Paul Vericel 2 novembre 2002  

        

Un ministre qui n'a pas peur de se mouiller 


(L’histoire est authentique, seuls les noms ont été changés)


En cet été 1995, ça chauffe dur du coté du centre d’expérimentations du Pacifique (CEP). En juin le nouveau Président de la république a décidé la reprise des essais nucléaires pour une dernière campagne. Immédiatement tous les écolos, tous les "anti", tous les médias de la planète, sans compter certains états qui ont des arrières pensées, se sont mobilisés dans un tintamarre assourdissant qui commence à gêner sérieusement le gouvernement. Seuls quelques personnalités analysent sérieusement les données. La plupart des ministres ont adopté le profil le plus bas. C’est dans ce contexte que je rentre de Polynésie le 11 août, où les préparatifs vont bon train. Je viens quelques jours à Paris régler certains points avant de repartir aussitôt sur place.

A peine arrivé chez moi, je constate avec surprise que des appels pressants proviennent d’un ministère qui n’est pas le mien. Nous sommes au début du grand week end du 15 août et j’ai beaucoup de mal à entrer en contact avec le directeur de cabinet de ce ministère. Enfin je le joins et là je tombe des nues :

      - Vous comprenez mon général, le Président de la République est inquiet de la tournure des évènements, aussi a t’il demandé à chaque ministre de faire, pendant les vacances, quelque chose pour soutenir la politique du gouvernement. Le nôtre (que j’appellerai M. Rousseau) a eu une idée assez géniale; il se propose d’aller plonger sur un puits de tir à Mururoa avec la couverture d’une équipe de TF1 et de montrer qu’il n’y a aucune radioactivité. (Pour information les puits de tir sont à 50 mètres de profondeur, sous le lagon.)
      - Pardon, M. Rousseau a t’il déjà fait de la plongée?
      - Ben... je crois que dans sa jeunesse il a fait un peu de plongée en Corse.
      - Mais quand veut-il faire cela et de combien de temps dispose t’il?
      - La semaine prochaine et je crois qu’il pourra vous consacrer 24 heures.

Complètement ahuri je fais valoir qu’on ne plonge pas à 50 mètres sans un sérieux entraînement et que de toute manière, en supposant que le ministre ait les aptitudes physiques pour le faire, il faudra l’entraîner progressivement enfin que les contraintes médicales excluent qu’il puisse plonger à cette profondeur et prendre un avion dans la même journée. 
Mon interlocuteur est visiblement contrarié. Il fait la passe à l’aile et me demande d’appeler directement le Ministre, sur son lieu de villégiature pour lui parler de tout cela.
      - Ah j’oubliais de vous dire que tout cela doit se faire dans la confidentialité la plus stricte
(Facile à dire sur un site en ébullition où travaillent plus de 3000 personnes). Même le Haut Commissaire ne doit pas être prévenu, ni bien sûr le Président du gouvernement de la Polynésie.

Nanti du numéro de téléphone confidentiel j’appelle le ministre. 
      - Mon général, je suis ravi de vous entendre. Mon directeur de cabinet vous a expliqué ce que je veux faire. Ce serait formidable n’est ce pas?

J’explique les contraintes. Le grand homme est dépité mais non convaincu.
      - Écoutez, essayez néanmoins de voir si vous ne pouvez pas arranger cette affaire, je pourrai peut être vous consacrer un peu plus de temps. Passez me voir à mon bureau le 16 août, nous arrêterons tout ça. 

J’appelle le cabinet de la Défense et lui explique l’affaire. On est au courant là bas, mais la consigne est d’essayer de faire. atoll-de-Mururoa.jpg (32677 octets)
J’appelle le commandant de base de Mururoa. Heureusement c’est un aviateur et en plus je le connais très bien. Je lui explique la chose. Il me rappelle en m’expliquant les règles: visite médicale, entraînement progressif, passage des degrés, etc. enfin une quinzaine de jours! 
      - Je ne vous demande pas de me réciter les règlements, je vous demande de me proposer un programme sur 3 jours et de me donner les points clés à respecter pour que cette progression fulgurante ait quelques chances de succès, en limitant les risques. 

