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Gonflés ou cinglés ? La Ligne en 1923 et 1924, page 3

Barcelone-Alicante, dans le cyclone... décollage... sévères turbulences... manque des tours... boum... réveil !   
malgré l'accident, divagant 2 jours, repartir à tout prix, amener son courrier à bon port... colère..  
poursuite du vol sur Alicante, pilote un peu excité... comportement bizarre... de la folie?   
foncer toujours poursuite du vol sur Malaga...    
un nouvel ami  Louis Mingat et ses pigeons qui doublent le radio..    
initiation forcée à la panne   
auprès du Patron.. les hantises de M. Daurat déjà les médias   
un couac qui coûtera cher, les robes de Mme maréchale Lyautey    
M. Daurat  élimine le pilote Verdier par le biais de la visite médicale  
Rozes écrit à Verdier, l'affrontement avec le Patron Didier Daurat      
 

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Barcelone-Alicante, dans le cyclone... décollage... sévères turbulences... manque des tours... boum... réveil !

Dès le décollage, à cent mètres de hauteur, de noirs rouleaux de nuages happent aussitôt l'avion courrier. Emporté par la tempête, l'appareil dérive, en vingt kilomètres il revient sur sa route face au sud. A toute allure la côte défile. Poussé par un vent violent de trois quart arrière, le Breguet dévore les kilomètres. En dessous, la mer en vagues monstrueuses assaille la côte. Sans cesse rabattu au sol, le pilote regagne de l'altitude en effectuant, plein moteur, un virage pour se mettre face au vent. Alors tout change, l'avion fait du surplace, monte. Et ainsi de suite, une fois, deux fois, dix fois. En dessous, Tarragone, aussitôt disparue qu'apparue. Devant un ciel d'encre où terre, mer et ciel semblent se mêler. La turbulence est très sévère, et, parfois, le manche échappe des mains du pilote. Ce n'est plus une tempête, c'est un cyclone qui prend de la force au fur et à mesure qu'approche l'embouchure de l'Ebre. Alors lui vient l'idée de faire demi-tour. Idée aussitôt chassée. Depuis un an; le pilote Gilbert Verdier, sans le réaliser pleinement, a été conditionné en vue de l'accomplissement d'une tâche précise: "le passage du courrier par n'importe quel temps". Reculer, revenir en arrière est déshonorant. Tout, plutôt que le retour à l'escale. Verdier continue. Aux approches d'Hospitalet, c'est de la démence. Dans un demi-jour glauque, rasant les vagues, le courrier doit passer. Faire demi-tour! impossible! Que dirait M. Daurat. Folie, dit la voix de la sagesse. Non, le courrier doit passer. 
L'embouchure de l'Ebre, Trotosa, l'avion poursuit son vol en dents de scie. Vingt mètres, quatre-vingt, vingt mètres, quatre-vingt. Entièrement occupé à tenir sa machine en fragile équilibre, le pilote a l'impression que le bruit rassurant du 300ch a baissé d'un ton. Un rapide coup d'oeil au compte-tours le renseigne. Treize cents tours minutes. Le régime a baissé sans qu'il en est conscient. A-t-il refermé légèrement la manette des gaz, en se débattant avec le manche. Mais non, elle est bien à fond, bloquée, au dernier cran. La possibilité de faire demi-tour est exclue. A treize cents tours, l'appareil ne pourra remonter le vent. Le régime baisse encore, bientôt le courrier ne tiendra plus en l'air. Déjà, il frôle les hautes vagues. Il faut atterrir, vite, n'importe où. Vinaroz, Benicarlo, rien. Des plages balayées par d'énormes vagues. Un rocher avançant dans la mer, coiffé d'un château fort et d'un village, Peñsiscola. A droite, une entaille dans la côte. Une vallée s'ouvre sur une plage minuscule. Brutale, la décision. L'avion s'enfonce dans la vallée qui se rétrécit brusquement. A droite, un craquement, l'aile a heurté quelque chose, terre ou rocher. Brutalement, le pilote tire sur le manche à lui en même temps qu'il coupe, d'un geste, l'allumage et donne un coup sec sur le bouton d'agrafage de sa ceinture pour se libérer en cas d'incendie. Entraîné par l'aile droite, le Breguet va buter contre une levée dans laquelle il s'encastre dans un formidable fracas. La queue de l'appareil se soulève et retombe aussitôt. N'étant plus retenu par sa ceinture, Gilbert Verdier est projeté contre le tableau de bord et retombe assommé. Il reste là, inconscient, effondré sur la poignée du manche à balai qui, dans le choc, l'a violemment heurté à la poitrine. 
