50 ans
après son emprisonnement à
Fresnes et Buchenwald, Pierre Bourlier, ,
en tant que témoin, nous expose ses réflexions sur une
des périodes
sombres de l'histoire de la France et de l'Humanité, la
période criminelle
1939-1945. Lepeps
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LA
PASSION DE L'AVENTURE, ou Gaston Vedel - BUCHENWALD MATRICULE 76888 - LE TEMPS DE L'OUBLI LE TEMPS DE LA MÉMOIRE |
Pierre Bourlier
évoque pour vous "Le
Temps de l'Oubli... Le Temps de la Mémoire"
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LE TEMPS DE L'OUBLI LE
TEMPS DE LA MÉMOIRE
Je ne suis pas sûr de dominer mon
émotion
et si celle-ci surgit je vous serai reconnaissant de bien
vouloir m'excuser.
Cinquante ans se sont écoulées. Et l'aventure
est encore très présente dans nos têtes et hante nos
nuits. Alors après une longue période pendant laquelle
il a fallu tenter d'oublier pour survivre, les événements,
les amis,
les petits enfants qui questionnent réaniment la mémoire.
C'est ainsi que
j'ai pris mon bâton de pèlerin et ai évoqué mes souvenirs
devant des auditoires
divers. Après le temps de l'oubli c'était le temps de la
mémoire.
(un
témoin raconte): oui, mille fois
oui. (un
témoin
raconte): oui, mille fois oui.
Incapables
de traiter un si grand nombre de juifs hongrois
dans les crématoires,
les tueurs ne se contentèrent pas d'incinérer les cadavres des
enfants;
dans leur folie barbare, ils jetèrent des enfants encore
vivants dans
des brasiers spécialement entretenus. Et si je
porte en moi une détresse et une désillusion sans nom, un
désespoir sans fond, c'est parce que, en cette
nuit-là, j'ai vu des
enfants sages et recueillis, porteur de paroles et
de rêves muets, se diriger vers les ténèbres
avant de se consumer dans les flammes. Je les revois, et
comment ne maudirais-je
pas les tueurs, leurs complices, les spectateurs indifférents
qui
savaient et se taisaient .... J'ai envie de crier, de hurler,
comme un
fou, pour que le monde, ce monde-là, celui des assassins,
sache que jamais il ne leur sera pardonné.
... Je ne comprenais pas, or je voulais comprendre.
Interrogez
chaque survivant, il vous le confirmera : avant
tout, et plus que tout, nous voulions comprendre.
Pourquoi tous ces morts? A quoi cette usine de morts rime-t-elle?
Comment
expliquer le cerveau dément qui avait inventé ce trou noir
de
l'histoire nommé Birkenau? Peut-être n'y avait-il rien à
comprendre.
Nous
célébrons le cinquantième anniversaire de
la libération des camps de concentration
mais aussi l'anniversaire de la fin
du nazisme et de la guerre. Des
événements récents nous amènent
à reparler de cette époque afin qu'ils
restent bien ancrés dans nos têtes.
Si j'ai choisi de parler du temps de l'oubli, du
temps de la mémoire, c'est que je crois
qu'il y a eu deux époques bien
différentes conditionnées par la nécessaire
réadaptation à une vie normale.
Pendant 50
ans je n'ai voulu lire aucun
témoignage, voir aucun film. Encore aujourd'hui
je ne suis pas sûr de dominer mon
émotion et si celle-ci surgit je vous
serais reconnaissant de bien vouloir m'excuser.
Pendant quatre longues années, une de plus pour
certains, nous avons été dans les
ténèbres et nous aspirions à la
lumière. Entre temps combien d'exactions
ont été commises.
Cette guerre n'était pas comme les autres, il ne
s'agissait pas de rectifier une
frontière, ni d'agrandir son territoire, c'était
une lutte pour la défense des libertés
et des droits de l'homme .
Écoutez ce cri d'un déporté:
La
liberté de vivre, de rire, de chanter, de
rêver, et d'aimer.
La vie est merveilleuse à 18 ans,
près de toi , Liberté.
Ils occupent, ils dominent, ils oppriment,
Ils sévissent, ils veulent nous asservir,
Loin de toi , Liberté.
Nous contestons, nous luttons,
nous souffrons,nous mourrons,
pour sauver tes enfants
de leur domination Liberté.
Ils nous prennent, nous incarcèrent,
nous flagellent nous enchaînent,
nous déportent,nous arrachent à ton sein,
Liberté
Ils nous torturent, ils les pendent,
ils les gazent, ils les brûlent
Vite va, va, à leur secours
Liberté.
C'est atroce l'Holocauste,
nous ne pourrons survivre
Si tu ne viens pas vite
Nous aider, nous sauver,
Liberté.
