50 ans après son emprisonnement à Fresnes et Buchenwald, Pierre Bourlier, , en tant que témoin, nous expose ses réflexions sur une des  périodes sombres de l'histoire de la France et de l'Humanité, la période criminelle 1939-1945.   Lepeps  

      Pierre Bourlier  

 - LA PASSION DE L'AVENTURE, ou Gaston Vedel   
 - BUCHENWALD MATRICULE 76888   
 - LE TEMPS DE L'OUBLI  LE TEMPS DE LA MÉMOIRE    

Pierre Bourlier évoque pour vous  "Le Temps de l'Oubli... Le Temps de la Mémoire"
Conférence Avril 1995.  fichier MP3 de 24 MO, 1 heure 30 à 56000


LE TEMPS DE L'OUBLI  LE TEMPS DE LA MÉMOIRE
 
Je ne suis pas sûr de dominer mon émotion et si celle-ci surgit je vous serai reconnaissant de bien vouloir m'excuser. 
Cinquante ans se sont écoulées. Et l'aventure est encore très présente dans nos têtes et hante nos nuits. Alors après une longue période pendant laquelle il a fallu tenter d'oublier pour survivre, les événements, les amis, les petits enfants qui questionnent réaniment la mémoire. C'est ainsi que j'ai pris mon bâton de pèlerin et ai évoqué mes souvenirs devant des auditoires divers. Après le temps de l'oubli c'était le temps de la mémoire.                 

TEMOIGNAGE

LE TEMPS DE L'OUBLI 

LE TEMPS DE LA MÉMOIRE

LE PARDON?