Des bruits, des voix, une vive lumière. Tout autour des visages anxieux. On parle espagnol. 
- Ahora, m'entiende, usted, abiador francés? dit et répète le plus âgé. Des heures après:
- Abiador Berdier m'entiende usted?.
Des Espagnols. Des filets pendant aux murs blanchis à la chaux. "Bon Dieu, le courrier, la tempête, la petite plage blanche d'écume, l'étroit défilé dans lequel il s'est encastré, le choc à droite, puis le second dans un bruit énorme". Le pilote veut crier, va crier. Rien ne vient. Il ne peut pas. Lentement il remue bras et jambes. Tout fonctionne. Pas de douleur aiguë. Rien de cassé donc, mais en lui, quelque chose s'est détraqué. Il comprend mais ne peut parler. Un homme aux cheveux blancs renvoie les autres, éteint la lampe et va s'étendre dans un coin sur un tas de filets. Tout près, le bruit puissant des vagues qui frappent à coups sourds et font vibrer la maison. Le pilote retombe dans une somnolence épaisse. 
La nuit passe, le jour revient. Le vent s'est calmé, les vagues frappent toujours mais avec moins de violence. Dans la petite pièce, Verdier est seul. Dans un coin, le courrier entassé et, au-dessus, la pochette de moleskine noire contenant les papiers et le livre de bord. Ainsi le courrier est sauvé, l'avion n'a pas pris feu. Accablé d'une immense fatigue, il retombe dans sa somnolence. Sa tête est douloureuse. Sans le casque et l'épais passe-montagne, il se fendait le crâne, c'est certain. Un bruit puissant, encore lointain mais que le pilote identifie immédiatement, un moteur d'avion. On le cherche ou un courrier qui passe. Le bruit décroît. Coincé comme il est, dans une faille étroite, le Breguet ne peut être vu. Communiquer avec Barcelone, communiquer à tout prix. Une idée lui vient, écrire un message que le vieux portera au plus proche bureau de poste.
- Ici, explique le vieux, vous êtes à Alcoceber, à une vingtaine de kilomètres de
Peñsiscola, et à une cinquantaine de Castellón. Avertir Barcelone ne sera pas facile avec les lignes de téléphone arrachées par la tempête, mais on va essayer.
Verdier griffonne sur une feuille du bloc récupéré dans une poche de sa combinaison de quoi le localiser. 
- Vous avez eu de la chance.
De la chance, oui j'en ai eu, pense Verdier. Si j'étais tombé sur le rocher comme Genthon, l'avion aurait explosé et flambé et moi, assommé par le choc, j'aurais grillé dans l'inconscience. Oui, c'est un coup de chance insolent car j'ai dû dans le sol à cent cinquante à l'heure au moins.
-Buvons à cette chance, griffonne -t-il.
Le vieux va chercher le porrón et le tend au pilote qui boit une rasade d'aguardiente et la garde dans sa bouche, la faisant passer rapidement d'une joue à l'autre. Alors le miracle se produit. Quelque chose se décroche dans sa tête, libérant les muscles bloqués, et Verdier parle, crie, hurle pour exprimer va joie d'être vivant et aussi pour remercier le vieux, tout heureux de ce dénouement. Les autres arrivent. Le pilote serre ces mains rudes qui l'ont sorti de la carlingue, transporté jusqu'ici, installé précautionneusement sur le lit du vieux pêcheur, puis ont vidé les coffres et tout apporté en tas dans la pièce. Toute le reste de la journée, on attend l'homme parti, à pied, à la recherche d'un bureau de poste pour avertir Barcelone. 
Le lendemain, deux jours après le crash, il arrive enfin, flanqué de des inévitables guardias civiles qui se font expliquer l'accident, voient les papiers... L'aviateur que le pêcheur a eu au bout du fil était stupéfait et a posé beaucoup de questions... il est heureux que le pilote soit vivant, que le courrier soit à l'abri... qu'il sera là demain et qu'il prévenait Toulouse. Rassuré de ce côté, Verdier remercie les gardes civiles qui seront de retour demain pour assister à l'atterrissage et au départ du courrier. Les guardias partis, on presse le pilote de manger, ça depuis deux jours et deux nuits, il n'a absorbé qu'un peu d'alcool. Alors arrive une énorme bassine pleine de crevettes géantes, les gambas, baignant dans une sauce relevée qui incite à faire appel souvent aux porrones de gros rouge, placés au centre de la table. Chacun puise dans la bassine et mange à sa faim. La conversation est animée, que de questions sur le métier d'aviateur, ils semblent heureux d'avoir été mêlés à un incident qui s'est bien terminé. Verdier leur promet de survoler Alcoceber à chaque occasion. Le vieux met fin au repas et aux discussions. Verdier s'endort, à cinq cents mètres, son avion se repose, lui aussi, le nez en terre et l'aile fracassée. La chance, encore une fois... 