Ils étaient tes enfants, ils t'aimaient,
Ils n'avaient que 18 ans,
Liberté.
Ils sont morts, en pleurant , en rêvant
Que tu les chérissais toujours
Liberté.
Comprendre
! Il n'y a rien à comprendre, il y a
à connaître. Mais voilà, nous ne sommes
plus que quelques-uns pour
témoigner. Ce que nous nous sommes engagés
à faire. Alors on essaye de raconter et
ce ne sera jamais qu'une petite
parcelle de cette vie que je n'ose
qualifier. Il y a les faits, ce qu'en
ont enregistré ceux
qui les ont vécus, la légende qui
enjolive et que l'on n'ose contredire, et
après, l'histoire qui tant bien que mal
essaye de retrouver la vérité mais
qui est soumise aussi l'air du temps suivant le message que
l'on veut
faire passer.
Exemple: sur la relation des faits pas les
témoins. Lorsque nous avons été libérés
par l'avant garde américaine qui ne
pouvait assurer notre intendance, nous
étions un millier peut-être,
dont cent français à nous diriger vers
le plus proche village.
Lorsque voulant écrire l'histoire, un
responsable de l'amicale de notre camp a
demandé à chacun son témoignage, il n'a pu
reconstituer une relation cohérente
tant les récits divergeaient.
D'autre part nous avons eu les contestations
concernant les fours crématoires et les
chambres à gaz. Il
est évident que personne n'en est jamais
revenu pour témoigner. Ce que je peux
affirmer c'est qu'à Buchenwald il y
avait un four crématoire pour y avoir été
adossé quelques heures . Dans un livre
récent "L'écriture ou la vie"
Jorge
Semprun raconte comment en avril
1945 les Américains ont trouvé des
centaines de corps entassés dans l'enceinte
du four en attente, que les Allemands
n'avaient pas eu le temps de brûler.
Quant aux chambres à gaz elles n'existaient
pas dans tous les camps (Il y en avait
aux camps de Sachsenhausen
et de Ravensbrück en Allemagne, au camp
de Mauthausen en Autriche, au
Struthof en Alsace et surtout en
Pologne à Auschwitz et à
Lublin-Maïdenek où il y a eu destruction massive, liste
sur le WEB).
Ceux qui ont vu le film "La
liste
de Schindler"
ont participé à l'émotion qui a été la
nôtre lorsque les portes ont été
fermées et qu'alors que nous craignions
le gaz c'est l'eau qui s'est mise à
couler.
N'ayez pas d'inquiétudes, je ne vais pas vous
relater ce temps passé ni dans la
Résistance, ni dans la prison, ni dans les
camps. Les souffrances physiques, les
coups, la faim, peu de chose, mais
comment décrire les humiliations, les
blessures à l'âme, les
rancoeurs rentrées, les poings qui se
serrent. Et restent bien gravés les visages
de ceux qui ne sont pas revenus.
Écoutez cet autre cri d'Ady Brille (autres poèmes):
Où
es-tu, ouvrier parisien?
Mort
Où es-tu, commerçant limousin?
Mort
Où es-tu, étudiant savoyard?
Mort
Où es-tu, directeur phocéen?
Mort
Où es-tu , député du Nord?
Mort
Où es-tu, sénateur de l'Est?
Mort
Où es-tu, ministre de Dieu?
Mort
Où êtes-vous, mineurs, marins, cheminots...
Et, vous tous, disparus,
Hommes de laboratoires, penseurs, artistes?
Morts
Français.. tous
et...
Morts
Hugo, chantre génial, lève-toi
dans ton sépulcre
et reprends ton poème
Ils sont morts pour leur patrie...
Mais ils ne sont pas morts pieusement.
Leurs corps pourrissent
dans quelque anonyme charnier;
Leurs corps se sont envolés
dans la fumée des crématoires hitlériens.
Nuages
de Buchenwald, de Pologne,
de Sarrebrück ou d'Autriche,
En avez-vous vu passer des âmes
libérées de leurs corps calcinés.
La foule
ne viendra pas prier à leurs cercueils.
Ils n'en ont pas.
Caron !
Pousse ta barque
On se presse sur les bords du Styx
Pourtant ceux-là
Ont trouvé l'Enfer sur la terre.
Saint Pierre, ouvre tes portes
Dieu leur doit leur part de paradis.
Alors au
retour de ce qui a été qualifié d'enfer,
il était évident qu'il fallait tirer le
rideau sur cette vie et
consacrer ce qui restait d'énergie pour
essayer de trouver de nouvelles raisons de
vivre. C'était le temps de l'oubli : ne
plus revoir tout cela. Et pourtant
nos nuits étaient hantées par le
souvenir des atrocités.
J'ai évité volontairement les rencontres entre
anciens résistants ou déportés mais
l'histoire qui se cherchait ne
nous oubliait pas.