On est le soir, donc le matin en Polynésie. A mon réveil le lendemain je reçois par fax le fameux programme: 3 plongées d’entraînement progressif au minimum, avant la grande prestation télévisée. Le moniteur sera le plongeur le plus chevronné du site, responsable par ailleurs du club de plongée. Il se trouve, par pure coïncidence sur ce site totalement interarmées, que c’est aussi un aviateur. Il accepte le contrat à condition qu’un véritable climat de confiance s’établisse avec son  "élève" et que l’on n’exerce pas de pression au cas où il déciderait que la poursuite est impossible. Visite médicale préalable. Pour la confidentialité le ministre devra se fondre dans le décor. Une question: "Est ce que l’équipe télévisée sera au moins qualifiée pour une telle plongée?". 
Le 16 août, après avoir rencontré le directeur de cabinet de la Défense, qui trouve l’affaire extrêmement scabreuse et inadéquate, mais n’en peut mais, je suis reçu par M. Rousseau, très détendu. Il accepte tout, modifie des vacances à Los Angeles, ira passer une visite médicale, nous consacrera les trois journées sur place nécessaires au programme, admet que ça pourra ne pas aboutir, mais impose que l’affaire soit menée par telle équipe de TF1, alors que je lui proposais d’utiliser une équipe qualifiée de l’ECPA (établissement ciné-photographique des armées), en place à Mururoa. L’équipe TF1 sera menée par Jacqueline d’Aygues, grand reporter, qualifiée en plongée, etc. Je n’ai plus qu’à acquiescer. Le directeur de cabinet me donne les dernières consignes. Le voyage du ministre se fera incognito. Il prendra le DC8 militaire à Los Angeles, lors de son escale technique; personne ne doit être au courant de l’affaire, en particulier le président du gouvernement du Territoire, ni même le Haut Commissaire en Polynésie. Enfin M. Rousseau, qui enchaîne son passage à Mururoa avec une visite officielle en Polynésie à Tahiti, devra être inséré discrètement parmi les passagers et membres de son cabinet qui descendront de l’avion d’Air France par lequel il sera sensé arriver. Là je grimpe aux rideaux. J’ai des relations de confiance avec le Haut Commissaire, il n’est pas question de mener cette affaire "tordue" sans l’informer au préalable. Le dircab cède !

Je repars aussitôt en Polynésie où il ne manque pas de chats à fouetter, car nous sommes à moins de trois semaines du premier essai. 
Je passe chez le Haut Commissaire qui est complètement abasourdi quand je le mets au courant. Sa réaction est immédiate : je ne peux pas ne pas informer le Président du gouvernement du Territoire, d’autant qu’il a l’habitude d’aller accueillir les autorités au pied de la passerelle de l’avion. Nous convenons qu’il faut également prévenir le commandant du groupement de gendarmerie qui sera chargé d’infiltrer discrètement le Ministre dans la cohorte des passagers descendant de l’avion (Allez donc garder un secret!).
Je fonce à Mururoa, organise l’affaire avec le commandant de base, prévient le directeur des essais du CEA. J’ai l’impression de me retrouver commandant d’escadrille en train de monter un coup tout aussi fumant que foireux.
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L'atoll de Fangataufa est une véritable réserve ornithologique: ci-contre un Fou de Bassant.  