Le lendemain, dès l'aube, tout le village est debout dans l'attente de l'évènement. On laisse dormir Verdier qui, la veille, a retiré de sa petite valise, le flacon de comprimés dispensateurs de sommeil et de calme. Lorsque l'avion  du chef d'escale de Barcelone, Pauillac, apparaît dans le ciel, le vieux pêcheur réveille le jeune pilote. Verdier bondit. Pauillac trouve un terrain d'atterrissage à plus d'un kilomètre du village et se pose sans problème. Les deux pilotes se serrent longuement la main. Une sorte de tension permanente habite Verdier, il a envie de crier et d'agir. 






malgré l'accident, divagant 2 jours, repartir à tout prix, amener son courrier à bon port... colère..
 
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Tous deux reviennent vers l'avion accidenté. 
- Bon, dit Bougerolles qui, comme d'habitude, accompagn le chef d'escale. On démontera les ailes, on le tirera avec des mules jusqu'à la station de chemin de fer la plus proche et on le ramènera  à Barcelone, il peut encore servir. 
- D'accord, dit Pauillac, mais occupons-nous d'abord du courrier.
Et, s'adressant au pilote:
- Je vais t'emmener jusqu'à Alicante d'où tu pourras rejoindre Malaga en passager. Après un tel coup dur tu as besoin de dételer pendant quelque temps. M. Daurat est d'accord. " 
Un déclic dans l'esprit de Gilbert, la colère monte. 
- En passager, jamais. C'est mon courrier, je l'amènerai jusqu'à Malaga. Je suis en pleine forme. 
- Mais, bon sang, clame Pauillac, tu n'as pas vu ta tête. Tu es surexcité plutôt qu'en pleine forme. J'estime que tu n'es pas en état de voler à nouveau correctement sans une cure de repos et l'avis des médecins. 
- Je sens, moi, que je peux reprendre l'air. Je n'ai rien de cassé, ma tête fonctionne, et, à part quelques courbatures, rien, absolument rien ne m'empêche de continuer mon courrier interrompu par la tempête. Ce courrier a failli me coûter la peau, je le continuerai jusqu'à Malaga, conclut-il d'un air que Pauillac ne lui avait jamais vu.
Les deux pilotes sont face à face, tendus. Certainement pour éviter une dispute devant tout le monde, Pauillac, conciliant: 
- Ecoute, Gilbert, fais ton courrier puisque tu y tiens. mais sache que je te laisse partir à contrecoeur car, c'est visible, tu as reçu un choc terrible et à mon avis, je le répète, tu n'es pas en état de voler. 
- Je me sens très bien, au contraire, rétorque Verdier, étonnamment agressif. Je vais t'enlever ça de là, tu vas voir. 
- Bon ,bon, dit Pauillac, mais j'ai la conviction que je commets une faute. 
- Le Patron m'a interdit de vol, oui ou non? reprend Verdier durement. 
- Non, M. Daurat n'a rien précisé mais il ne t'avait pas vu. 
- Bon, en conséquence, ce qui importe c'est que je me sente capable de le faire. 
- Cessons d'en discuter, dit Pauillac chagrin, tu pars c'est entendu. Ce qui importe maintenant c'est le transbordement du courrier. 
Bientôt tout est prêt. tout le village s'y est mis. Le contrôle a été effectué, rien ne manque. L'avion est reculé jusqu'aux extrêmes limites du champ où Pauillac l'a posé. Tout le monde veut serrer la main du miraculé de la tempête. Le vieil homme à cheveux blancs, le dernier, l'embrasse avec chaleur.
- Adiós amigos, y gracias por todo. 
Pauillac est anxieux, mais ne dit rien. 
Plein gaz, réduit, enlevez les cales. Aussitôt, le rugissement éclate. Au ras de la limite du terrain, Verdier arrache le Breguet et le remet dans son élément. L'appareil monte droit jusqu'à deux cents mètres, revient  au-dessus de la foule rassemblée. Les bras se lèvent,
- Adiós amigos". Le Breguet balance des ailes et fonce sur Alicante.