J'ai d'abord été cité comme témoin dans le
procès de la Gestapo française. Cruelle
épreuve de revoir ceux que nous avions
côtoyés et qui étaient responsables de
notre déportation.
Une autre corvée a été d'apporter mon
témoignage dans une triste affaire d'usurpation
de pouvoir par une femme qui a
"tout fait" pour obtenir la libération
de son mari qui était le chef d'État-Major
pour les dix départements de la région
parisienne et qui
avait été arrêté avec nous. L'affaire
se compliquait parce que la femme
était devenue la représentante de la
France à l'O.N.U. et le mari Président
Directeur général de la Régie Renault.
Ils avaient des relations partout et
surtout avec le gouvernement. Alors
lorsque le jury d'honneur a été
constitué, les dossiers ont mystérieusement
disparu et l'enquêteur du
Ministère de l'Intérieur m'a dit: vous êtes très jeune , ces
affaires sont très
compliquées, il serait souhaitable
(et il a appuyé sur ce mot) que vous
ne vous en mêliez pas. Écoeuré, j'ai
compris que notre La Fontaine
avait bien raison lorsqu'il affirmait
que suivant que vous serez puissant ou
misérable les jugements de cour vous
rendront blanc ou noir .
Nous étions bien dans le temps de l'oubli .
Je pourrais faire mienne cette remarque d'un élu
lors d'une commémoration du 6 juin
1994:
"Pendant ces périodes-là , (il parlait de
l'occupation)
vous rencontriez les peureux, les
lâches, les courageux. Alors
vous passiez de l'adolescence à l'âge
adulte sans le savoir. C'est bien plus
tard que vous avez compris que la
maturité ne vous était pas arrivée de
la façon la plus traditionnelle qui
soit".
Alors je me suis éloigné et j'ai construit ma
vie avec détermination en me tenant à
l'écart de toute commémoration ou
relation qui pouvait faire resurgir le
passé. Malgré tout, les lois et
règlements me poursuivaient et je
devais faire des dossiers pour tout et n'importe
quoi.
En 1960 à Avignon j'ai rencontré le président
départemental des Déportés et Internés
de la Résistance. Il m'a rappelé le
serment lors de notre libération .
Alors j'ai refait des dossiers .
Mais je voulais rester dans le temps de
l'oubli.
La vie professionnelle m'a aidé car je
déménageais souvent. Au hasard des rencontres
, une déportée m'a demandé si j'avais
été à la mine de sel de Wansleben (a). Sur ma réponse affirmative elle
m'a
indiqué qu'elle avait lu un avis de
recherche me concernant dans un journal
de déportés. Je me suis cru obligé de
mettre le doigt dans l'engrenage et c'est
ainsi que j'ai rencontré les survivants
du camp et de la terrible marche d'avril
1945.
Le temps de
l'oubli était fini pour moi comme
cela fut pour beaucoup d'autres.
Mais la déportation n'était qu'un "avatar"
entre guillemets. Cela avait été
pour certains le résultat d'une lutte
contre l'occupant
et parmi les déportés il y avait
des juifs et des
communistes, mais il y a eu aussi des déportés
qui ont été pris dans une rafle sans
motif, des communistes non résistants
arrêtés parce que communistes, des
juifs non résistants déportés parce que
juifs, des droits communs, et aussi des
traîtres qui avaient cessé de plaire.
La Résistance par ses groupes de renseignements,
de propagande, d'action a
rempli son rôle et a contribué à la
libération du territoire. Certains résistants
ont continué le combat en s'enrôlant
dans les armées qui ont poursuivi la
lutte jusqu'à l'armistice.
Il y eut aussi les maquis qui ont fait un travail
formidable mais qui étaient vulnérables
et furent décimés les uns
après les autres.
Je n'ai pas la liste de toutes les exactions
commises par les nazis qui encadraient
de manière très stricte l'armée
allemande. De toute façon les citer
tous serait trop émouvant. Je n'en
retiendrai en ce qui concerne la France
qu'une seule, ô combien
"exemplaire",
si je peux utiliser ce mot.
Le 10 juin
1944 la division Das Reich qui montait
au front de Normandie et dont l'avance
avait été ralentie par les
actions de la Résistance a exterminé le
village d'Oradour et ses 642
habitants: 247 enfants ont été brûlés
vifs dans l'Église avec les femmes, les
hommes ont été fusillés ou jetés dans
des puits.
Est-il possible d'oublier ? et mon temps de
l'oubli
n'est -il qu'une fuite devant des
souvenirs trop lourds à porter?
Il fallait bien que resurgisse le temps de la
mémoire.
