- Quelques associés privés ont-ils une surface financière suffisante pour procéder
à
toute recapitalisation qui s’imposerait ?
- Peut-on
exercer le métier de
transporteur aérien avec un
seul avion ?
- Bien
qu’occupant 10% des parts de marché
sur les lignes desservant La Réunion,
Air Bourbon était-elle de
taille à concurrencer les
autres compagnies ? (b)
- Un déficit d’exploitation de 3
millions d’euros pour la première
année d’exploitation était-il programmé ? Et, dans l’affirmative, les
sources de recapitalisation avaient-elles été initialement prévues ?
- Proposer un
tarif unique toute l'année,
certes intéressant en période pleine, mais 30 % plus
cher en période creuse,
n’est-il pas la cause d’un très
faible taux de remplissage, très éloigné du taux d’équilibre d’exploitation ?
Quant aux désastreuses conséquences d’un tel
échec, elles touchent, non
seulement les nombreux passagers bloqués à La Réunion et les centaines d’autres
dont les billets ne seront pas remboursés,
mais également les salariés, dont beaucoup, issus d’Air
Liberté et d’Air Littoral,
avaient donc déjà été les pénalisés à la suite de la
disparition de ces compagnies.
* Volare TOP
Autre exemple,
celui de cette "low-cost" italienne, créée
en 2003. Après avoir
enregistré une perte de 45
millions d’euros à la fin
de sa première année d’exploitation, elle a dû cesser son activité en novembre 2004, son
endettement ayant atteint 300 millions d’euros et les tentatives de
recapitalisation ayant échouées.
On notera que
dans ce cas, également, non
seulement des milliers de passagers ont été bloqués à
terre et des milliers d’autres ont perdu le prix de leurs billets, mais
1.400 employés, dont 250
pilotes, ont perdu leur emploi.
La première question qui vient à l’esprit est de savoir si cette
compagnie avait une surface financière
lui permettant d’absorber les coûts
de son lancement ?
Mais, des
informations plus inquiétantes
ont été révélées
:
- L’existence
d’un trou supplémentaire de
100 millions d'euros, résultant
de fausses factures et d'erreurs comptables.
- Le Parquet
italien chargé d'instruire
ce dossier s'intéresse aux
relations que l'ex-management italien de Volare entretient avec celui
d'une compagnie basée à Majorque en Espagne, LTE, récemment rebaptisée Volar. En effet, des contrats
de location d'appareils liaient les deux entreprises prêtent à
des soupçons de
surfacturations au détriment
de la compagnie italienne aujourd'hui insolvable.
- Autre coïncidence troublante révélée par les médias, Volare a suspendu ses vols
quelques semaines avant le lancement, annoncé
le 17 décembre 2004, d'une
nouvelle compagnie concurrente italienne, "My Way Airlines".
Si l’on ajoute
que le siège social est à Kiev (Ukraine) et que la flotte
est composée d’avions
russes, cela ne peut que laisser planer un doute quant au sérieux de cette compagnie.
* La cause de tous ces maux
TOP
Quelle est
l’origine de toutes ces créations
et disparitions d’entreprises qui pénalisent
essentiellement les passagers et les personnels, alors que certains
financiers - dont je m’abstiendrai de donner un qualificatif -
continuent à être les maîtres du jeu ? La réponse a déjà
été donnée à plusieurs
occasions. Il s’agit de la "deregulation" de 1978 (c). Elle
s’est appuyée sur des
postulats selon lesquels :
1- "Le
transport aérien étant devenu majeur, il devrait
s'aligner sur les autres industries". Quelle erreur ! Etant
donné la sensibilité bien connue de l’industrie à de très nombreuses variables exogènes (conditions météorologiques,
grèves, conflits, récessions économiques, catastrophes
naturelles, épidémies,...), il est permis de se
demander comment cette idée à pu naître et être acceptée ? En effet, le transport aérien est un système fragile et vulnérable hors des périodes de croissance soutenue.
Il ne peut être assimilé aux autres industries pour de
nombreuses raisons déjà, longuement, développées. Même
en période de croissance,
ses marges bénéficiaires sont faibles eu égard aux capitaux investis.