Dans le cadre de l'évocation de la mémoire, pour que vous compreniez bien cet épisode de notre histoire, il m'a semblé utile de vous indiquer quel a été mon cheminement pendant cette période troublée.        
Oui j'ai été résistant, arrêté par la Gestapo, emprisonné à Fresnes puis déporté à Buchenwald. 
L'opposition au régime nazi et à l'occupation que l'on a appelée RÉSISTANCE était organisée en trois branches: Propagande- Renseignement- Action qui étaient coordonnées par des mouvements indépendants, libres de toute tutelle au début puis récupérés par des partis politiques ou après novembre 1942 (l'invasion de la zone non occupée) sous l'emprise de militaires. En janvier 1944 sur ordre du Général de Gaulle, tous ces organismes étaient fédérés sauf ceux d'obédience communiste. Étaient ainsi créés les Forces françaises de l'Intérieur (F.F.I.). Subsistaient toutefois les réseaux de renseignements qui regroupés devenaient les Forces Françaises Combattantes (F.F.C.)  
Ayant fait des démarches multiples, le contact est arrivé avec Résistance-Fer qui m'a aiguillé vers le mouvement Libération-Nord d'origine socialiste où j'ai été affecté au secteur militaire comme agent de liaison du commandant responsable du département de l'époque Seine et Oise . A la création des F.F.I. nous avons hérité du secteur Ouest qui recouvrait à peu près le département actuel des Yvelines. 
Passons sur les nombreuses missions qui m'ont été confiées pour arriver au 3 juin 1944. Nous avions eu le message d'annonce du débarquement et nous n'avons pas été surpris d'être convoqués pour une réunion de l'Etat-Major de la région parisienne qui comprenait dix départements. Mais cette réunion avait été organisée par la Gestapo qui a arrêté d'un seul coup les douze chefs de secteurs ou leur adjoint. Le lendemain, après les interrogatoires dont certains furent musclés nous nous retrouvions 60 à entrer à la prison de Fresnes où la vie n'est pas celle que l'on présente actuellement. Nous n'avions ni promenade ni le droit d'ouvrir les fenêtres. 
Le 15 août 1944, soit quelques jours avant la libération de Paris, nous avons été embarqués dans des wagons à bestiaux, les fameux 40 hommes,8 chevaux en long à raison de 70 par wagon. Passons sur l'horreur de ce voyage qui a laissé chez tous des souvenirs cauchemardesques. Cela a duré 5 jours. 
Après avoir passé la gare de Weimar nous sommes arrivés dans une forêt sur un quai en bout de course. Surpris de voir des bagnards, nous avons pensé que cela ne nous concernait pas. Et bien si.... nous faisions notre entrée dans le sinistre camp de BUCHENWALD
Là après avoir été mis à nu, rasés intégralement, passés à l'essence de serpolet, douchés, nous avons été habillés provisoirement pour être conduits dans le petit camp où nous devions être en quarantaine. Cela voulait dire qu'il n'y avait pas de baraquement , que nous logions à la belle étoile - et sur le plateau de Weimar, fin août il ne fait pas chaud - une couverture pour sept, de l'eau de temps en temps, des piqûres anti ceci anti cela, et des appels interminables qui restent légendaires. 
Il faut vous dire que les SS laissaient l'organisation intérieure du camp aux anciens prisonniers allemands, tous ou presque des communistes, et que l'Internationale communiste fonctionnait bien, à savoir que tous les postes de responsables qui comportaient un traitement de faveur étaient attribués à des communistes . Ceci est bien relaté par Jorge Semprun dans son livre "L'écriture ou la vie" qui révèle comment un rouge espagnol - lui-même - était parvenu aux sommets de la hiérarchie de l'administration interne de Buchenwald. 
Lorsque nous avons été reconnus sains nous avons reçu la splendide tenue de bagnard, rayée bleu et blanc en fibre de bois, et la répartition s'est faite dans les kommandos. Le plus gros du convoi a été dirigé vers le tunnel de Dora qui avait toujours besoin de main d'oeuvre en raison de la forte mortalité. Dans ce kommando partaient ceux catalogués intellectuels ou militaires. Au moment de mon arrestation j'avais une vraie fausse carte d'identité, c'est à dire l'identité d'une personne qui existait , seule la photo n'était pas la vraie et la profession était dessinateur industriel. Ce n'est pas pour autant que j'ai eu droit à une planche à dessin mais j'étais parmi les productifs possibles. Quoiqu'il en soit je me suis retrouvé affecté à une usine installée dans une mine de sel à 400 mètres sous terre où je devais contrôler des pièces destinées aux V2. 
La température était de 31° et lorsque les dimanches l'usine ne fonctionnait pas nous devions faire des corvées diverses à l'extérieur à -10° sans autre vêtement. Le tout accompagné de coups de schlague. 
La faim était aussi de la partie et il était impossible d'échapper à l'invasion des poux et des punaises. Il y avait de tout parmi les déportés, des Russes des Tchèques, des Italiens, des Polonais, des Belges, des Français. Et parmi cette faune la solidarité ne pouvait jouer car il y avait des détenus de droit commun, des serviteurs des nazis qui avaient cessé de plaire. 
Je pourrais vous tenir en haleine avec des anecdotes mais ce n'est pas notre propos de ce soir. 
Pourtant il faut bien que je vous raconte nos dernières heures de prisonnier. Le canon se faisait entendre et nous espérions toujours une avancée rapide d'une colonne alliée qui n'est pas venue. L'administration des camps avait projeté de rassembler les déportés dans la région de Magdebourg, peut-être pour servir de monnaie d'échange. Aussi après avoir craints d'être abandonnés à 400 mètres sous terre sans air, nous avons été rassemblés et sommes partis bien escortés pour une longue marche de trois jours sans escale après avoir été gavés de nourriture plus ou moins frelatée. Nous nous sommes jetés dessus et le résultat fut une dysenterie générale. Les uns et les autres étions obligés de nous arrêter sur le bord de la route. Arrivait alors un cordon SS qui clôturait le convoi et qui arrachait votre numéro, seule identité, et vous abattait d'une balle dans la tête. 
C'est ainsi que dans un rapport de l'armée Patton qui nous a libérés on peut lire que nous avons été repérés par les cadavres qui jonchaient la voie. Nous avons perdu ainsi un tiers de notre effectif. 
Puis-je, et maintenant je peux en rire, vous dire que moi aussi sur le bord de la route j'ai vu arriver un SS revolver au poing et que sans doute je n'ai jamais couru aussi vite en tenant mon pantalon. Une auto mitrailleuse américaine nous a rattrapés et nous étions libres, toutefois nos épreuves n'étaient pas finies. C'est en raccourci ce que j'ai vécu mais pour que vous soyez bien immergés dans notre sujet je voudrais vous lire un extrait du témoignage d'Elie Wiesel rapporté dans son livre:  "Tous les fleuves vont à la mer".
Il m'a fallu du temps pour me convaincre que je ne m'étais pas trompé. J'ai vérifié auprès des compagnons arrivés la même nuit que moi, j'ai consulté les documents des Sonderkommandos
(un témoin raconte): oui, mille fois oui.
(un témoin raconte): oui, mille fois oui. Incapables de  traiter  un si grand nombre de juifs hongrois dans les crématoires, les tueurs ne se contentèrent pas d'incinérer les cadavres des enfants; dans leur folie barbare, ils jetèrent des enfants encore vivants dans des brasiers spécialement entretenus. Et si je porte en moi une détresse et une désillusion sans nom, un désespoir sans fond, c'est parce que, en cette nuit-là, j'ai vu des enfants sages et recueillis, porteur de paroles et de rêves muets, se diriger vers les ténèbres avant de se consumer dans les flammes. Je les revois, et comment ne maudirais-je pas les tueurs, leurs complices, les spectateurs indifférents qui savaient et se taisaient .... J'ai envie de crier, de hurler, comme un fou, pour que le monde, ce monde-là, celui des assassins, sache que jamais il ne leur sera pardonné. 
... Je ne comprenais pas, or je voulais comprendre. Interrogez chaque survivant, il vous le confirmera : avant tout, et plus que tout, nous voulions comprendre. Pourquoi tous ces morts? A quoi cette usine de morts rime-t-elle? Comment expliquer le cerveau dément qui avait inventé ce trou noir de l'histoire nommé Birkenau? Peut-être n'y avait-il rien à comprendre. 

Nous célébrons le cinquantième anniversaire de la libération des camps de concentration mais aussi l'anniversaire de la fin du nazisme et de la guerre. Des événements récents nous amènent à reparler de cette époque afin qu'ils restent bien ancrés dans nos têtes. 
Si j'ai choisi de parler du temps de l'oubli, du temps de la mémoire, c'est que je crois qu'il y a eu deux époques bien différentes conditionnées par la nécessaire réadaptation à une vie normale. 

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Pendant 50 ans je n'ai voulu lire aucun témoignage, voir aucun film. Encore aujourd'hui je ne suis pas sûr de dominer mon émotion et si celle-ci surgit je vous serais reconnaissant de bien vouloir m'excuser. 
Pendant quatre longues années, une de plus pour certains, nous avons été dans les ténèbres et nous aspirions à la lumière. Entre temps combien d'exactions ont été commises. 
Cette guerre n'était pas comme les autres, il ne s'agissait pas de rectifier une frontière, ni d'agrandir son territoire, c'était une lutte pour la défense des libertés et des droits de l'homme .