Et oui ,
tout est là, bien ancré et il suffit
de très peu de chose pour que cela
revienne et trouble un peu plus vos nuits et
même toute votre existence. Les associations qui veulent continuer à exister
et qui relancent leurs ressortissants,
les fêtes dites patriotiques
où l'on vous demande de paraître, la
presse spécialisée qui encore
plus que l'autre presse a du mal à
survivre et qui par ses témoignages ravivent
les souvenirs, les livres que l'on vous
dédicace "en souvenir de", les
films, autant d'agressions à votre
temps de l'oubli.
Et puis il y a aussi les commémorations de ceci
et de cela où votre témoignage est
requis. Il est alors
indispensable de fouiller dans ses souvenirs
pour ne pas dire n'importe quoi.
Les lois n'étant que temporaires, il a fallu
innover: en reprenant la jurisprudence
élaborée par la Cour de cassation
sur le fondement des lois internationales
de Nuremberg, ratifiées par les
alliés lors des accords de Londres en
1945, le nouveau code pénal
(intervenu le 1er mars 1994) a donné sa juste place à l'incrimination du génocide et
des autres crimes contre l'humanité.
D'où la reprise de certaines
inculpations non prescriptibles.
Je n'oublie pas le matraquage de la télévision
et d'une certaine presse à sensation à
l'occasion des procès de Barbie, de
Touvier, de Papon. Pour la commémoration
du débarquement la télévision s'est
surpassée faisant dire aux jeunes qui
voyaient ces sacrifices (40 millions
de morts lors de la seconde guerre
mondiale): "Quelle connerie, la
guerre" et Françoise Giroud de rétorquer:
"Eux, ils la font avec leurs jeux
vidéo. L'ivresse sans le risque".
Les historiens font leur travail. Ils
enregistrent les témoignages, essaient par
recoupements de déceler une vérité. Les
archives petit à petit ressortent de
leur cachette. Celles détenues par
les Russes, qui les distillent à
plaisir, révèlent certains
agissements que les acteurs eux-mêmes
avaient quelque peu enjolivés pour se
mettre en valeur. L'histoire ne fait
pas de cadeaux. Même les associations d'anciens
ceci, d'anciens cela veillent, pour que
la légende ne se ternisse.
Récemment a été créée "la Fondation
pour la mémoire de la
déportation"
qui a pour objectif d'évoquer la vie
dans les camps en utilisant les nouveaux
moyens de communication c'est-à-dire
par des témoignages enregistrés
sur vidéo. Nous aussi les témoins, nous
croyons dur
comme fer, 50 ans
après, que notre mémoire est fidèle,
qu'elle n'a pas été déviée par d'autres
témoignages, qu'elle n'a pas été
altérée dans le temps de l'oubli.
Ne serait-il pas bon de relativiser?
Soit, la Résistance a existé, elle a, même s'il
y a quelques contestations, rempli un
rôle non négligeable reconnu même
par les plus sceptiques, il y a eu les
maquis, les otages, les internés, les
déportés. Il y a eu aussi ce formidable
transfert des forces vives pour
contribuer à l'effort de guerre nazi.
Mais la marche de l'histoire est
inéluctable.
L'échiquier mondial, péniblement et
malencontreusement mis en place à Yalta a
été bouleversé.
La prise de conscience que la possession des
réserves énergétiques pouvait être une
arme efficace contre les pays
capitalistes a donné aux pays détenteurs
des ambitions sans borne. La fin de l'idéologie
déviée du communisme disons plutôt du
Stalinisme, a
déséquilibré le rapport de forces entre
les deux super-grands. L'U.R.S.S. a
éclaté, l'Allemagne s'est réunifiée, le
foyer toujours sous la cendre des
Balkans s'est rallumé, l'Europe avec
beaucoup de difficultés montre le
bout de son nez ( de 6 à 9 puis à 12,
15 depuis le 1er janvier et on parle
de 30). Deci delà des ethnies veulent
être reconnues ou se révoltent
contre l'ordre mis en place artificiellement.
Des pays d'Extrême Orient ont
troublé le jeu économique en s'industrialisant
à outrance avec une main d'oeuvre
sous-payée.
Le monde change et nous, nous nous enliserions
dans notre passé? Nous l'avons dit,
l'Europe se construit avec ce que
cela entraîne. La libre circulation des
gens et il faut bien ajouter des
biens, devient réalité. Il est temps
d'enterrer la hache de guerre. L'histoire
est pleine de péripéties où d'anciens
adversaires deviennent
amis. Combien de siècles avons-nous
lutté contre l'Angleterre?
Si nous ne pouvons tenir pour responsable un
peuple dont deux générations sont
étrangères aux événements, il est
impossible de laisser des crimes impunis
quels que soient leurs auteurs et le
temps qui s'est écoulé entre le forfait
et la possibilité de jugement.
A ce propos je voudrais évoquer le procès qui a
eu lieu en janvier 1953 de ceux qui ont
perpétré le massacre
d'Oradour-sur-Glane (pour
info).