Le lundi soir le DC8 se pose à Mururoa. M. Rousseau, accompagné de son seul garde du corps, descend. Comme prévu, il est monté discrètement à Los Angeles. Le colonel chargé de l’accompagner a su bien faire les choses et personne n’a identifié l’autorité, heureusement peu connue dans notre milieu. Nous l’emmenons rapidement. Je lui ai laissé mon "faré" qui dispose d’un confort relatif. Nous repassons les conditions de son "opération": si possible deux plongées d’entraînement par jour de façon à être prêt pour jeudi, arrivée de l’équipe de tournage mercredi, départ vendredi au petit matin par avion militaire jusqu’à Papeete. Le contact est excellent et je suggère à M. Rousseau de considérer ce séjour comme quelques jours de vacances supplémentaires et donc de profiter de la plage, de s’habiller décontracté, chemisette et bermuda qui sont la meilleure façon de se fondre dans le décor ici. Il rencontrera à ma table les responsables du site et personne ne lui donnera du Monsieur le Ministre. Avec son moniteur il lui faudra faire dans la simplicité. Nous pourrons également lui organiser des visites privées des installations pour lui montrer le site et lui expliquer la campagne d’essais. Il accepte avec bonne humeur et effectivement se pliera aisément à la consigne, au point que, dans l’action, le tutoiement réciproque avec son mentor me laissera pantois.

Dés le lendemain "l’entraînement" débute et dés la première plongée l’optimisme est de règle. L’équipe de télévision a débarqué à Tahiti et son premier souci est de venir s’entraîner à Mururoa. Je suis obligé de me fâcher avec le SIRPA qui lui aussi est dans le coup bien sûr: il y a suffisamment de clubs de plongée à Tahiti pour s’entraîner sur place.

Soit! L’équipe débarque mercredi matin et son premier souci est de faire un plongée avec M. Rousseau qui en est à sa quatrième, parfaitement à l’aise. Cette séance manque de tourner à la catastrophe : Jacqueline d’Aygues, un peu fatiguée et peu entraînée, panique et fait une remontée en détresse. C’est la consternation. Je prends le ministre à part et lui dit clairement que si demain il y a le moindre doute, c’est l’équipe de l’ECPA qui fera le reportage, charge à lui de bien faire comprendre la chose à Jacqueline d’Aygues, avec qui il a des rapports assez familiers. Il fait passer la consigne et le lendemain tout ira bien.

Je surprends le soir notre ministre en train d’expliquer doctement à Jacqueline tous les principes et les résultats de la surveillance radiologique du site: notre énarque a digéré tranquillement toutes les données dont nous l’avons gavé au cours de ses récréations instructives et les régurgite aussi bien que nous pourrions le faire. Il le fera d’ailleurs le lendemain, au fond du lagon par 50 mètres de profondeur, avec un laryngophone. Chapeau!En-plongée-au-fond-du-lagon.jpg (65194 octets) (
Ci-contre: en plongée au fond du lagon) 
Deux plongées sont effectuées le jeudi. Dés la première tout est « dans la boite » et la deuxième c’est la cerise sur le gâteau.  
Le ministre a passé trois jours entiers sur le site et personne des 3000 intervenants sur place, sauf les "happy few" ne l’a identifié. Incroyable! M. Rousseau est aux anges, il a réussi le défi qu’il s’était fixé et rempli son contrat. Un dîner sympathique, avec remise de diplôme etc. clôt l’aventure le jeudi soir. 
Mais il reste une opération délicate: l’infiltration du ministre à Papeete. Nous décollons avec un Guardian de l’aéronavale. Pour des raisons inouïes, sur lesquelles je ne m’étendrai pas, indépendantes de notre volonté et non liées à la disponibilité des moyens, nous décollons en retard. Je stresse légèrement et passe une partie non négligeable du voyage (2 heures) dans le cockpit, jusqu’à ce que nous apprenions avec soulagement que l’avion d’Air France n’est pas en avance et a même un peu de retard. 
Arrivée discrète à l'escale militaire, embarquement rapide à coté du colonel de gendarmerie dans un véhicule banalisé ; le ministre arrive juste au moment où les membres de son cabinet descendent: Marseillaise, colliers de fleurs, congratulations, le tour est joué, personne ou presque n’a rien vu. Et le soir M. Rousseau peut annoncer officiellement qu’il n’a pas hésité à plonger sur une tête de puits, muni des compteurs de radioactivité qui vont bien et dûment filmé, pour démontrer l’absence de risque des essais. 
Encore une fois chapeau, et un grand bravo au commandant de la base et au moniteur de plongée, sans qui rien n'aurait pu être fait.
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Dernière mise à jour/ latest updating  30 janv. 2009