LA
LABELISATION DES CHARTERS
À la suite du
tragique accident d'avion de Charm El-Cheikh, le Ministre des
transports a annoncé, début juin, la mise en place,
dès 2005, d'un label français et des mesures de
transparence, visant à garantir une meilleure qualité et
sécurité du transport aérien.
De quoi s’agit-il ?
Essentiellement :
- d’affecter un label
pour les compagnies aériennes régulières et de
charters, sur la base d'audits et la constitution d'une "liste bleue"
des compagnies ayant satisfait à ce label ;
- de la demande faite
aux voyagistes d'informer, par avance, leur clientèle de la
compagnie sur laquelle elle voyagerait (a).
Il ne fait aucun
doute sur la bonne intention ayant présidé à ces
décisions, mais les difficultés prévisibles de
leur mise en oeuvre appellent quelques commentaires restrictifs.
* De la délivrance du
label TOP
Le label, d’une
validité de deux ans, serait décerné sur la base
d'une démarche volontaire des compagnies, européennes ou
non, à partir d'un cahier des charges portant à la fois
sur la sécurité et sur la qualité. L’objectif
étant de parvenir, à terme, à une norme
européenne.
Quant à la
transparence, l'information sur le nom et l'origine de la compagnie
utilisée sera d'abord une "recommandation" pendant deux ans
maximum pour, ensuite, devenir une "obligation". Cela revient à
dire que si aucune compagnie ne se porte volontaire, cette mesure - qui
se veut d’amélioration de la sécurité - est, de
facto, reportée à deux ans !
=> La
première question est de savoir comment seront
délivrés ces labels ?
Sachant que les
voyagistes utilisent les services de quelques 250 compagnies et qu'un
audit sérieux ne peut se faire en moins d’une semaine par
compagnie, il est déjà plausible d’émettre des
doutes quant au respect des délais.
En effet, quand on
sait que depuis des décennies, l’Organisme de Contrôle en
Vol (OCV) est très nettement sous-équipé pour
être en mesure d’assurer sa mission de contrôle des
équipages, comment l’Administration procédera-t-elle pour
mettre en place le corps des auditeurs ? Provenance ?
Qualification ? Nombre ? Coûts ?
De plus, quel que
soit le contenu des audits, ils ne pourront porter que sur l'aspect
"documentaire", à savoir : des vérifications du respect
des normes et textes habituels, bien connus des professionnels. Il
n'est pas question d'audit technique, encore moins d'audit sur le
social.
Tout constat de
dysfonctionnements ou d’insuffisances signifierait simplement que
l’Autorité de tutelle n’a pas su (ou pas pu) les détecter
auparavant, malgré les moyens à sa disposition.
N’oublions pas que c’est elle qui délivre les autorisations
d’exploitation ; qui vérifie et valide les documents de
référence des compagnies ; qui est destinataire de tous
les rapports d’incidents et d’accidents survenus en exploitation. Il
s'agirait, en fait, d'un "auto-audit", malgré tout assez partial.
=> La
deuxième question est de savoir quelles sont les compagnies qui
seraient principalement visées par ces mesures ?
Le ministre l’a
annoncé, dès janvier : la mise en place d'un label
permettra d'identifier les compagnies charter utilisées par les
voyagistes et l’établissement d’une liste bleue des entreprises
qui auront reçu ce label.
Le doute plane donc
essentiellement sur les compagnies charters qui sont plus
spécifiquement visées par ces mesures et non pas sur les
compagnies dites régulières. En effet, comment imaginer
qu’en Europe, par exemple, Air France, DLH, BA, ... ne soient pas sur
la liste "bleue" ?
Donc, il y a de quoi
être rassuré quant au niveau de fiabilité des
compagnies régulières européennes. Or, le
territoire européen est aussi desservi par plusieurs compagnies
étrangères, au sujet desquelles il existe une
méconnaissance de leurs conditions d’exploitation :
- sauf à
l’issue des rapports d’accidents ou incidents ayant mis en relief des
dysfonctionnements, des anomalies, des insuffisances, tous facteurs
accidentogènes, dont plusieurs peuvent échapper aux
audits sur documents (b) ;
- sauf lorsque les
médias nous apprennent qu’il n’y a pas une grande compagnie
américaine qui n’a pas été pénalisée
par coups de millions de dollars d’amende pour défaut
d’entretien !