Écoutez ce cri d'un déporté:

La liberté de vivre, de rire, de chanter, de rêver, et d'aimer. 
La vie est merveilleuse à 18 ans, 
près de toi , Liberté. 
Ils occupent, ils dominent, ils oppriment, 
Ils sévissent, ils veulent nous asservir, 
Loin de toi , Liberté. 
Nous contestons, nous luttons, 
nous souffrons,nous mourrons, 
pour sauver tes enfants 
de leur domination Liberté. 
Ils nous prennent, nous incarcèrent, 
nous flagellent nous enchaînent, 
nous déportent,nous arrachent à ton sein, 
Liberté 
Ils nous torturent, ils les pendent, 
ils les gazent, ils les brûlent 
Vite va, va, à leur secours 
Liberté. 
C'est atroce l'Holocauste, 
nous ne pourrons survivre 
Si tu ne viens pas vite 
Nous aider, nous sauver, 
Liberté. 
Ils étaient tes enfants, ils t'aimaient, 
Ils n'avaient que 18 ans, 
Liberté. 
Ils sont morts, en pleurant , en rêvant 
Que tu les chérissais toujours 
Liberté. 

Comprendre ! Il n'y a rien à comprendre, il y a à connaître. Mais voilà, nous ne sommes plus que quelques-uns pour témoigner. Ce que nous nous sommes engagés à faire. Alors on essaye de raconter et ce ne sera jamais qu'une petite parcelle de cette vie que je n'ose qualifier. Il y a les faits, ce qu'en ont enregistré ceux qui les ont vécus, la légende qui enjolive et que l'on n'ose contredire, et après, l'histoire qui tant bien que mal essaye de retrouver la vérité mais qui est soumise aussi l'air du temps suivant le message que l'on veut faire passer. 
Exemple: sur la relation des faits pas les témoins. Lorsque nous avons été libérés par l'avant garde américaine qui ne pouvait assurer notre intendance, nous étions un millier peut-être, dont cent français à nous diriger vers le plus proche village. 
Lorsque voulant écrire l'histoire, un responsable de l'amicale de notre camp a demandé à chacun son témoignage, il n'a pu reconstituer une relation cohérente tant les récits divergeaient. D'autre part nous avons eu les contestations concernant les fours crématoires et les chambres à gaz. Il est  évident que personne n'en est jamais revenu pour témoigner. Ce que je peux affirmer c'est qu'à Buchenwald il y avait un four crématoire pour y avoir été adossé quelques heures . Dans un livre récent "L'écriture ou la vie" Jorge Semprun raconte comment en avril 1945 les Américains ont trouvé des  centaines de corps entassés dans l'enceinte du four en attente, que les Allemands n'avaient pas eu le temps de brûler. Quant aux chambres à gaz elles n'existaient pas dans tous les camps (Il y en avait aux camps de Sachsenhausen et de Ravensbrück en Allemagne, au camp de Mauthausen en Autriche, au Struthof en Alsace et surtout en Pologne à Auschwitz et à Lublin-Maïdenek où il y a eu destruction massive, liste sur le WEB). 
Ceux qui ont vu le film "La liste de Schindler" ont participé à l'émotion qui a été la nôtre lorsque les portes ont été fermées et qu'alors que nous craignions le gaz c'est l'eau qui s'est mise à couler. 
N'ayez pas d'inquiétudes, je ne vais pas vous relater ce temps passé ni dans la Résistance, ni dans la prison, ni dans les camps. Les souffrances physiques, les coups, la faim, peu de chose, mais comment décrire les humiliations, les blessures à l'âme, les rancoeurs rentrées, les poings qui se serrent. Et restent bien gravés les visages de ceux qui ne sont pas revenus.

 

Écoutez cet autre cri d'Ady Brille (autres poèmes):

Où es-tu, ouvrier parisien?                                      Mort 
Où es-tu, commerçant limousin?                             Mort 
Où es-tu, étudiant savoyard?                                  Mort 
Où es-tu, directeur phocéen?                                  Mort 
Où es-tu , député du Nord?                                     Mort 
Où es-tu, sénateur de l'Est?                                    Mort 
Où es-tu, ministre de Dieu?                                    Mort 
Où êtes-vous, mineurs, marins, cheminots... 
Et, vous tous, disparus, 
Hommes de laboratoires, penseurs, artistes?         Morts 
Français.. tous et...                                                 Morts 
Hugo, chantre génial, lève-toi 
dans ton sépulcre 
et reprends ton poème 
Ils sont morts pour leur patrie... 
Mais ils ne sont pas morts pieusement. 
Leurs corps pourrissent 
dans quelque anonyme charnier; 
Leurs corps se sont envolés 
dans la fumée des crématoires hitlériens.

Nuages de Buchenwald, de Pologne, 
de Sarrebrück ou d'Autriche, 
En avez-vous vu passer des âmes 
libérées de leurs corps calcinés.

La foule ne viendra pas prier à leurs cercueils. 
Ils n'en ont pas.

Caron ! Pousse ta barque 
On se presse sur les bords du Styx 
Pourtant ceux-là 
Ont trouvé l'Enfer sur la terre. 
Saint Pierre, ouvre tes portes 
Dieu leur doit leur part de paradis. 