Les rescapés voulaient que tous les
participants soient
jugés. Or parmi les accusés il y avait
des Alsaciens qui avaient été incorporés
dans les troupes du III ème Reich. Tous
furent condamnés le 13 février 1953
suivant le principe de la culpabilité
collective - loi du 15 septembre
1948 disant que tous les individus
appartenant à une formation déclarée
criminelle (en l'occurrence les Waffen
SS) peuvent être considérés comme
coauteurs du crime. L'Alsace s'était
mobilisée et dans un souci d'apaisement
une loi d'amnistie fut votée dès le 20
février pour les
"Malgré nous"
entre guillemets, incorporés dans l'armée
allemande. Inutile de vous dire quelle a
été la réaction des habitants
d'Oradour.
Cela me ramène au film la Liste de Schindler.
Une scène parmi tant d'autres m'a
particulièrement révolté. C'est celle de
la chasse aux juifs lors de l'attaque
du ghetto de Cracovie. Nous y voyons de
simples soldats allemands se comporter
comme des fanatiques enragés,
délogeant ceux qui sont cachés, matraquant
à tout va. Quoi! cette action n'était
plus seulement le fait des Officiers SS
qui la bave aux lèvres suivaient un
plan particulièrement sauvage où
enfants, femmes, vieillards,
impotents n'étaient pas épargnés, c'était
aussi des soldats Allemands, le visage
haineux, qui pourchassaient le
juif.
Ce film est un événement et sachant quelles
réactions il allait susciter, je
me suis décidé à assister à sa
projection. L'émotion
était grande et des femmes qui
accompagnaient notre petit groupe de
déportés ont avoué avoir pleuré du
début à la fin.
Alors controverse? Bien sûr. Mais ce film
était-il nécessaire?
Beaucoup, si ce n'est tous, ont souligné le
caractère positif du film et son action
pour la mémoire. Certains, qui n'ont pas,
par ailleurs ménagé leurs critiques,
ont même dit:
"Si le film ne permet pas d'accéder à l'histoire,
il aura sans doute suscité l'envie d'y
accéder: une passerelle , une porte
est ouverte en quelque sorte. Dédié à
six millions de morts qui n'ont
jamais pu et ne pourront jamais
témoigner, il ne peut que susciter de
salutaires questions: -Comment
est-ce arrivé? -Comment ne plus jamais
voir cela? (fin de citation)
Les réserves portent sans doute plus, sur ce que
chacun ressent en fonction de sa
connaissance des événements, si ce n'est
de sa propre expérience.
Ce génocide, en effet, est, même si depuis
l'histoire
a bredouillé, un phénomène unique par
sa détermination, par sa
mise en oeuvre, par son importance.
Cette extermination n'était qu'une
partie du plan élaboré par les nazis
pour assurer leur suprématie. Il
fallait faire de la race aryenne, la
plus exemplaire, la plus belle des
sélections.
Mais l'opposition à cette hégémonie a peuplé
aussi les camps de concentration. Les
communistes allemands ont
été incarcérés dès la prise de pouvoir
par Hitler et paradoxe, se sont vus
confier la responsabilité en second de
la gestion des camps. Des résistants,
des patriotes, des ethnies à exterminer
et tout ce qui leur tombait sous la
main composaient la mosaïque des
bagnards car effectivement nous étions
considérés comme tels et habillés en
conséquence.
Après avoir vu ce film , j'ai cru avoir quelque
droit à émettre un jugement. J'ai dit
en effet que le film était formidable
et que je n'avais pu réprimer mon
émotion. Mais, et là je réponds à la
question posée précédemment, était-il
judicieux de montrer ces comportements,
ces exactions au moment où nous
construisons l'Europe, au moment
où les frontières, causes de nombreux
affrontements, tombent, au moment où
les relations culturelles entre
Français et Allemands sont fructueuses, au
moment où des rencontres et échanges de
jeunes permettent justement d'espérer
que, nous connaissant mieux, de pareils
agissements ne soient plus
envisageables. C'est la réconciliation
non plus entre Français et
Allemands, mais entre habitants de l'Europe
et même de la planète.
Ce jugement se nuance, bien sûr, et n'entraîne
ni l'oubli, ni le pardon. Pour les
rescapés dont les nuits sont encore
hantés par le souvenir des atrocités,
oublier serait sans doute une sorte
de libération. Mais ils ne le peuvent
pas et le pourraient-ils qu'ils n'en
auraient pas le droit. Oublier, ce
serait faillir à leur devoir envers les
hommes.
Stéphen Spielberg a voulu faire ce film parce
qu'il
voulait dire à ses enfants ce qu'il
était et à quoi il croyait
comme Henri Verneuil avec ses deux
films Mayrig et rue de Paradis a voulu nous
faire connaître le génocide arménien et
comment il s'en était sorti.