Alors, finalement,
puisque ce sont les charters qui sont sur la sellette, il convient
d’éviter de faire l’amalgame. En effet, crier avec les loups
à la suite d’une catastrophe aérienne survenue sur un
avion charter - alors qu’après six mois écoulés,
les causes ne sont pas encore connues (c) (d)
- c’est
faire fi des millions de passagers qui, depuis un demi siècle,
ont voyagé avec des compagnies charters, en toute
sécurité. C’est oublier que l’émergence des
charters a contribué à la démocratisation du
transport aérien. C’est ignorer que la plupart des grandes
compagnies régulières ont créé leur propre
compagnie charter, appliquant les mêmes normes que leur compagnie
mère.
Certes, il est
possible - voire fort probable - que certaines de ces compagnies soient
en infraction avec les règlements et normes en vigueur. Mais, au
lieu d’inventer une nouvelle disposition qui touchera toute
l’industrie, ne serait-il pas préférable de faire la
chasse aux "tricheurs" éventuels ? Comment ? Simplement, en
mettant en oeuvre les moyens et la volonté de les déceler
et de les sanctionner... ce qui peut se faire tout au long de
l’année et non pas seulement à l’occasion d’un
contrôle tous les deux ans.
* De l’information aux
passagers
TOP
=> Les
voyagistes
Il semble que les
Tours Operators du CETO soient disposés à jouer le jeu,
si l’on en croît l’annonce selon laquelle ils seront prêts
dès leur prochain catalogue d'hiver.
Heureusement,
l'idée d'une "liste noire" négative - un moment
évoquée - a été écartée au
profit d'une liste "positive". En effet, on imagine la
difficulté pour une compagnie qui aurait figurée sur une
liste noire, de se débarrasser de cette sangsue, même
après avoir remontré patte blanche, quand on sait le
temps qu’il faut pour créer une image de marque et celui qu’il
faut pour la restructurer quand elle a été
détruite ! Finalement, il y aurait donc des compagnies qui
seront sur la liste bleue et d'autres qui ne le seront pas.
Dans quelle mesure le
voyagiste précisera-t-il à ses clients que la compagnie
proposée ne figure pas sur la liste bleue ? Quelle
réponse apportera-t-il à la question de son client lui
ayant demandé qu’elles en étaient les conséquences
? Quelle sera la responsabilité d’un voyagiste à la suite
d’un accident survenu à une compagnie non "listée" qu’il
aurait retenue ?
=> Les
clients
On arrive, enfin, aux
clients potentiels, lesquels - en fait - sont les premiers
concernés. L’utilité de cette obligation d’informer le
passager de l’avion sur lequel il volera n’est pas
démontrée. En effet, le voyagiste, après avoir
expliqué à son client la signification du "label bleu",
n’aura pas le toupet de lui proposer un avion ne figurant pas sur cette
liste ! Conséquence directe : la mort de toutes les
compagnies n’y figurant pas !
Le voyagiste
proposant alors une compagnie ayant le label bleu, on ne voit pas
comment le passager pourrait refuser.
D’ailleurs, à
l’exception de quelques-uns de ces passagers (qui sont des
habitués et sont au fait des composantes de l’industrie)
reconnaissons que le client qui arrive de la France profonde (ou -
lorsque la norme sera devenue européenne - de son hameau dans
l’un des 25 pays de l’Espace Européen) n’a pas la connaissance,
ni la compétence pour savoir s’il doit ou non accepter de partir
sur une compagnie dont le nom qui lui a été
indiqué lui est, de surcroît, souvent totalement inconnu !