Alors au retour de ce qui a été qualifié d'enfer, il était évident qu'il fallait tirer le rideau sur cette vie et consacrer ce qui restait d'énergie pour essayer de trouver de nouvelles raisons de vivre. C'était le temps de l'oubli : ne plus revoir tout cela. Et pourtant nos nuits étaient hantées par le souvenir des atrocités. J'ai évité volontairement les rencontres entre anciens résistants ou déportés mais l'histoire qui se cherchait ne nous oubliait pas. 
J'ai d'abord été cité comme témoin dans le procès de la Gestapo française.
Cruelle épreuve de revoir ceux que nous avions côtoyés et qui étaient responsables de notre déportation. 
Une autre corvée a été d'apporter mon témoignage dans une triste affaire d'usurpation de pouvoir par une femme qui a "tout fait" pour obtenir la libération de son mari qui était le chef d'État-Major pour les dix départements de la région parisienne et qui avait été arrêté avec nous. L'affaire se compliquait parce que la femme était devenue la représentante de la France à l'O.N.U. et le mari Président Directeur général de la Régie Renault. Ils avaient des relations partout et surtout avec le gouvernement. Alors lorsque le jury d'honneur a été constitué, les dossiers ont mystérieusement disparu et l'enquêteur du Ministère de l'Intérieur m'a dit: vous êtes très jeune , ces affaires sont très compliquées, il serait souhaitable (et il a appuyé sur ce mot) que vous ne vous en mêliez pas. Écoeuré, j'ai compris que notre La Fontaine avait bien raison lorsqu'il affirmait que suivant que vous serez puissant ou misérable les jugements de cour vous rendront blanc ou noir . 
Nous étions bien dans le temps de l'oubli . 
Je pourrais faire mienne cette remarque d'un élu lors d'une commémoration du 6 juin 1994: 
"Pendant ces périodes-là , (il parlait de l'occupation) vous rencontriez les peureux, les lâches, les courageux. Alors vous passiez de l'adolescence à l'âge adulte sans le savoir. C'est bien plus tard que vous avez compris que la maturité ne vous était pas arrivée de la façon la plus traditionnelle qui soit". 
Alors je me suis éloigné et j'ai construit ma vie avec détermination en me tenant à l'écart de toute commémoration ou relation qui pouvait faire resurgir le passé. Malgré tout, les lois et règlements me poursuivaient et je devais faire des dossiers pour tout et n'importe quoi. 
En 1960 à Avignon j'ai rencontré le président départemental des Déportés et Internés de la Résistance. Il m'a rappelé le serment lors de notre libération . Alors j'ai refait des dossiers . Mais je voulais rester dans le temps de l'oubli. 
La vie professionnelle m'a aidé car je déménageais souvent. Au hasard des rencontres , une déportée m'a demandé si j'avais été à la mine de sel de Wansleben (a). Sur ma réponse affirmative elle m'a indiqué qu'elle avait lu un avis de recherche me concernant dans un journal de déportés. Je me suis cru obligé de mettre le doigt dans l'engrenage et c'est ainsi que j'ai rencontré les survivants du camp et de la terrible marche d'avril 1945.

Le temps de l'oubli était fini pour moi comme cela fut pour beaucoup d'autres. 
Mais la déportation n'était qu'un "avatar" entre guillemets. Cela avait été
pour certains le résultat d'une lutte contre l'occupant et parmi les déportés il  y avait des juifs et des communistes, mais il y a eu aussi des déportés qui ont été pris dans une rafle sans motif, des communistes non résistants arrêtés parce que communistes, des juifs non résistants déportés parce que juifs, des droits communs, et aussi des traîtres qui avaient cessé de plaire. 
La Résistance par ses groupes de renseignements, de propagande, d'action a rempli son rôle et a contribué à la libération du territoire. Certains résistants ont continué le combat en s'enrôlant dans les armées qui ont poursuivi la lutte jusqu'à l'armistice. 
Il y eut aussi les maquis qui ont fait un travail formidable mais qui étaient vulnérables et furent décimés les uns après les autres. 
Je n'ai pas la liste de toutes les exactions commises par les nazis qui encadraient de manière très stricte l'armée allemande. De toute façon les citer tous serait trop émouvant. Je n'en retiendrai en ce qui concerne la France qu'une seule, ô combien "exemplaire", si je peux utiliser ce mot.

Le 10 juin 1944 la division Das Reich qui montait au front de Normandie et dont l'avance avait été ralentie par les actions de la Résistance a exterminé le village d'Oradour et ses 642 habitants: 247 enfants ont été brûlés vifs dans l'Église avec les femmes, les hommes ont été fusillés ou jetés dans des puits. 
Est-il possible d'oublier ? et mon temps de l'oubli n'est -il qu'une fuite devant des souvenirs trop lourds à porter? 
Il fallait bien que resurgisse le temps de la mémoire. 