poursuite du vol sur Alicante, pilote un peu excité... comportement bizarre... de la folie?  
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Le courrier poursuit sa route, en apparence normalement. Un changement s'est produit cependant. Au lieu de réduire son moteur, de l'économiser comme il faisait auparavant, Gilbert Verdier marche plein gaz. C'est à peine si arrivé à cinq cents mètres, il pousse légèrement la manette. Pris par une fureur soudaine, il fonce sans souci du temps et de la configuration du vol. Valence, il pleut. "Je m'en fous", décrète le pilote. Après la tempête, c'est de la rigolade. La plaine défile à cinquante mètres dans le crachin. Jativa. Le sol se redresse et monte à l'assaut de la sierra d'Alcoy. Normalement il devrait retourner à la côte et prendre par la pointe de Denia. Il n'en a cure et fonce dans l'enchevêtrement des hautes vallées de la sierra d'Alcoy. "Je me faufilerai" Après ce que j'ai connu, plus rien ne compte. Et l'aventure folle réussit. Jijona. La partie est jouée. Alicante. Faible soleil, pas de vent. Arrivé à moins d'un kilomètre du terrain, il réduit brutalement son moteur, fait une prise de terrain serré et se pose sans soigner son atterrissage. Il roule en vitesse jusqu'au hangar et stoppe net en coupant l'allumage. Silence. 
Les mécanos sont tous là; le regardant comme un revenant. Alors, il les interpelle durement:
- Eh bien, vous êtes bouchés ou quoi? 
- Excuse-nous, dit Jayet d'un air contraint, mais ça nous fait quelque chose de te revoir. On te croyait perdu en mer dans cette foute tempête.
De la baraque du chef d'escale, c'est Hamm et non Clavel qui jaillit.
- Tiens c'est toi qui est ici maintenant?" dit Verdier sans salutations préalables.
Etonné, Hamm le regarde,
- Ce petit Verdier, si doux, si gentil, ça ne lui ressemble pas; Sûrement, il est sonné.
- Oui, dit Hamm, je remplace Clavel durant quelques jours, tu nous as foutus au désespoir. Gilbert, mais tu es là, c'est magnifique. Gentiment, il l'empoigne par le bras.
- Viens, tu as besoin de repos. On te gardera quelques jours ici, la plage, la paella, le moscatel, tu seras vire remis sur pied. Je vais te descendre à l'hôtel. 
Brusquement, Verdier se dégage:
- Me soigner? Mais qu'est-ce que vous avez tous? Je ne suis pas malade. Vous voulez prendre mon courrier. C'est ça. Mais je préviens, je ne me laisserai pas faire. C'est mon courrier, j'irai jusqu'à Malaga et si je dois me reposer, je suis assez grand pour le décider tout seul.
Puis, d'un air mauvais:
- Le plein et tout de suite. Quatre jours de retard, cela suffit. Désormais, plus une minute à perdre, je fonce plein gaz. 
A nouveau, le brave Hamm le regarde. Il est devenu fou, pense-t-il. Puis, très vite et doucement: 
- Mais Gilbert, tu connais la Ligne comme moi. Tu sais bien que tu ne peux pas rallier Malaga ce soir. Tu ne veux tout de même pas risquer le courrier dans un atterrissage nocturne au Rompedizo. Qu'est-ce que tu vas chercher? Personne ne veut prendre ton courier. Tu repartiras demain matin au jour. Le courrier a du retard, c'est vrai, mais maintenant un jour de moins ou de plus, l'essentiel est qu'il arrive. 
- Tu as peut-être raison. Excuse-moi, j'avais cru.
Puis sans transition:
- Qui est venu de Malaga? 
- C'est Camoin. Il est descendu en ville, je vais t'y conduire, tu le verras. 
- Descendre à Alicante, jamais. J'en ai assez des serenos. J'aime bien Camoin mais je reste ici, près de mon courrier comme à Alcoceber. Le courrier et moi, on était dans la même pièce, soudés , c'était bien. 
- Mais tu sais bien qu'il n'y a rien ici pour t'héberger. 
- Je dormirai sur le lit de camp du gardien de nuit. Du pain, une tranche de jambon, un litre de moscatel et dormir, voilà ce qu'il me faut. J'ai la tête comme un chaudron qui pèse cinquante kilos.