Combien de fois
n’ai-je pas constaté que les passagers s’engagent dans la
passerelle d’embarquement et pénètrent dans la cabine
sans connaître, non seulement, ni le nom de la compagnie, mais
également le type de l’avion, le nombre de moteurs, leur mode
(à piston ou à réaction). Questionnant un
passager, il m’avait répondu avoir voyagé sur un avion du
"Crédit Agricole". Un autre m’a posé - par E-mail - la
question de savoir si je connaissais la compagnie "Air liquide". Gag ou
pas, cela démontre bien l’incapacité dans laquelle se
trouve le passager potentiel de donner son avis fondé sur le
choix d’un type d’avion.
* Conclusion
TOP
Il est bien
évident que les audits ont une utilité reconnue, mais
leur exploitation en vue de l’affectation d’un label paraît non
fondée, trop de facteurs leur échappant (b). De
plus, il est bon de savoir que les coûts desdits audits seront
répercutés sur le prix du transport aérien.
Etablir une liste
à partir d’un simple audit sous-entend que les compagnies qui
n’y figurent pas seraient hors normes, ce qui, d’une façon plus
ou moins directe, leur portera, de toutes les façons, un grave
préjudice.
Informer le passager
du nom de la compagnie qui le transportera, c’est reporter sur lui la
responsabilité de son choix, alors qu’il ne possède pas
tous les éléments d’une juste appréciation.
Finalement, ces
mesures contribueront-elles à l’amélioration de la
sécurité ? That is the question ?
Ce que l’on peut
affirmer, est que cette amélioration passe par toutes les
mesures prises - par les constructeurs, les administrations, les
compagnies, les aéroports, les organismes représentatifs
des personnels - toutes actions, souvent quotidiennes, concourant
à la prévention des accidents et non pas par
l’établissement de listes dans lesquels les passagers pourraient
faire leur choix.
N’y avait- il pas une
solution plus simple et plus efficace ?
1°.- Au lieu de
promulguer des textes dont l’efficacité apparaît comme
étant douteuse et touchant toute l’industrie, dès lors
qu’un audit n’est pas concluant, ne serait-il pas plus simple et plus
efficace d’établir et d’appliquer des règles en fonction
des écarts constatés : accord de certains délais
pour la remise aux normes, jusqu’au retrait provisoire de la licence
d’exploitation ou de l'interdiction de survol et d'atterrissage ?
2°.- Ayant
noté que ces audits s’appuieront sur des standards
internationaux (OACI) (e) alors que les normes
européennes (JAR) correspondent à des standards de
sécurité plus élevés (f), ne
serait-il pas plus simple et efficace d’interdire les
affrètements de compagnies qui ne sont pas en conformité
avec les règlements européens (JAR) ? Ainsi, toute
compagnie susceptible de se poser sur le sol français ou
européen devrait alors être une compagnie connue et
reconnue, ayant répondu de façon satisfaisante et
continue à des critères techniques et non pas à un
audit documentaire et purement administratif.
À cet
égard, quelle est la position des pilotes ? Leur principal
organisme représentatif (g), pour ce qui le concerne,
aurait officiellement demandé, par application du principe de
précaution et en attente des résultats définitifs
de l’enquête-accident, suite à l'accident du Boeing 737 de
Flash Airlines à Charm Le-Cheikh, qu’aucune compagnie hors JAA
ne puisse être utilisée par les tour-opérateurs
français, pour des vols charters au départ de la France,
et pour transporter des passagers ayant acheté leur voyage en
France.
— *** ---
Pour être en mesure d'assumer
leur obligation de résultat, les pilotes ont été
formés pour résoudre les divers problèmes qu'ils
rencontrent, après les avoir instantanément
hiérarchisés. Pourquoi ? Pour savoir par où
commencer en cas d'urgence, plusieurs décisions vitales
étant quelquefois à prendre en une poignée de
secondes. Or, hiérarchiquement parlant, la labelisation des
charters et à l'information des passagers ne figurent pas, de
toute évidence, parmi ceux pouvant être
considérés comme prioritaires.
