"A la suite des chroniques de Jean Belotti sur le syndrome de la classe économique et la santé des passagers aériens publiées en mars et avril, des questions ont été posées au sujet du rôle et la responsabilité des médecins voyageant par avion. Le Commandant Nicolas Loukakos (juriste, auteur et fondateur de JURIS PN service d'assistance et de protection juridique pour le personnel navigant) a donné une interview à MedHermes, site destiné aux médecins, que nous reproduisons, ci-après, avec l'aimable autorisation de l 'auteur et de MedHermes".
Le médecin-passager : pas de risque, pas de sanction |
Pilote de ligne et juriste, Nicolas
Loukakos porte un regard de spécialiste sur la responsabilité des
médecins intervenant à bord d’un avion à la demande du pilote : quels
risques courent les médecins qui volent au secours de passagers malades ?
Au-delà de conseils pratiques, il s’interroge sur l'avenir, sur la place et
le rôle d'un médecin à bord d'avions transportant jusqu'à 1000 passagers,
comme ce sera le cas avec l’airbus A 380.
Dans le cas
où un médecin intervient à bord d'un avion, sur la demande d'un commandant de
bord, que risque-t-il ? Peut-il voir sa responsabilité pénale ou civile
engagée par le passager-patient mécontent du service rendu ou par ses ayants
droits ?
Le médecin qui intervient à bord d'un aéronef en vol à la
demande ou réquisition du commandant de bord, devient ipso-facto un préposé
(occasionnel) du transporteur. Conformément au Code civil et à la Convention
de Varsovie de 1929, le transporteur est responsable des fautes et omissions de
ses préposés si ceux-ci agissent dans l'exercice de leurs fonctions. Sans
aucune ambiguïté, il est possible d'affirmer que le transporteur aérien est
responsable des actes du médecin-passager, du moment que celui-ci est intervenu
à la demande du commandant de bord [1] .
A votre connaissance, existe-t-il beaucoup d'actions contre
des médecins qui seraient intervenus à bord ?
Fort heureusement non ! Mais il faut prendre conscience que
notre société, à l'image de l'exemple nord-américain, se
"judiciairise" de plus en plus. Les cas connus ont eu lieu aux
Etats-Unis où le système juridique est très différent du nôtre. Je pense
que pour ce qui nous préoccupe nous pouvons avoir confiance en notre Justice
qui a su raison garder.
Existe-t-il des instruments de droit international pour
appréhender ce type de problème ? A ce propos, quelle est le rôle de la
Convention de Varsovie de 1929 ?
La Convention de Varsovie pour l'unification de certaines
règles relatives au transport aérien international fut signée le 12 octobre
1929. Son objet est assez large et couvre la responsabilité du transporteur et
de ses préposés. Cette Convention a été introduite dans le droit positif
français (Code de l'aviation civile). Au sein de l'Union européenne, la
responsabilité des transporteurs aériens est régie par les dispositions du
Règlement (CE) N° 2027/97 du Conseil du 9 octobre 1997, dont les dispositions
sont quasi identiques à celles de la Convention de Montréal de 1999 qui est
appelée à succéder à la Convention de Varsovie.
Concernant la responsabilité civile des médecins-passagers,
quelles sont les difficultés rencontrées ? Quelles peuvent être les
différentes juridictions qui s'affrontent ?
L'action en responsabilité est portée devant les tribunaux
afin d'obtenir une indemnisation des désagréments causés par une mauvaise
exécution ou la non-exécution du contrat de transport aérien. Ces
désagréments peuvent être mineurs, comme par exemple le retard, la perte, la
destruction d'un bagage voire les effets nés de la surréservation (surbook) ou
bien majeurs comme par exemple les lésions corporelles ou la mort. L'Article L.
322-3 du Code de l'aviation civile dispose que "La responsabilité du
transporteur de personnes est régie par les dispositions de la Convention de
Varsovie comme prévu aux articles L. 321-3, L. 321-4 et L. 321-5. Toutefois, la
limite de la responsabilité du transporteur relative à chaque passager,
prévue par le paragraphe premier de l'article 22 de ladite convention, est
fixée à 750 000 F (...)". Plusieurs Tribunaux peuvent être compétents
pour juger d'une affaire comme celle-ci dont pour les principaux celui du siège
social du transporteur, celui du domicile de la victime etc.
La convention de Varsovie est applicable pour ce qui est de
la réparation et ne traite pas de la sanction qui est le domaine du droit
pénal. Depuis la Loi N° 2000-647 du 10 juillet 2000, dite loi Fauchon, il
existe une séparation entre la faute civile et pénale et il n'est plus
nécessaire de faire condamner les médecins (et les pilotes) au pénal pour
obtenir une indemnisation.
Un médecin peut-il se voir accuser d'exercice illégal de la
médecine, dans le cas où il interviendrait au-dessus d'un territoire qui n'est
pas le sien ?
Non, certainement pas, du moment, bien sûr, qu'il est en
règle et possède le droit d'exercer dans son pays de résidence. On a déjà
vu intervenir à bord des médecins d'Afrique du Nord, du Canada et même de
Chine. Je conseille vivement aux médecins qui utilisent le transport aérien
pour aller en vacances de porter sur eux leur carte professionnelle qui peut
leur être demandée à présenter au commandant de bord.
Un médecin peut-il refuser d'intervenir ?
Le médecin ne peut pas refuser d'intervenir et refuse
d'ailleurs très rarement car, outre l'obligation de soins et le Code de
déontologie médicale, la non assistance à personne en danger est
généralement très sévèrement sanctionnée. S'il refuse son concours (très
rare) cela relève du pénal. Dans ce cas, serait-il en accord avec sa
conscience, avec son éthique et la déontologie médicale ? Le
médecin-passager, il faut le rappeler, ne prend aucun risque et n'encourt
aucune sanction (sauf en cas de faute délibérée) à intervenir dans son
domaine de compétence à bord d'un avion européen ou français.
Avec la démocratisation et la libéralisation du transport
aérien, de plus en plus de gens prennent l'avion compte tenu du faible coût du
billet. Avec la nouvelle génération d'avions gros porteurs comme l'Airbus A380
ayant une capacité pouvant aller jusqu'à 800 voire 1.000 passagers (un
véritable village volant), la place du médecin à bord devra être repensée
et peut-être que demain celui-ci ne sera plus un passager mais un membre de
l'équipage...
Propos recueillis par Céline
Bergès
1 Voir à ce propos RFDA 1985, 299
article du Dr GIGNOUX, Aspects juridiques du médecin passager intervenant
auprès d'une personne à bord de l'avion.
VOIR ==> LA SANTÉ DES PASSAGERS avril 2001 Jean Belotti |
VOIR ==> LA PEUR DE PRENDRE L’AVION mai 2001 Jean Belotti |
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Dernière mise à jour/ latest updating: 28 janv. 2009