2- "Il
fallait supprimer les barrières à l'entrée, ceci, afin de favoriser l'émergence de nouveaux "entrants"
pour stimuler la concurrence ce qui conduirait, par le baisse des
tarifs, à un avantage
certain pour les passagers du transport aérien".
J’ai démontré, depuis des années, que la validité de ces principes n’avait pas
été
confirmés par les faits.
Des dizaines de
compagnies ont disparu ou ont été absorbées par les "Majors" qui sont
devenues des méga-compagnies,
en position de quasi-monopole. Quant aux barrières à
l’entrée, elles devinrent
infranchissables par les "nouveaux entrants" (d). Si la baisse
des tarifs a effectivement été la première manifestation de la
"deregulation", une fois la restructuration accomplie, les tarifs
allaient cesser de diminuer pour, dès
1988, reprendre une croissance vers la hausse.
Mais la brèche était
ouverte, laissant place, dans ce nouvel espace aérien d’ultra-libéralisme,
à de très nombreuses initiatives, dont
l’objectif n’était plus de
transporter des passagers en sécurité, mais de faire des profits à très
court terme. En effet, créer
une compagnie ne pose plus de difficulté,
tout pouvant être acquis en
leasing - des équipements
de bureaux, aux avions - quant à
l’entretien, il est facile de le sous-traiter. Dès les premiers obstacles, il
suffit de procéder à de drastiques réductions du personnel, puis, si
la dégradation est irréversible, de mettre les clés sous la porte, après avoir lésé
des milliers de passagers, tant sur la qualité du produit que sur la sécurité.
Depuis
maintenant un quart de siècle,
ces perturbations et modifications fondamentales de la composition du
système du transport aérien éclosent régulièrement.
Elles se reproduiront encore tant que le système n’aura pas atteint le stade
de la stabilisation. Ce sera celui de la constitution d’oligopoles privés très
puissants, composés de
compagnies réunies dans des
hyper-groupes (e) et disposant de moyennes compagnies filialisées. Le même processus touchera les
"low-cost", dont plusieurs n’ont fait qu’une apparition éphémère. Les compagnies nationales
auront disparu de l’échiquier.
Je ne décrirai pas, ici, les
avantages et les inconvénients
de cette conjecture d’équilibre,
donc de stabilité, mais
poserai simplement la question de savoir s’il était vraiment nécessaire de passer par cette
"deregulation" pour en arriver là
!
En effet, au
risque d’être taxé de nostalgique, je rappellerai
que dès la fin 1944,
l’aviation civile internationale s’est organisée sur la base d’une coopération, ce qui a permis, pendant
plus d’une trentaine d’années
de développer un immense réseau autour du monde, avec des
appareils de plus en plus gros et de plus en plus sophistiqués, tout en maintenant des tarifs
dont la hausse a toujours été inférieure à l’érosion monétaire (f).
* L’organisation du transport aérien
TOP
Trouver des
solutions pour reclasser les personnels et poursuivre en justice les
"tricheurs" sont des mesures d’urgence, mais qui ne traitent le problème qu’en bout de chaîne. Tant que le robinet de la
baignoire est ouvert, il est inutile d’essayer de la vider à l’aide d’une cuillère
à
soupe ! Il s’agit donc de porter son regard au niveau supérieur de la chaîne causale. Là, nous nous trouvons dans les
institutions chargées d’élaborer et faire respecter les règles nationales, européennes et internationales. Il
reste à espérer que l’établissement de ces règles ne seront pas "à minima", mais quelles tiendront
compte des points de vue exprimés
par les utilisateurs.
Malheureusement,
en ce qui concerne l’Europe élargie,
par exemple, tant que l’harmonisation ne sera pas totalement réalisée
et dans tous les domaines (social, fiscal, niveau des qualifications,
etc...), il en résultera forcément des déséquilibres
qui seront exploités et
conduiront aux perturbations décrites
(sous-traitances (g), délocalisations
(h), "dumping", combines et magouilles
diverses, ...).
De plus, il
convient de noter que ces textes ne concernent essentiellement que les
aspects techniques de l’organisation et de l’exploitation des flottes.