Où est donc la priorité
? Comme je l'ai longuement développé dans ma chronique de
mai, il convient de rappeler l'importance du facteur humain dans la
sécurité des vols. Uniformiser les règles pour
tous les transporteurs est un objectif à atteindre en
priorité et en urgence. Ainsi, les normes draconiennes
exigées pour nos propres transporteurs aériens seraient
alors appliquées à ceux qui ont pris la relève de
nos compagnies qui ont disparu de l'échiquier, la demande
s'étant portée vers des "moins disant sociaux"
implantés à l'étranger. En effet, comment
pourrions-nous accepter que nos concitoyens soient transportés
par des "maillons faibles" du transport aérien mondial alors que
- je le rappelle une nouvelle fois - nos propres pilotes pointent au
chômage ?
=== TOP
(a) - Le président de
l'Association des tours opérateurs_CETO a précisé
que les voyagistes feraient apparaître le nom de leurs
transporteurs aériens dès leur prochain catalogue
d'hiver. Il a assuré qu'en cas de changement de dernière
minute de compagnie, le client serait informé.
(b) - Voir ma chronique de mai
2004 : "L"Europe élargie et la sécurité
aérienne".
(c) - Défaut de
structure de l’appareil ? Défaut de maintenance ?
Présence de kamikazes dans le poste de pilotage ayant
bâillonné ou assommé, voire endormi au chloroforme
les deux pilotes ? Erreur humaine ? Nobody nows ! Alors,
prudence dans les avis prématurés.
Or, cette réserve n’est pas
systématique. Une très récente émission
télévisée consacrée à la vie du
commandant de bord montra qu’il avait fait une brillante
carrière dans l’armée de l’air. Le reporter termina son
propos (de mémoire) en disant :: "Est-ce qu’un bon pilote
militaire est un bon pilote civil ?". Que cette question soit
posée à qui de droit afin d’avoir une réponse
précise pouvant alors être diffusée, cela serait
tout à fait normal. Mais, la poser en s’adressant à des
millions de personnes (dont beaucoup ne connaissent des avions que les
traces blanches qu’ils laissent dans le ciel) laisse ainsi planer un
doute sur son niveau de qualification. Une bonne information serait
d’indiquer que dès lors qu’un pilote militaire a réussi
à passer tous le filtres (examens théoriques et
pratiques, contrôles sur simulateur et en vol) lui permettant
d’accéder au métier de pilote de ligne et à la
qualification sur un type d’avion, il ne peut exister aucun doute sur
ses capacités à piloter un avion de ligne en toute
sécurité. D’ailleurs, si la question posée
était sensée, cela deviendrait inquiétant quand on
sait que la plupart des pilotes civils du monde entier proviennent de
l’armée de l’air.
Plus grave : "Le commandant
était un excellent pilote militaire, mais il n’avait que 400
heures de vol sur cet avion". Cette phrase assassine, totalement
non fondée, suggère implicitement un manque
d’expérience dudit pilote, laissant entendre que, à tout
le moins, jusqu’à 400 heures de vol, les pilotes sont
insuffisamment expérimentés ! Ici, également, la
bonne information aurait été de dire que dès lors
qu’un commandant de bord est "lâché" - c’est à dire
officiellement affecté à un type d’avion - il est apte
à gérer le vol dans toutes les situations courantes ou
dégradées.
(d) - Le chef des
enquêteurs égyptiens dans le crash du Boeing de Flash
Airlines, Chaker Qelada, vient de confirmer qu'un troisième
pilote se trouvait dans le cockpit lors de l'accident en janvier. Il a
ajouté que la cause du crash n'avait toujours pas
été déterminée, mais que les
enquêteurs s'informaient actuellement des accidents survenus sur
des appareils du même type (Boeing 737) récemment, "qui
pourraient aider à expliciter certains points".
Le ministre égyptien de
l'Aviation civile Ahmed Chafik avait annoncé, le 10 janvier,
qu'un rapport préliminaire sur les raisons du drame - qui a
coûté la vie à 148 passagers, dont 134 touristes
français - serait publié fin 2004.
(e)- OACI : Organisation
Internationale de l’Aviation Civile.
(f) - Contraintes
opérationnelles, maintenance, sûreté, formation et
entraînement des équipages, etc...
(g).- Le SNPL - Syndicat
National des Pilotes de Ligne.
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