Hamm comprend qu'il est inutile d'insister. il donne des instructions à la ronde et toute l'escale fait semblant de ne s'étonner de rien. Le soit tombe. Verdier s'installe sur le lit du gardien qui reposera dans un coin, enroulé dans sa couverture. Il mange son pain et le jambon avec avidité, boit le moscatel à pleins verres et s'endort lourdement.


foncer toujours poursuite du vol sur Malaga...
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Cinq heures. Hamm est là, le visage souriant.
- Ça va? 
- Pourquoi cela n'irait-t-il pas? dit aussitôt Verdier, méfiant et sur la défensive. 
- Eh bien quoi, Gilbert, je te demande ça en copain. 
- bon, merci. Et mon courrier? 
- Ton courrier est prêt. Jayet est allé chercher Camoin. Ils seront là dans quelques minutes. 
- Je me lève. Je serai vite prêt. 
- Mais tu t'es couché tout habillé, s'exclame Hamm. 
- Oui, j'ai pensé que je serais plus vite prêt. Mes chaussures, ma veste et hop... 
- Tu ne veux pas faire un brin de toilette? 
- Non, pas avant d'être arrivé à Malaga. Le courrier a assez perdu de temps.
Camoin arrive, doux, bienveillant, paternel.
- Ah, Gilbert, quelle joie de te revoir. A Malaga, tout le monde broyait du noir. Tu nous manquais.
Puis, très doucement:
- Si tu veux je vais décoller le premier. Je monterai à cinq cents mètres et je t'attendrai. On fera l'étape ensemble.
Aussitôt dans la tête de Gilbert Verdier, la mécanique se déclenche. 
- Mais qu'est-ce que vous avez tous à vouloir me chaperonner? Je suis majeur, non? 
- C'est pour moi que je te le demande, répond Camoin, tout sourire et conciliateur. Ce n'est pas si souvent qu'on a l'occasion de voler ensemble, alors ça  me fait plaisir de faire l'étape côte à côte. 
Dans la tête de Gilbert, la méfiance s'est éteinte. La mécanique s'est arrêtée. Sur le terrain, les yeux fiévreux, le teint blême, sous une barbe de quatre jours, il accomplit machinalement les gestes rituels. Au pied de l'avion, Jayet est là.
- Toi aussi, tu penses que je suis devenu dingue?
Alors, droit dans les yeux, le brave Jayet: 
- Nous pensons tous que tu as une chance extraordinaire d'être sorti vivant de cette tempête. En réalité nous avons la trouille de te voir partir dans l'état où tu es. Voilà la vérité... 
- Merci de ta franchise. Mais je crois que vous vous trompez. J'ai reçu un bon coup sur la tête, après quelques jours, il n'y paraîtra plus. Fais-moi mettre en route et à bientôt. 
Pendant ce temps, Camoin a décollé et survole le terrain attendant son camarade. Plein gaz, réduit, enlevez les cales, la main qui se lève, le rite. Verdier arrache le Breguet, coupe au plus court, s'attaque à la côte abrupte d'Almeria à Motril, à deux cents mètres. Comme un forcené il fonce sur Malaga. Le Rompedizo, enfin. Il réduit brutalement, descend rapidement, se pose tant bien que mal, rejoint le hangar, ça y est l'étape Alicante-Malaga est expédiée. Vanier, calme:
- Et Camoin? 
- Je l'ai oublié mais j'ai gagné trente minutes sur l'étape.          
- Vous avez besoin de repos... 
- Mais je me sens très bien... 
- Quand suis-je à nouveau de courrier? 
- M. Daurat a dit de vous accorder huit jours de repos complet. Pour vous distraire, vous essaierez les avions révisés. 
- Huit jours plus les quatre perdus par l'affaire d'Alcoceber, cela fait pas mal de courrier en moins. Cette tempête me coûte cher. 
- Demandez une indemnité de compensation. 
- Je ne vais pas faire le mendigot. Si le Patron me l'accorde, je la prendrai. Je ne suis pas habitué à quémander, pas plus qu'à supplier. Vanier coupe court:
- On va vous ramener chez vous. Dans la maison calme de Chourriana, la femme de ménage exprime sa satisfaction de voir Verdier:
- Apportez des provisions pour plusieurs jours.. Des oeufs, du jambon, du fromage, des fruits, du vin, je m'arrangerez tout seul... ne me parlez pas, j'ai besoin de calme et de repos.
