Extrait de "Didier
Daurat" de Marcel MIGEO
DIDIER DAURAT - Souvenirs de la Postale de Nuit "En septembre 1939, la déclaration de guerre allait interrompre ce merveilleux élan donné par AIR BLEU fondé en 1935 par Didier Daurat- et c'est seulement en octobre 1945 que s'envola de nouveau du Bourget, sur l'unique piste en grille métallique entourée de cratères de bombes, l'avion postal. Ce courrier fut un symbole : celui d'une résurrection. Didier Daurat, de son bureau installé dans un baraquement en planches, parmi les ruines, allait an prix de mille difficultés, avec des moyens dérisoires et des hommes venus vers lui comme vingt cinq ans plus tôt, après une autre guerre déjà, ranimer cette aviation postale qui fut la grande oeuvre de sa vie et qui fut aussi la souche de l'aviation commerciale. C'est en portant des lettres d'abord que l'avion ouvrit les premières routes qui sillonnent le ciel de notre planète. C'est en portant des lettres d'abord que l'aviateur apprit à connaître les éléments si redoutables de l'atmosphère. C'est en portant des lettres d'abord que se découvrirent les imperfections des machines volantes et que se développa l'aérodynamique, technique nouvelle dont les progrès allaient être prodigieux. C'est en portant des lettres d'abord que naquit, se modela et s'affermit dans la race humaine une nouvelle lignée qui, poussée vers les hauteurs, ouvrit les voies mystérieuses vers l'infini qui révèleront peut être un jour à l'homme les secrets de la vie. Sous l'impulsion de Didier Daurat, des équipages, aussi grands par leur effacement que par leur courage et leur ferveur, allaient poursuivre et développer l'entreprise d'AIR BLEU et revivre en même temps l'aventure des pionniers. Car des hommes peuvent aujourd'hui encore, connaître l'aventure dans le ciel de la France, comme dans n'importe quel ciel, au-dessus de n'importe quelle portion de territoire dans le monde. Des équipages allaient payer de leur vie ce qui était lin peu comme une reconquête. En janvier 1946, Perrin, Le Coroler et Morin se tuaient à Bordeaux. Deux mois plus tard Gobert, Favreau et Houix tombaient à Pau -seul le pilote Gobert survécut à ses terribles blessures- Un mois après cet accident, Moreau et Furelaud s'écrasaient an Bourget. En 1947, c'était l'équipage Cahouet, Ducoudray et Salles qui percutait la colline d'Aubagne, près de Marseille. Des hommes prenaient la relève des disparus. L'Aviation Postale continuait. De nouvelles lignes étaient créées, les appareils remplacés par de plus rapides et surtout par d'autres capables d'emporter un tonnage de courrier plus élevé. Des deux cent mille lettres quotidiennes d'AIR BLEU on était arrivé chaque nuit au chiffre de deux millions de lettres. C'est alors que la Direction d'Air France appela à Orly, Didier Daurat. L'année 1948 se terminait. Au début de 1953, Daurat avait depuis un certain temps déjà redressé une situation quasi désespérée. Il avait 62 ans. On le mettait à la retraite. La retraite, ce mot pour Daurat était loin d'avoir le sens qu'il a pour tant d'hommes. Ceux-ci, le plus souvent après une vie calme, sans à-coups, meublée simplement d'un travail régulier et assidu aspirent à un repos qui ne changera pas grand chose au cours de leur existence. La retraite, pour Daurat, c'était d'abord une sorte de disgrâce qui heurtait son sentiment d'orgueil de chef qui a pleinement réussi dans des entreprises extrêmement difficiles, qui a créé de ses propres mains une oeuvre humaine dont la portée est considérable. C'était ensuite, comme les prémices d'une déchéance, d'un déclin pour celui qui se savait capable encore d'entreprendre et de créer. C'était enfin -et c'est ceci qui l'affectait le plus- la rupture entre un chef et des hommes. Ne plus commander, ce besoin inné que plus d'un tiers de siècle d'autorité exercée avec rigueur avait renforcé, Daurat ne pouvait s'y résoudre. Voilà ce soir- là, avant de quitter à jamais la Direction du Centre d'Air France à Orly, Didier Daurat regardait partir le dernier avion conduit par le dernier équipage soumis à sa volonté. |