Ceux qui ont vécu des épisodes exceptionnels
veulent laisser le témoignage de ce
qu'ils ont souffert, pas forcément pour se
raconter ni pour jalonner leur chemin
mais pour crier qu'ils ne veulent pas
que pareille aventure arrive aux
générations futures. Comme j'ai dit
plus haut ils assument leur devoir
envers les hommes.
A l'occasion de l'inauguration du mémorial
d'Izieu
pour commémorer la déportation, sur
ordre de Klaus Barbie, de
quarante quatre enfants juifs, s'est
instaurée une polémique. Une interview
donnée trois ans auparavant par le
Président de la République de l'époque
pour un livre intitulé "de la Résistance
à l'exercice du
pouvoir" a été
reprise opportunément à ce moment. Le
Président préconisait l'oubli pour
des hommes comme Touvier, Bousquet,
Papon et aurait dit:
"ce sont des
vieillards, il ne reste plus beaucoup
de témoins et cela n'a plus guère de
sens".
La communauté juive s'est émue et le Président
du CRIF Jean Kahn a pu dire: "Comme lui
nous sommes pour la paix civile
et pour la réconciliation nationale,
mais s'agissant d'un événement
unique, spécifique comme la Shoah, la
mémoire a des droits
imprescriptibles.", tandis que le responsable des jeunes sionistes s'exprimait en ces termes:
"La communauté juive n'est encline ni à
l'oubli, ni au
pardon."
Ceci pour dire que les sensibilités sont encore
bien présentes et que nombreux sont
ceux qui refusent tout ce qui
ressemble à un trait tiré sur le passé.
Pour aller plus loin dans notre réflexion il
semble nécessaire de dépasser les camps
de concentration, les maquis,
Oradour,
le ghetto de Varsovie, le mémorial
d'Izieu et autres exactions commises
entre 1940 et 1945 et poser la question
de la responsabilité - responsabilité
individuelle et responsabilité
collective.
Chaque événement important ou incident dans
l'histoire
des êtres humains ne peut nous laisser
indifférent. Nous avons ou
devons avoir une réaction. La première
est de nous informer et essayer de
comprendre ce qui n'est pas toujours le
plus facile.- des Allemands
interrogés quelques jours avant la reddition
des troupes nous avouaient ignorer
complètement l'existence des camps
d'extermination.
Lorsque nous savons, nous nous trouvons face à
notre conscience et une attitude
consiste à dire: cela ne nous concerne
pas. Il est si facile de faire
l'indifférent. Vous vous rappelez ce cri:
"Quand ils sont venus chercher les communistes
je n'ai rien dit
je n'étais pas communiste.
Quand ils sont venus chercher les syndicalistes
je n'ai rien dit
je n'étais pas syndicaliste.
Quand ils sont venus chercher les juifs
je n'ai rien dit
je n'étais pas juif.
Quand ils sont venus chercher les catholiques
je n'ai rien dit
je n'étais pas catholique.
Puis ils sont venus me chercher et il ne restait plus personne
pour dire quelque chose."
Quelle responsabilité avons-nous à l'égard de
nous-mêmes? Avons-nous pris conscience
de notre être? Peut-être faut-il
que nous ayons la connaissance de
nous-mêmes, que nous nous prenions en charge
et que nous définissions quelles sont
nos valeurs? Alors à chaque instant
ce sera l'heure du choix: possible-impossible,
passif-actif,
tranquille-agité, j'm'enfoutiste-révolté, lucide-aveuglé.
Souvent nous avons débattu de la responsabilité
de ceux qui savent et nous ne pouvons
arrêter une position définitive.
Nous savons comment en 1940 le stock (200
litres) de l'eau lourde est sorti de
Norvège pour aboutir grâce à Frédéric
Joliot-Curie en Angleterre. Nous connaissons
aussi le cri d'Einstein . Lui qui
avait alerté le Président Roosevelt à
deux reprises (en août 1939 et en
avril 1940) et qui s'est trouvé à
l'origine du projet Manhattan et de la
construction de la première bombe
atomique, lorsqu'il appris l'explosion d'Hiroshima
le 6 août 1945, a lancé un cri de
désespoir dont Banest Hoffmann
a pu écrire: "On ne saurait rendre
l'intensité de ce cri en le
traduisant simplement par Hélas". En
tous cas Einstein a été effrayé
des terribles effets qu'il avait provoqués.
J'ai cité ces deux exemples pour montrer la
responsabilité d'hommes de science et
des effets de la prise de conscience.
Que dire, et les exemples récents ne
manquent pas, de la responsabilité
des hommes politiques - responsables
mais non coupables, disent-ils!
Quelles responsabilités pour ceux qui assistent
aux événements?