Au bout de cinq jours de solitude coupes de promenades par la montagne, Gilbert Verdier, lavé, rasé, récuré, costume bien repassé, souliers soigneusement cirés, faitune apparition au terrain. Il va vers l'un, vers l'autre. salue Vanier, s'excuse auprès de Camoin de son lâchage à Alicante. Un nouveau Verdier, un regard dur a remplacé le regard gai, rieur; le regard de celui qui est allé jusqu'au bout d'un voyage d'où on revient rarement.

un nouvel ami  Louis Mingat et ses pigeons qui doublent le radio.. 
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En ce début de l'été 1924, une nouvelle ligne est née, Alicante-Oran par hydravion bimoteur. Sensationnelle innovation, la radio à bord fait son apparition. Le but: éviter au courrier pour Oran et l'Algérie le détour par Casa et Fez. Malheureusement, le matériel est encore moins bien adapté au but poursuive que le Breguet XIV de Toulouse-Casa. L'hydravion utilisé est beaucoup trop lourd pour ses deux petits moteurs de 180ch, ce qui oblige à voler constamment presque plein moteur sous peine de ne pas tenir en l'air. De plus, l'appareil radio ainsi sue le radio-navigant constituent un poids supplémentaire dont le malheureux hydro se passerait, d'autant que la radio est faible, sans portée réelle et affligée de pannes sans nombre. Pour pallier ces regrettables défaillances, on a eu, en haut lieu, une idée aussi anachronique qu'efficace. On a doublé le radio d'un joli panier contenant quatre pigeons voyageurs. Le radio donc, se double d'un colombophile et, en bout de ligne, à Alicante et à Oran, on a installé un colombier. Paul Vachet a été nommé patron de cette ligne à laquelle est affecté comme pilote un charmant garçon, Louis Mingat qui devient rapidement l'ami de Gilbert Verdier. Sa façon cocasse de raconter les avatars de la ligne Alicante-Oran distrait Gilbert qui oublie, un moment les pensées pessimistes et agressives qui l'assaillent depuis son accident.  
Justement, ce jour-là, les mains enveloppées de pansements, il raconte sa dernière aventure en mer. Parti d'Oran à six heures avec le radio Ducault, quelques maigres sacs de courrier et le panier de pigeons voyageurs, un moteur explose à moitié parcours en mettant le feu au côté droit de l'hydro. Mingat amerrit et, aidé du radio, tente d'éteindre. Peine perdue. Seuls résultats, quelques bonnes brûlures. aux deux mains. Le feu gagne et il est clair qu'il va se propager à l'autre à l'autre moteur, faisant exploser le réservoir, détruisant l'hydravion qui sombrera en quelques minutes. Les deux hommes se déshabillent en vitesse, accrochent leurs ceintures de sauvetage, fixent à celles-ci les sacs étanches du courrier, libèrent les pigeons sans avoir eu le temps de confier un message, car bien entendu, au moment le plus pathétique, la radio a déclaré forfait. Une fois à l'eau, le pilote et le radio assistent à la destruction de leur appareil qui sombre rapidement, ne laissant à leur surface qu'un flotteur d'aile, heureusement intact, auquel ils s'accrochent avec l'énergie du désespoir. Après dix heures de trempette, ils sont enfin récupérés. Une semaine après cette traversée mouvementée, Mingat reprend les commandes avec ses pansements aux mains et raconte l'affaire. Tournée, retournée, on boit à sa chance et à celle de son radio, absent ce jour-là... 
Hélas, un jour abominable. Amerrissant à Alicante après un vol sans histoire, le pilote Louis Mingat, rasant les toitures pour se poser dans le port, heurta un paratonnerre, s'écrasant en pleine ville et mourut carbonisé avec son radio, ses pigeons et son courrier. Pauvre cher Mingat, si gai, si gentil. Sa chance aura été courte. Quant au radio Ducault, son habituel coéquipier, n'étant pas de service ce jour-là, il échappa à la mort et fut muté au Maroc, où elle lui avait donné rendez-vous. Pris au piège d'un immense banc de brume, il mourut noyé avec son pilote Emile Lécrivain, à la fin d'un voyage heureux de Dakar à Casablanca. Mingat et Ducault disparus, Papade, le chien mascotte qu'ils avaient "apprivoisé" sombra dans un désespoir muet jusqu'à se laisser mourir de faim.

initiation forcée à la panne 
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Passé de l'aviation militaire à l'aviation commerciale, le Pilote Guilmet effectue sur la Ligne Toulouse-Casa le classique voyage de reconnaissance. A Alicante, il devient le passager de Gilbert Verdier pour le tronçon Alicante-Malaga. Partis à six heures ils survolent la vallée de Murcie. De temps en temps, Verdier lui passe des papiers hâtivement griffonnés portant divers explications sur la route suivie. 