En effet,
comment imaginer, dans ce monde du "laisser faire", que des textes prévoient ce que pourraient
être la structure juridique d’un
groupe ; la composition de son Conseil d’Administration ; ses
capacités financières ; ses stratégies de développement ; etc...
Or, le paradoxe
est le suivant : lorsqu’une compagnie met le genou à terre, c’est auprès de l’Etat que tout le monde se
retourne pour réparer les dégâts.
C’est ainsi que :
- les passagers
d’Air Bourbon, privés de
vacances ou coincés dans l’île attendaient une intervention
de l’État, pour pouvoir
voyager ou être remboursés ;
- à la suite de la cession d’activité de Volare, les syndicats
italiens - à peine remis
des 3.700 suppressions d'emplois chez Alitalia - ont demandé l'intervention de l'Etat pour
éviter "un nouveau bain de
sang social".
Sachant que tout
investissement supporté par
l’Etat est, en fait, à la
charge de tous les citoyens, comment admettre que ce soient eux qui
doivent mettre la main à la
poche pour "renflouer" des compagnies non rentables ou pour dédommager les victimes des conséquences de désastreuses, voire frauduleuses
gestions ?
* L’organisation politique
TOP
Ce n’est donc
pas au niveau des institutions en place que se trouve le remède, mais au niveau politique.
Nous voilà au niveau le plus élevé, où
se décide les grandes
orientations, à travers des
Constitutions, lois, décrets
et arrêtés.
Certes, Winston
Churchill avait bien vu les faiblesses de la "démocratie", en disant que c’était le plus mauvais des systèmes après tous les autres. La partition
gauche/droite n’a plus lieu d’être.
J’ai été heureux de constater que
plusieurs hommes politiques et industriels partagent ce point de vue.
De plus, d’aucuns s’accordent à
dire que la gauche mène une
politique de droite et que la droite mène
une politique de gauche ! Il résulte
de ces concepts surannés une
hémiplégie politique permanente et bien
spécifique. En effet, alors
que la moitié du cerveau
politique est inhibée, cette
moitié critique systématiquement toutes les décisions prises par la partie
encore irriguée !
Cela me conduit
à faire une comparaison avec ce
qui se passerait si les pilotes étaient
embauchés en fonction - pour
ne prendre globalement comme référence que deux positions - de
leur appartenance à la
"gauche" ou à la "droite" ?
Celui de "gauche" demanderait à
ce que soit privilégié le confort des passagers
(aspect social), alors que celui de "droite" demanderait que soit privilégié
l’aspect économie (aspect
financier), en adoptant l’altitude de vol qui consomme le moins de
carburant, même si cela
conduit à voler dans des
turbulences.
Il en résulterait donc un permanent
conflit de points de vue opposés,
alors que pour la sécurité des vols ce sont les capacités des deux pilotes qui doivent
être réunies
pour trouver - en temps réel
- les solutions aux problèmes
posés pendant le vol, en vue
d’un objectif commun : l’atterrissage en toute sécurité
au terrain de destination.
En fait, ce
choix dichotomique "confort/économie"
n’est pas approprié aux réalités
des situations rencontrées
dans la pratique. La solution dépend
de nombreuses variables qui changent dans le temps et dans l’espace.
Elle sera adoptée d’un
commun accord, après analyse
des avantages et inconvénients,
en ayant en permanence en tête
l’objectif à atteindre.
Alors, rêvons un peu ! Pourquoi ne pas
envisager que nos élus,
jusqu’aux plus hautes Assemblées,
le soient, non plus d’après
leur appartenance à un
parti politique, mais en fonction d’autres critères de compétences. Ainsi, grâce aux expériences réunies, chaque problème posé serait
étudié
sérieusement et
objectivement en fonction de la nature et du nombre de contraintes à prendre en compte et des finalités préalablement
définies.
* Conclusion
TOP
Après le rappel de certains faits,
nous avons montré qu’ils résultaient d’un développement qui semble irréversible, celui de l’utra-libéralisme. Bien qu’encadré par de plus en plus de règlements, de graves
dysfonctionnements sont, malheureusement, encore trop souvent annoncés. Remontant le long de la chaîne causale, force est de
constater que les plus importantes décisions
au niveau des Etats, ne trouvent leurs racines que dans une partie de
la population.