Faut-il condamner tout un peuple si les
gouvernants qu'ils ont choisis ou tout
au moins acceptés commettent des crimes
contre l'humanité. En 1945, le tribunal
de Nuremberg s'est contenté de juger
les militaires et dirigeants allemands.
Est-ce que ce n'était pas l'ensemble
des adhérents du parti nazi, tous les
militaires, tous les policiers, tous les
hauts fonctionnaires qu'il aurait fallu
inculper et pourquoi pas la
population allemande?
A Riom en 1941 il y a bien eu le procès des
responsables de la défaite de 1940 et
le procès tourna court. Fallait-il comme
dit Jean-Marie Domenach inculper les
électeurs de la majorité du Front
Populaire dont les représentants
avaient pour la plupart voté les
pleins pouvoirs à Pétain. L'État
Français ne pouvait faire un procès au
peuple français. Lorsque les événements
ont retourné la situation, le
régime de Vichy aurait-il du être jugé
avec tous ceux qui acceptèrent sans
rechigner, si ce n'est en en profitant,
un régime d'exception?
Plus tard Jean-Paul Sartre a affirmé: nous
sommes responsables de tout ce que
n'essayons pas d' empêcher? D'un débat
organisé pour débattre de cette question
j'ai relevé:
"La responsabilité
caractérise tout individu, indissociable
de l'humanité, de la
collectivité". Quelle prise de position!
Il est bien évident que la responsabilité a des
limites et qu'aucun de nous
ne peut supporter toute la misère du
monde sur
ses épaules. Pourtant ne devons-nous
pas bien réfléchir à ce régime
qui est le moins mauvais à l'exception
de tous les autres, je veux dire la
démocratie. Mais là n'est pas notre
propos de ce soir dont je me suis un
peu écarté.
Pourtant lorsqu'il va falloir prendre position
sur nos options: aurons-nous le droit
de parler d'oubli ou de pardon si nous
avons nous-mêmes toléré, que nos
gouvernants - choisis ou acceptés - nous
entraînent dans des conflits, ou dans
des erreurs ou des crimes?
Il est possible de me rétorquer que nous nous
sommes inclinés devant la majorité,
c'est là que se pose le problème de
la démocratie. Lors de la rencontre de
Munich, de sinistre mémoire, le
peuple était pour les accords. En juin
40, le peuple harassé, pourchassé, a vu
dans l'armistice son salut. Peut-être puis-je me hasarder à
vous demander
combien croyez-vous qu'il y a eu de
Français résistants à l'ennemi?...... Un
document officiel émanant du Ministère
des Armées intitulé
"Édition
méthodique n° 367" de janvier 1973 indique
que de 1940 à 1945
432.604 hommes et
femmes ont été homologués résistants
soit 1 français sur 100!
Lorsque je suis rentré du camp l'on m'a confié
la présidence de l'association des
résistants de ma commune, à
la première assemblée les effectifs
avaient fondu . Les imposteurs ne
voulaient pas être démasqués.
QUI PEUT PARDONNER?
TOP
La religion catholique a institué la confession
et toute faute confessée fait l'objet
d'une pénitence et est pardonnée.
Cela valait pour les fautes individuelles.
Dieu seul pouvait se permettre de
pardonner. Devant la responsabilité
collective, Jésus Christ est
plein de mansuétude puisqu'il aurait
prononcé ces paroles :
"Pardonnez leur
mon Père car ils ne savent pas ce
qu'ils font". Absolution donc pour tous
ceux qui ne se contrôlent pas ou qui
ferment les yeux sur tout ce qui se
passe autour d'eux . Plus récemment le
pape a dit dans l'ex Yougoslavie:
"Il faut avoir le courage de pardonner
et de demander pardon
". Comme cela
semble simple lorsque l'on n'a pas
soi-même souffert dans sa chair.
Dans les familles il y a quelquefois des
différents et les membres du clan s'opposent,
se fâchent à mort et ne se
rencontrent plus. Et puis un jour tout
est oublié et c'est à nouveau les
embrassades. L'oubli puis le pardon. Là
les liens affectifs sont les plus forts.
Si nous revenons à nos propos nous rappellerons
que les associations juives ne
voulaient ni l'oubli ni le pardon.
Tout homme politique qui dirige ou dirigera notre
pays et qui est par la grâce de notre
constitution le Président de
tous les Français ne peut que prêcher
la réconciliation nationale.
Mais le nazisme n'a pas fait que des victimes
relevant du racisme. Nous manquons de
chiffres toutefois nous savons que
sur les 141.000 déportés de France
65.000 étaient qualifiés de
"résistants".