Très beau temps, altitude mille mètres. Aux approches d'Almeria, le pilote débute une montée pour franchir avec plus de sécurité les cent kilomètres d'Almeria à Motril. Hélas, le moteur n'en veut pas et décide de s'arrêter, c'est la classique "salade de bielles". Hélice calée, un leger vent siffle dans les tendeurs reliant les ailes. Le pilote décide de rejoindre la plage pourtant assez loin et se met en vol plané maximum. Arrivera? Arrivera pas? On n'arrive pas. Une dernière dune haute de cent mètres, interdit au Breguet la plage convoitée. Contact avec la colline: l'avion est freiné sèchement, le sable avale les roues, le train d'atterrissage tout entier. Les ailes, à leur tour, arrivent au contact, tout s'arrête. Le Breguet est cloué là comme un papillon sur un carton. En bas, le village de pêcheurs qui regardent l'oiseau argenté. Verdier défait son harnachement et à Guilmet:
- Reste maintenant le plus dur, se sortir de là et rejoindre ces braves gens sans enliser nous-mêmes.
Glissade sur le derrière. Le pilote entame la conversation:
- Téléphone, - C'est loin" (air connu).
- Des mules, une carriole. Je paierai.
Au soir on arrive enfin à Almeria. Vanier au bout du fil. Explications rapides.
- Je serai là demain matin de bonne heure, je me poserai sur la plage.
Retour au village de pêcheurs. A quatre heures du matin, le courrier, les paquets, les bagages sont réunis dans la maisonnette du chef du village. On boit l'anis coupé d'eau fraîche, on grignote quelques sardines grillées en attendant l'avion dépanneur, trop de moustiques pour dormir. Vanier arrive. Tout se passe très vite. Moteur tournant, le chargement est effectué rapidement. Le chef d'escale reste sur place pour récupérer l'avion. Le courrier s'envole, à nouveau, sans problème. Avant midi, il se pose sur le terrain du Rompedizo. Guilmet continue sur Casa, "Drôle de distraction sur la Ligne." Il a pris un bon coup de soleil.


auprès du Patron.. les hantises de M. Daurat déjà les médias 
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Exceptionnellement, Gilbert Verdier convoie un courrier du Maroc sur Toulouse. Beau temps, mais le moteur est à bout de souffle, passages à vide, pétarades, vibrations. Aussi est-ce d'exécrable humeur que le pilote se  pose à Montaudran. Il serre quelques mains et, au chef de piste qui l'interroge sur l'état de la mécanique, il répond d'un air aigre et à haute voix. Puis: 
- M. Daurat n'est pas là? 
- Non. Il est à l'atelier de dégroupage des moteurs, occupé à surveiller le travail de manoeuvre qu'il a eu,  depuis quelque temps, l'idée de faire exécuter par les candidats pilotes. 
- Ah! et, qu'est-ce qu'on leur fait faire? 
- Ils dégroupent les moteurs rentrant en révision, les mains dans la vieille huile de vidange. Il paraît que c'est pour briser leur orgueil et les assouplir. 
- C'est peut-être bon, mais je préfère avoir coupé à cette corvée.
Il se dirige vers la salle des pilotes et commence à rédiger son rapport. Brusquement M. Daurat surgit dans son dos et sans vains préambules, l'admoneste vertement sur le jugement qu'il a porté, tout à l'heure, à haute voix, sur le matériel de la Compagnie. 
- Si vos critiques, dit le Patron, arrivent aux oreilles de la presse, vos imprudentes paroles vont être montées en épingle et, par votre faute, d'injustes accusations seront lancées contre nous.
Excédé, Verdier regimbe et riposte avec énergie, oubliant le sacro-saint principe qui interdit de répondre à M. Daurat. Stupéfait de cet acte d'insubordination inqualifiable, le Patron, chapeau en bataille, furieux, tourne le dos et part en maugréant.
- Et puis... merde, Verdier se remet à son rapport. 