Finalement, on
retiendra que l’ultra-libéralisme
:
- dans une première phase, a conduit au
renforcement des plus forts et à
la disparition des plus faibles ou, à
tout le moins, à leur
asservissement à des maîtres, seuls aptes à leur apporter leur activité quotidienne ;
- dans une deuxième phase, a généré une prise de conscience des
plus forts, de l’impérieuse nécessité de développer
une coopération de plus en
plus poussée, en vue de
renforcer leur position de domination du marché mondial.
Ainsi, la finalité première n'est plus de relier les
êtres de notre planète, grâce au transport aérien, mais plutôt de faire du transport aérien pour gagner de l'argent
("To make money") en n'accordant que peu de considération à tous ceux qui font fonctionner
le système.
Le transport aérien est un système de relations extrêmement complexes, en permanente
évolution, dans lequel des
efforts d'organisation, d'harmonisation ont, certes, été
constatés, mais devant la
multiplicité des problèmes à
aborder, l'importance du nombre de participants, les nombreuses
contraintes de tous ordres, existe-t-il une solution, un "happy
medium" ? "That is the question" ! TOP
— *** ---
(a).- Créée en juin 2003 par des
actionnaires privés, Air
Bourbon (160 employés) est
une des quatre compagnies aériennes
qui effectuent la liaison Réunion-métropole, quatre fois par semaine
entre Saint-Denis, Paris, Lyon ou Marseille avec un Airbus A 340, seul
appareil de la compagnie.
(b).- Air Bourbon (10%
des parts de marché) ; Air
France (40%) ; Corsair (20%) ; la compagnie réunionnaise Air Austral (20%).
(c).- "Airline
Deregulation Acte".Cette loi autorisa les compagnies aériennes à réduire
leurs tarifs jusqu'à 50% et à exploiter un certain nombre de
lignes nouvelles par an, sans accord des autorités aéronautiques.
(d). -
Alors que le nouveau système
devait être ouvert à la concurrence, les grandes
compagnies - dans leur stratégie
de domination - ont mis en place un réseau
de "barrières à l'entrée", quasiment infranchissable
par les "nouveaux entrants" potentiels, à
savoir, essentiellement:
- la
concentration de leurs vols sur les lignes les plus rentables et à fort trafic, avec la création de réseaux globaux "Hubs and
spokes" ;
- l’accès à
des systèmes informatisés de réservation (SIR) ;
- le lancement
de programmes de fidélisation
de la clientèle,
- l’utilisation
de nouveaux outils de gestion, tel l'"Airline Yield Management" qui
permet d'améliorer la
recette de chaque vol ;
- la
privatisation des infrastructures aéroportuaires
;
- la taille et
la diversité de la flotte,
source d’économie d’échelle ;
- la surface
financière.
(e).- Il
s’agit d’alliances globales, dont l’émergence
est un fait marquant de cette fin de siècle,
dans le développement du
marché du transport aérien civil. Air France fait
partie de "Sky Team". Il existe également
cinq autres alliances globales : OneWorld ; Star Alliance ; L’Alliance
; Wings ; Qualiflyer Group. Voir ma chronique de juillet 2000 :
"Les hyper-groupes aériens".
(f).- Le
système en place a permis :
- de défricher, la presque totalité des lignes des réseaux internationaux ;
- de s'adapter à l'évolution
du progrès technique, en
assimilant tous les types d'avion, du DC3 au Concorde ;
- de former des
milliers de spécialistes répartis à travers le monde ;
- d'assurer aux
personnels, un "statut" qui pouvait servir de référence
aux autres industries ;
- d'améliorer, au fil des ans, la sécurité
;
- d'assurer un
service public.
(g).-
Sous-traitance, permettant de reporter des problèmes sociaux sur l'affrété
; saut frontalier, permettant la suppression des charges sociales ;
embauche de nouveaux pilotes avec des salaires inférieurs à ceux pratiqués habituellement.
(h).- Diverses formules de délocalisation visant à remplacer du personnel de
l'Union Européenne, par du
personnel étranger, moins
cher et, souvent, sous-qualifié. TOP