Avant de terminer sur des faits remontant si loin
dans le temps, je voudrais évoquer un
événement typiquement mis en
exergue par les médias et qui a provoqué
des réactions épidermiques. Il s'agit
du défilé d'un 14 juillet sur les
Champs Elysées. Que de souvenirs vengeurs
peuvent surgir chez certains de voir
des soldats allemands descendre la plus
belle avenue du monde! Et je ne peux
dire que je n'ai pas eu un petit
serrement de coeur .
Et pourtant, qui a défilé? Le corps d'armée
de l'Eurocorps composé de six cents
soldats appartenant à cinq nations: la
France, l'Allemagne, la Belgique,
l'Espagne et le Luxembourg. Outre
l'Eurocorps
ont défilé des unités de la 2ième
division blindée- la division
de Leclerc - qui libéra Paris en 1944
et des régiments décorés de l'ordre
des compagnons de la Libération. Il
n'est pas inutile, même si cela est une
évidence, de dire que ce ne sont pas
les combattants de 1944 qui étaient là
mais les soldats de deux générations
suivantes et nous ne pouvons pas
oublié le temps qui s'est écoulé,
l'évolution des moeurs et des êtres
pendant 50 années.
Seules les victimes ou leurs ayants droit ont le
droit de pardonner écrit
Jean Daniel. Cette assertion de bon sens
n'est
pas partagée par tous. Et certains
décident de mener des combats d'arrière
garde.
PARDONNER
A QUI ?
- Pardonner à ceux qui ont commis les exactions?
Certains ont subi la justice expéditive
des premiers moments de
liberté. D'autres ont été jugés, condamnés,
exécutés, d'autres ont été
graciés, ceux qui restent ont 50 ans de
plus.
- Pardonner à ceux qui les ont aidés si ce n'est
qui sont allés au devant des désirs de
l'ennemi?
- Pardonner à ceux qui ont dénoncé, par
intérêt le plus souvent?
Edgar Morin donne un sens plus large au problème,
écoutons-le:
"je ne crois pas que, plus le temps passe, plus
doit s'accroître la soif de châtiment
des crimes nazis. Je ne suis pas de
ceux qui poursuivent cinquante ans
plus tard les criminels de guerre et de
police nazis, alors qu'un tel acharnement
n'existe pas chez les victimes du
stalinisme, du colonialisme, du
franquisme, du
pinochétisme, des Algériens
victimes des Français d'Algérie et
des Pieds Noirs victimes des
Algériens".
Cependant les archives s'ouvrent et des faits peu
reluisants apparaissent.
Que penser lorsqu'un livre puis un film diffusé
à l'occasion du cinquantenaire du
débarquement nous apprend que
"l'on a sacrifié volontairement des
résistants pour qu'ils
donnent, sous la torture, des codes aux
Allemands afin que ces derniers
puissent décoder de faux messages". Et c'est ainsi qu'Hitler a été intoxiqué et a
cru que le débarquement aurait lieu
dans le Pas de Calais. La fin
justifiait-elle les moyens? Oui ! répond Larry Collins.
"En cas d'échec, les
conséquences auraient été dramatiques. Au
lieu de 6 millions de juifs exterminés il y
en aurait eu 8 ou 10, l'occupation en
France aurait
continué". C'est
vrai, mais ceux qui étaient les agents
de renseignements, ne sont-ils pas
ébahis d'apprendre qu'ils ont joué
inconsciemment ce jeu et n'éprouvent-ils
pas, s'ils sont revenus, une certaine
rancoeur?
Pardon pour quoi faire?
Par contre, oui, laissons aux historiens le soin
de relater cet épisode, aux poètes de
le chanter, aux troubadours modernes
de faire pleurer Margot dans les
chaumières , aux papies et aux mamies
de capter l'attention de leurs
petits-enfants, mais n'étalons pas toute
cette vilenie et faisons en sorte que
grâce à la réconciliation des
peuples, à leur entente nous ne puissions
revoir cela.
Et pourtant les peuples n'ont pas acquis la
sagesse même ceux qui ont souffert il y
a cinquante ans et depuis.
Que pouvons-nous faire? Ce n'est pas en montrant
la violence et en montrant des trucs
pour mieux tromper la police et la
justice que nous trouverons la sécurité,
la tranquillité.
Sommes-nous complètement désarmés?
impuissants? responsables? mais encore?
Nous n'avons pas le droit d'être
pessimistes.
Les temps
ont changé soit. Mais...
Le soleil continue de briller,
la terre de tourner,
les oiseaux de chanter,
les abeilles de butiner,
les
fleurs de fleurir.
Les êtres
humains se posent toujours autant de
questions.
D'où viennent-ils, où vont-ils?
Et demain reste à
inventer. TOP
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(a) autre
témoignage par Geoffroy de Clercq (survivant de
Buchenwald et Wansleben (matricule 31.279)
Dernière mise à jour/ latest updating: 13 juin 2009