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Et oui , tout est là, bien ancré et il suffit de très peu de chose pour que cela revienne et trouble un peu plus vos nuits et même toute votre existence. Les associations qui veulent continuer à exister et qui relancent leurs ressortissants, les fêtes dites patriotiques où l'on vous demande de paraître, la presse spécialisée qui encore plus que l'autre presse a du mal à survivre et qui par ses témoignages ravivent les souvenirs, les livres que l'on vous dédicace "en souvenir de", les films, autant d'agressions à votre temps de l'oubli. 
Et puis il y a aussi les commémorations de ceci et de cela où votre témoignage est requis. Il est alors indispensable de fouiller dans ses souvenirs pour  ne pas dire n'importe quoi. 
Les lois n'étant que temporaires, il a fallu innover: en reprenant la jurisprudence élaborée par la Cour de cassation sur le fondement des lois internationales de Nuremberg, ratifiées par les alliés lors des accords de Londres en 1945, le nouveau code pénal (intervenu le 1er mars 1994) a  donné sa juste place à l'incrimination du génocide et des autres crimes contre l'humanité. D'où la reprise de certaines inculpations non prescriptibles. 
Je n'oublie pas le matraquage de la télévision et d'une certaine presse à sensation à l'occasion des procès de Barbie, de Touvier, de Papon. Pour la commémoration du débarquement la télévision s'est surpassée faisant dire aux jeunes qui voyaient ces sacrifices (40 millions de morts lors de la seconde guerre mondiale): "Quelle connerie, la guerre" et Françoise Giroud de rétorquer: "Eux, ils la font avec leurs jeux vidéo. L'ivresse sans le  risque".  
Les historiens font leur travail. Ils enregistrent les témoignages, essaient par recoupements de déceler une vérité. Les archives petit à petit ressortent de leur cachette. Celles détenues par les Russes, qui les distillent à plaisir, révèlent certains agissements que les acteurs eux-mêmes avaient quelque peu enjolivés pour se mettre en valeur. L'histoire ne fait pas de cadeaux. Même les associations d'anciens ceci, d'anciens cela veillent, pour que la légende ne se ternisse. Récemment a été créée "la Fondation pour la mémoire de la déportation" qui a pour objectif d'évoquer la vie dans les camps en utilisant les nouveaux moyens de communication c'est-à-dire par des témoignages enregistrés sur vidéo. Nous aussi les témoins, nous croyons dur  comme fer, 50 ans après, que notre mémoire est fidèle, qu'elle n'a pas été déviée par d'autres témoignages, qu'elle n'a pas été altérée dans le temps de l'oubli. 
Ne serait-il pas bon de relativiser? 
Soit, la Résistance a existé, elle a, même s'il y a quelques contestations, rempli un rôle non négligeable reconnu même par les plus sceptiques, il y a eu les maquis, les otages, les internés, les déportés. Il y a eu aussi ce formidable transfert des forces vives pour contribuer à l'effort de guerre nazi. Mais la marche de l'histoire est inéluctable. 
L'échiquier mondial, péniblement et malencontreusement mis en place à Yalta a été bouleversé. 
La prise de conscience que la possession des réserves énergétiques pouvait être une arme efficace contre les pays capitalistes a donné aux pays détenteurs des ambitions sans borne. La fin de l'idéologie déviée du communisme disons plutôt du Stalinisme, a déséquilibré le rapport de forces entre les deux super-grands. L'U.R.S.S. a éclaté, l'Allemagne s'est réunifiée, le foyer toujours sous la cendre des Balkans s'est rallumé, l'Europe avec beaucoup de difficultés montre le bout de son nez ( de 6 à 9 puis à 12, 15 depuis le 1er janvier et on parle de 30). Deci delà des ethnies veulent être reconnues ou se révoltent contre l'ordre mis en place artificiellement. Des pays d'Extrême Orient ont troublé le jeu économique en s'industrialisant à outrance avec une main d'oeuvre sous-payée. 
Le monde change et nous, nous nous enliserions dans notre passé? Nous l'avons dit, l'Europe se construit avec ce que cela entraîne. La libre circulation des gens et il faut bien ajouter des biens, devient réalité. Il est temps d'enterrer la hache de guerre. L'histoire est pleine de péripéties où d'anciens adversaires deviennent amis. Combien de siècles avons-nous lutté contre l'Angleterre? 
Si nous ne pouvons tenir pour responsable un peuple dont deux générations sont étrangères aux événements, il est impossible de laisser des crimes impunis quels que soient leurs auteurs et le temps qui s'est écoulé entre le forfait et la possibilité de jugement. 
A ce propos je voudrais évoquer le procès qui a eu lieu en janvier 1953 de ceux qui ont perpétré le massacre d'Oradour-sur-Glane (pour  info). Les rescapés voulaient que tous les participants soient jugés. Or parmi les accusés il y avait des Alsaciens qui avaient été incorporés dans les troupes du III ème Reich. Tous furent condamnés le 13 février 1953 suivant le principe de la culpabilité collective - loi du 15 septembre 1948 disant que tous les individus appartenant à une formation déclarée criminelle (en l'occurrence les Waffen SS) peuvent être considérés comme coauteurs du crime. L'Alsace s'était mobilisée et dans un souci d'apaisement une loi d'amnistie fut votée dès le 20 février pour les "Malgré nous" entre guillemets, incorporés dans l'armée allemande. Inutile de vous dire quelle a été la réaction des habitants d'Oradour. 
Cela me ramène au film la Liste de Schindler. Une scène parmi tant d'autres m'a particulièrement révolté. C'est celle de la chasse aux juifs lors de l'attaque du ghetto de Cracovie. Nous y voyons de simples soldats allemands se comporter comme des fanatiques enragés, délogeant ceux qui sont cachés, matraquant à tout va. Quoi! cette action n'était plus seulement le fait des Officiers SS qui la bave aux lèvres suivaient un plan particulièrement sauvage où enfants, femmes, vieillards, impotents n'étaient pas épargnés, c'était aussi des soldats Allemands, le visage haineux, qui pourchassaient le juif. 
Ce film est un événement et sachant quelles réactions il allait susciter, je
me suis décidé à assister à sa projection. L'émotion était grande et des femmes qui accompagnaient notre petit groupe de déportés ont avoué avoir pleuré du début à la fin. 
Alors controverse? Bien sûr. Mais ce film était-il nécessaire? 
Beaucoup, si ce n'est tous, ont souligné le caractère positif du film et son action pour la mémoire. Certains, qui n'ont pas, par ailleurs ménagé leurs critiques, ont même dit: "Si le film ne permet pas d'accéder à l'histoire, il aura sans doute suscité l'envie d'y accéder: une passerelle , une porte est ouverte en quelque sorte. Dédié à six millions de morts qui n'ont jamais pu et ne pourront jamais témoigner, il ne peut que susciter de salutaires  questions: -Comment est-ce arrivé? -Comment ne plus jamais voir cela? (fin de citation) 
Les réserves portent sans doute plus, sur ce que chacun ressent en fonction de sa connaissance des événements, si ce n'est de sa propre expérience. 
Ce génocide, en effet, est, même si depuis l'histoire a bredouillé, un phénomène unique par sa détermination, par sa mise en oeuvre, par son importance. Cette extermination n'était qu'une partie du plan élaboré par les nazis pour assurer leur suprématie. Il fallait faire de la race aryenne, la plus exemplaire, la plus belle des sélections. 
Mais l'opposition à cette hégémonie a peuplé aussi les camps de concentration. Les communistes allemands ont été incarcérés dès la prise de pouvoir par Hitler et paradoxe, se sont vus confier la responsabilité en second de la gestion des camps. Des résistants, des patriotes, des ethnies à exterminer et tout ce qui leur tombait sous la main composaient la mosaïque des bagnards car effectivement nous étions considérés comme tels et habillés en conséquence. 
Après avoir vu ce film , j'ai cru avoir quelque droit à émettre un jugement. J'ai dit en effet que le film était formidable et que je n'avais pu réprimer mon émotion. Mais, et là je réponds à la question posée précédemment, était-il judicieux de montrer ces comportements, ces exactions au moment où nous construisons l'Europe, au moment où les frontières, causes de nombreux affrontements, tombent, au moment où les relations culturelles entre Français et Allemands sont fructueuses, au moment où des rencontres et échanges de jeunes permettent justement d'espérer que, nous connaissant mieux, de pareils agissements ne soient plus envisageables. C'est la réconciliation non plus entre Français et Allemands, mais entre habitants de l'Europe et même de la planète. 
Ce jugement se nuance, bien sûr, et n'entraîne ni l'oubli, ni le pardon. Pour les rescapés dont les nuits sont encore hantés par le souvenir des atrocités, oublier serait sans doute une sorte de libération. Mais ils ne le peuvent pas et le pourraient-ils qu'ils n'en auraient pas le droit. Oublier, ce serait faillir à leur devoir envers les hommes. 
Stéphen Spielberg a voulu faire ce film parce qu'il voulait dire à ses enfants ce qu'il était et à quoi il croyait comme Henri Verneuil avec ses deux films Mayrig et rue de Paradis a voulu nous faire connaître le génocide arménien et comment il s'en était sorti. 
Ceux qui ont vécu des épisodes exceptionnels veulent laisser le témoignage de ce qu'ils ont souffert, pas forcément pour se raconter ni pour jalonner leur chemin mais pour crier qu'ils ne veulent pas que pareille aventure arrive aux générations futures. Comme j'ai dit plus haut ils assument leur devoir envers les hommes. 
A l'occasion de l'inauguration du mémorial d'Izieu pour commémorer la déportation, sur ordre de Klaus Barbie, de quarante quatre enfants juifs, s'est instaurée une polémique. Une interview donnée trois ans auparavant par le Président de la République de l'époque pour un livre intitulé "de la Résistance à l'exercice du pouvoir" a été reprise opportunément à ce moment. Le Président préconisait l'oubli pour des hommes comme Touvier, Bousquet, Papon et aurait dit:  "ce sont des vieillards, il ne reste plus beaucoup de témoins et cela n'a plus guère de sens". 
La communauté juive s'est émue et le Président du CRIF Jean Kahn a pu dire: "Comme lui nous sommes pour la paix civile et pour la réconciliation nationale, mais s'agissant d'un événement unique, spécifique comme la Shoah, la mémoire a des droits imprescriptibles.", tandis que le responsable des jeunes sionistes s'exprimait en ces termes: "La communauté juive n'est encline ni à l'oubli, ni au pardon." 
Ceci pour dire que les sensibilités sont encore bien présentes et que nombreux sont ceux qui refusent tout ce qui ressemble à un trait tiré sur le passé.  Pour aller plus loin dans notre réflexion il semble nécessaire de dépasser les camps de concentration, les maquis, Oradour, le ghetto de Varsovie, le mémorial d'Izieu et autres exactions commises entre 1940 et 1945 et poser la question de la responsabilité - responsabilité individuelle et responsabilité collective. 
Chaque événement important ou incident dans l'histoire des êtres humains ne peut nous laisser indifférent. Nous avons ou devons avoir une réaction. La première est de nous informer et essayer de comprendre ce qui n'est pas toujours le plus facile.- des Allemands interrogés quelques jours avant la reddition des troupes nous avouaient ignorer complètement l'existence des camps d'extermination. 
Lorsque nous savons, nous nous trouvons face à notre conscience et une attitude consiste à dire: cela ne nous concerne pas. Il est si facile de faire l'indifférent. Vous vous rappelez ce cri: 
"Quand ils sont venus chercher les communistes je n'ai rien dit je n'étais pas communiste. 
Quand ils sont venus chercher les syndicalistes je n'ai rien dit je n'étais pas syndicaliste. 
Quand ils sont venus chercher les juifs je n'ai rien dit je n'étais pas juif. 
Quand ils sont venus chercher les catholiques je n'ai rien dit je n'étais pas catholique. 
Puis ils sont venus me chercher et il ne restait plus personne pour dire quelque chose."
 
