilote Gobert survécut à ses terribles blessures- Un mois après cet accident, Moreau et Furelaud s'écrasaient an Bourget. En 1947, c'était l'équipage Cahouet, Ducoudray et Salles qui percutait la colline d'Aubagne, près de Marseille. Des hommes prenaient la relève des disparus. L'Aviation Postale continuait. De nouvelles lignes étaient créées, les appareils remplacés par de plus rapides et surtout par d'autres capables d'emporter un tonnage de courrier plus élevé. Des deux cent mille lettres quotidiennes d'AIR BLEU on était arrivé chaque nuit au chiffre de deux millions de lettres.

C'est alors que la Direction d'Air France appela à Orly, Didier Daurat. L'année 1948 se terminait. Au début de 1953, Daurat avait depuis un certain temps déjà redressé une situation quasi désespérée. Il avait 62 ans. On le mettait à la retraite. La retraite, ce mot pour Daurat était loin d'avoir le sens qu'il a pour tant d'hommes. Ceux-ci, le plus souvent après une vie calme, sans à-coups, meublée simplement d'un travail régulier et assidu aspirent à un repos qui ne changera pas grand chose au cours de leur existence. La retraite, pour Daurat, c'était d'abord une sorte de disgrâce qui heurtait son sentiment d'orgueil de chef qui a pleinement réussi dans des entreprises extrêmement difficiles, qui a créé de ses propres mains une oeuvre humaine dont la portée est considérable. C'était ensuite, comme les prémices d'une déchéance, d'un déclin pour celui qui se savait capable encore d'entreprendre et de créer. C'était enfin -et c'est ceci qui l'affectait le plus- la rupture entre un chef et des hommes. Ne plus commander, ce besoin inné que plus d'un tiers de siècle d'autorité exercée avec rigueur avait renforcé, Daurat ne pouvait s'y résoudre.

Voilà ce soir- là, avant de quitter à jamais la Direction du Centre d'Air France à Orly, Didier Daurat regardait partir le dernier avion conduit par le dernier équipage soumis à sa volonté.





Didier Daurat par Paul Graugnard arrivé à la Postale en 1946

Il n'y avait pas de moyens de dégivrage mais il semble que la structure en tôle ondulée diminuait un peu l'effet de givrage. Ce qui n'empêcha pas qu'un soir de décembre 1947, alors que je descendais à Lyon, je dus faire demi-tour sur le Morvan. La glace s'amoncelait sur le bord d'attaque, me faisant perdre de l'altitude. ne pouvant franchir le Morvan à l'altitude de sécurité et devant l'aléa du survol des monts du Beaujolais, je revins sur Le Bourget. Monsieur Daurat m'attendait et le temps passé à briser la glace, à refaire les pleins et à retourner sur le Morvan devait permettre un changement de la météo qui transformeraient les conditions antérieures. Je redécollais donc mais approchant du Bois du Roi, je retrouvais les mêmes phénomènes de givrage et fis de nouveau demi-tour. Didier Daurat était encore là; il me dit qu'il fallait encore essayer et qu'il m'accompagnerait. Il devait être environ 4 heures du matin lors de notre décollage; en arrivant près de la montagne, nous retrouvâmes la même situation : fort givrage et perte d'altitude. Le gonio d'Auxerre nous donnait parfaitement notre position en distance. Bien décidé à ne pas faire demi-tour de mon propre gré, je commençais à voir Monsieur Daurat s'agiter et rouler une cigarette ce qui, pour lui était le comble de l'agitation !
Il se pencha vers le radio pour faire confirmer les QTE, puis se tournant vers moi, il me dit de sa voix lente : " je crois que vous devriez faire demi-tour ! " Je ne me le suis pas fais pas dire deux fois et, au lever du jour, nous nous posions au Bourget.
Didier Daurat quitta l'avion sans dire un mot...
Ça, c'était un peu le coté "Rivière" de Daurat. J'ai eu l'occasion d'en découvrir un autre... Ce devait être au début de l'hiver 1947/1948. J'avais appris l'accident survenu à un de mes bons amis, pour ne pas dire le meilleur; il avait percuté le Jura dans les environs de Saint-Claude. Je partais en courrier le soir même et il n'était pas question pour moi de demander un changement quelconque afin d'aller sur place. Le soir donc, j'arrivais au Bourget pour prendre le départ. Didier Daurat me fit entrer dan son bureau " Monsieur Graugnard, je vous ai fait remplacer par Monsieur Beaugourdon. Ma voiture est en bas avec mon chauffeur. Il va vous conduire à Saint-Claude. Je sais les liens qui vous unissent à du Tilly ". C'était tout, mais je crois qu'à partir de ce moment, l'image d'un homme de coeur a définitivement effacé dans mon esprit, l'image de " Rivière ".
C'était une époque où les hommes responsables savaient être exigeants, tout en restant profondément humains. Raymond Vanier a été le digne successeur de Daurat. Dans un registre tout différent, il s'imposa par la persuasion, jamais un mot plus haut que l'autre, il insistait simplement et arrivait à ses fins. Raymond Vanier avait été le digne successeur de Daurat. Dans un registre tout différent, il s'imposa par la persuasion, jamais un mot plus haut que l'autre, il insistait simplement et arrivait à ses fins. Raymond Vanier avait été le défricheur infatigable des lignes Latécoère à leurs débuts. Son apparente froideur n'était que le reflet de son intransigeance pour tout ce qui touchait au respect de l'horaire. Peu d'hommes ont fait montre d'une telle conscience professionnelle, son dévouement fut total. Il sur être un chef digne et respectueux de l'homme.




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