Quelle responsabilité avons-nous à l'égard de nous-mêmes? Avons-nous pris conscience de notre être? Peut-être faut-il que nous ayons la connaissance de nous-mêmes, que nous nous prenions en charge et que nous définissions quelles sont nos valeurs? Alors à chaque instant ce sera l'heure du choix: possible-impossible, passif-actif, tranquille-agité, j'm'enfoutiste-révolté, lucide-aveuglé. 
Souvent nous avons débattu de la responsabilité de ceux qui savent et nous ne pouvons arrêter une position définitive. 
Nous savons comment en 1940 le stock (200 litres) de l'eau lourde est sorti de Norvège pour aboutir grâce à Frédéric Joliot-Curie en Angleterre. Nous connaissons aussi le cri d'Einstein . Lui qui avait alerté le Président Roosevelt à deux reprises (en août 1939 et en avril 1940) et qui s'est trouvé à l'origine du projet Manhattan et de la construction de la première bombe atomique, lorsqu'il appris l'explosion d'Hiroshima le 6 août 1945, a lancé un cri de désespoir dont Banest Hoffmann a pu écrire: "On ne saurait rendre l'intensité de ce cri en le traduisant simplement par Hélas". En tous cas Einstein a été effrayé des terribles effets qu'il avait provoqués. 
J'ai cité ces deux exemples pour montrer la responsabilité d'hommes de science et des effets de la prise de conscience. Que dire, et les exemples récents ne manquent pas, de la responsabilité des hommes politiques - responsables mais non coupables, disent-ils! 
Quelles responsabilités pour ceux qui assistent aux événements? 
Faut-il condamner tout un peuple si les gouvernants qu'ils ont choisis ou tout au moins acceptés commettent des crimes contre l'humanité. En 1945, le tribunal de Nuremberg s'est contenté de juger les militaires et dirigeants allemands. Est-ce que ce n'était pas l'ensemble des adhérents du parti nazi, tous les militaires, tous les policiers, tous les hauts fonctionnaires qu'il aurait fallu inculper et pourquoi pas la population allemande? 
A Riom en 1941 il y a bien eu le procès des responsables de la défaite de 1940 et le procès tourna court. Fallait-il comme dit Jean-Marie Domenach inculper les électeurs de la majorité du Front Populaire dont les représentants avaient pour la plupart voté les pleins pouvoirs à Pétain. L'État Français ne pouvait faire un procès au peuple français. Lorsque les événements ont retourné la situation, le régime de Vichy aurait-il du être jugé avec tous ceux qui acceptèrent sans rechigner, si ce n'est en en profitant, un régime d'exception? 
Plus tard Jean-Paul Sartre a affirmé: nous sommes responsables de tout ce que n'essayons pas d' empêcher? D'un débat organisé pour débattre de cette question j'ai relevé: "La responsabilité caractérise tout individu, indissociable de l'humanité, de la collectivité". Quelle prise de position! 
Il est bien évident que la responsabilité a des limites et qu'aucun de nous
ne peut supporter toute la misère du monde sur ses épaules. Pourtant ne devons-nous pas bien réfléchir à ce régime qui est le moins mauvais à l'exception de tous les autres, je veux dire la démocratie. Mais là n'est pas notre propos de ce soir dont je me suis un peu écarté. 
Pourtant lorsqu'il va falloir prendre position sur nos options: aurons-nous
le droit de parler d'oubli ou de pardon si nous avons nous-mêmes toléré,  que nos gouvernants - choisis ou acceptés - nous entraînent dans des conflits, ou dans des erreurs ou des crimes? 
Il est possible de me rétorquer que nous nous sommes inclinés devant la majorité, c'est là que se pose le problème de la démocratie. Lors de la rencontre de Munich, de sinistre mémoire, le peuple était pour les accords. En juin 40, le peuple harassé, pourchassé, a vu dans l'armistice son salut. Peut-être puis-je me hasarder à vous demander combien croyez-vous qu'il y a eu de Français résistants à l'ennemi?...... Un document officiel émanant du Ministère des Armées intitulé "Édition méthodique n° 367" de janvier 1973 indique que de 1940 à 1945 432.604 hommes et femmes  ont été homologués résistants soit 1 français sur 100! 
Lorsque je suis rentré du camp l'on m'a confié la présidence de l'association des résistants de ma commune, à la première assemblée les effectifs avaient fondu . Les imposteurs ne voulaient pas être démasqués. 

QUI PEUT PARDONNER?                              TOP  
La religion catholique a institué la confession et toute faute confessée fait l'objet d'une pénitence et est pardonnée. Cela valait pour les fautes individuelles. Dieu seul pouvait se permettre de pardonner. Devant la responsabilité collective, Jésus Christ est plein de mansuétude puisqu'il aurait prononcé ces paroles : "Pardonnez leur mon Père car ils ne savent pas ce qu'ils font". Absolution donc pour tous ceux qui ne se contrôlent pas ou qui ferment les yeux sur tout ce qui se passe autour d'eux . Plus récemment le pape a dit dans l'ex Yougoslavie: "Il faut avoir le courage de pardonner et de demander pardon ". Comme cela semble simple lorsque l'on n'a pas soi-même souffert dans sa chair. 
Dans les familles il y a quelquefois des différents et les membres du clan s'opposent, se fâchent à mort et ne se rencontrent plus. Et puis un jour tout est oublié et c'est à nouveau les embrassades. L'oubli puis le pardon. Là les liens affectifs sont les plus forts. 
Si nous revenons à nos propos nous rappellerons que les associations juives ne voulaient ni l'oubli ni le pardon. 
Tout homme politique qui dirige ou dirigera notre pays et qui est par la grâce de notre constitution le Président de tous les Français ne peut que prêcher la réconciliation nationale. 
Mais le nazisme n'a pas fait que des victimes relevant du racisme. Nous manquons de chiffres toutefois nous savons que sur les 141.000 déportés de France 65.000 étaient qualifiés de "résistants". 
Avant de terminer sur des faits remontant si loin dans le temps, je voudrais évoquer un événement typiquement mis en exergue par les médias et qui a provoqué des réactions épidermiques. Il s'agit du défilé d'un 14 juillet sur les Champs Elysées. Que de souvenirs vengeurs peuvent surgir chez certains de voir des soldats allemands descendre la plus belle avenue du monde! Et je ne peux dire que je n'ai pas eu un petit serrement de coeur . 
Et pourtant, qui a défilé? Le corps d'armée de l'Eurocorps composé de six cents soldats appartenant à cinq nations: la France, l'Allemagne, la Belgique, l'Espagne et le Luxembourg. Outre l'Eurocorps ont défilé des unités de la 2ième division blindée- la division de Leclerc - qui libéra Paris en 1944 et des régiments décorés de l'ordre des compagnons de la Libération. Il n'est pas inutile, même si cela est une évidence, de dire que ce ne sont pas les combattants de 1944 qui étaient là mais les soldats de deux générations suivantes et nous ne pouvons pas oublié le temps qui s'est écoulé, l'évolution des moeurs et des êtres pendant 50 années. 
Seules les victimes ou leurs ayants droit ont le droit de pardonner écrit
Jean Daniel. Cette assertion de bon sens n'est pas partagée par tous. Et certains décident de mener des combats d'arrière garde. 

PARDONNER A QUI ?  
- Pardonner à ceux qui ont commis les exactions? Certains ont subi la justice expéditive des premiers moments de liberté. D'autres ont été jugés, condamnés, exécutés, d'autres ont été graciés, ceux qui restent ont 50 ans de plus. 
- Pardonner à ceux qui les ont aidés si ce n'est qui sont allés au devant des désirs de l'ennemi? 
- Pardonner à ceux qui ont dénoncé, par intérêt le plus souvent? 
Edgar Morin donne un sens plus large au problème, écoutons-le: 
"je ne crois pas que, plus le temps passe, plus doit s'accroître la soif de
châtiment des crimes nazis. Je ne suis pas de ceux qui poursuivent cinquante ans plus tard les criminels de guerre et de police nazis, alors qu'un tel acharnement n'existe pas chez les victimes du stalinisme, du colonialisme, du franquisme, du pinochétisme, des Algériens victimes des Français d'Algérie et des Pieds Noirs victimes des Algériens".  
Cependant les archives s'ouvrent et des faits peu reluisants apparaissent. 
Que penser lorsqu'un livre puis un film diffusé à l'occasion du cinquantenaire du débarquement nous apprend que "l'on a sacrifié volontairement des résistants pour qu'ils donnent, sous la torture, des codes aux Allemands afin que ces derniers puissent décoder de faux messages".  Et c'est ainsi qu'Hitler a été intoxiqué et a cru que le débarquement aurait lieu dans le Pas de Calais. La fin justifiait-elle les moyens? Oui ! répond Larry Collins.  "En cas d'échec, les conséquences auraient été dramatiques. Au lieu de 6 millions de juifs exterminés il y en aurait eu 8 ou 10, l'occupation en France aurait continué". C'est vrai, mais ceux qui étaient les agents de renseignements, ne sont-ils pas ébahis d'apprendre qu'ils ont joué inconsciemment ce jeu et n'éprouvent-ils pas, s'ils sont revenus, une certaine rancoeur? 
Pardon pour quoi faire? 
Par contre, oui, laissons aux historiens le soin de relater cet épisode, aux poètes de le chanter, aux troubadours modernes de faire pleurer Margot dans les chaumières , aux papies et aux mamies de capter l'attention de leurs petits-enfants, mais n'étalons pas toute cette vilenie et faisons en sorte que grâce à la réconciliation des peuples, à leur entente nous ne puissions revoir cela. 
Et pourtant les peuples n'ont pas acquis la sagesse même ceux qui ont souffert il y a cinquante ans et depuis. 
Que pouvons-nous faire? Ce n'est pas en montrant la violence et en montrant des trucs pour mieux tromper la police et la justice que nous trouverons la sécurité, la tranquillité. 
Sommes-nous complètement désarmés? impuissants? responsables? mais encore? 
Nous n'avons pas le droit d'être pessimistes. 

Les temps ont changé soit. Mais... 
Le soleil continue de briller, 
                                         la terre de tourner, 
                                                                     les oiseaux de chanter, 
                                                                                                       les abeilles de butiner, 
                                                                                                                                        les fleurs
de fleurir. 

Les êtres humains se posent toujours autant de questions. 
D'où viennent-ils, où vont-ils? 
                                            Et demain reste à inventer.                                          TOP 
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(a)
autre témoignage par Geoffroy de Clercq  (survivant de Buchenwald et Wansleben (matricule 31.279)

 

             

Dernière mise à jour/ latest updating  13 juin 2009