D'autorité, il saute dans la voiture qui va amener le courrier au centre de tri de la gare et se fait déposer à cet hôtel, devenu celui de la Ligne, le Grand Balcon. Verdier se reproche son impulsivité, d'avoir répondu grossièrement à M. Daurat qui lui ouvert les portes de la Ligne. Rozes, d'un poing vigoureux, frappe à la porte et entre dans la chambre sans attendre de réponse: 
- Tu es devenu fou ou quoi? Tu as répondu à M. Daurattt sur un ton inadmissible. Tu sais bien que le Patron vit dans la hantise de la presse, et, il n'a pas tout à fait tort, elle ne nous pas ménagés depuis le début de la Ligne. De toute façon, tort ou raison, M. Daurattt est M. Daurattt. Ma parole, je vais finir par croire ce qu'on raconte sur la Ligne à ton sujet. On raconte que depuis ton coup dur d'Alcoceber, tu n'es plus le même, que tu envoies promener tout le monde. Que tu ne supportes plus la moindre observation et, pire de tout, que ton pilotage est devenu brutal, que tu fonces comme un démon, que tu malmènes les moteurs, que tu deviens dangereux... le Patron devrait te mettre au repos forcé... Allez, viens on va dîner ensemble.
Au cours du repas, Verdier s'explique: 
- Oui, c'est vrai, je suis devenu irritable, mais je ne suis pas fou. Je suis au contraire clairvoyant, plus lucide. Où ça ne va pas, c'est dans mes rapports avec les uns et les autres, y compris avec les chefs d'escale. Tout à l'heure, avec M. Daurat, j'ai eu, tout à coup, une furieuse envie de lui rentrer dedans. 
- Bon Dieu. Il faut absolument te calmer. 
- Et ce n'est pas tout, quand je décolle, je ne suis pas plutôt en l'air que je voudrais être arrivé. Le lenteur du Breguet me met en rage. Je suis toujours plein gaz au risque de crever le moteur. Je me dispute avec tout, les nuages, la pluie, le vent, les sierras. Je ris de moi-même, je me calme et, je recommence. 
- Tu as vu un médecin? 
- Oui, sans rien dire à personne un spécialiste, à Malaga. Il m'a conseillé de me mettre au vert, à la campagne pour une durée de six mois à un an. C'est lui qui est fou. Le Patron ne me reprendra jamais. Et puis, pour cela, il faudrait que j'aille chez ma mère qui en veut à l'aviation d'avoir pris son fils. Elle m'irritera d'avantage. Il faut que je me soigne tout seul... 
- Je tâcherai de voir M. Daurattt, demain. Je passerai te prendre. Nous irons ensemble au terrain. Je te ferai connaître quelques nouveaux qui ont l'air d'avoir de l'étoffe. Ils arriveront, s'ils ne se tuent avant. 
Le lendemain Verdier et Rozes sont au terrain, à Montaudran, où M. Daurat est invisible, enfermé dans son bureau. A l'atelier de dégroupage, Une demi-douzaine de jeunes pilotes sont là, les mains dans la graisse ou la potasse. Un grand garçon maigre mais bien découplé aux yeux rieurs, Jean Mermoz, son camarade Guillaumet, Delaunay, Bayle, Dubourdieu, brossent, nettoient avec énergie... discutent et rient. Rozes est bien connu de tous. Ses histoires, ses colères plus ou moins simulées, son accent toulousain, l'estime que M. Daurat lui porte en font un personnage à part, hors série, comme Delrieu moins accessible. M. Daurat arrive. Tous se remettent au travail. Rozes et Verdier le saluent, un mot aimable pour Rozes, un grognement pour Verdier qui reste muet malgré la colère qui monte en lui. 
Un jour, deux jours passent, Verdier n'est pas inscrit au tableau de départ. Le troisième jour il est appelé au bureau dictatorial. 
- Monsieur Verdier, sous assurerez le courrier demain jusqu'à Malaga. Vous devez cette décision à M. Rozes. Moi, je n'apprécie pas votre orgueil, votre susceptibilité et votre façon inadmissible de  répondre. Je vous engage à redevenir celui que vous étiez à vos débuts ici. 
- M. Daurat, n'ai-je pas accompli fidèlement mon service. Ne me suis-je pas sorti correctement de situations critiques...  
- Il semble que cela vous monte à la tête, vous jouez les mauvais esprits... 
- Moi, un mauvais esprit... 
- Il suffit, Monsieur Verdier. j'ai autre chose à faire que de discuter avec mes pilotes... Je n'écouterai pas deux fois M. Rozes. Je vous renvoie à Malaga. C'est tout.
Tapie au fond de l'âme, la colère de Verdier reste à l'affût. Merci quand même, ami Rozes.

un couac qui coûtera cher, les robes de Mme maréchale Lyautey  
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Alicante. Six heures. le courrier va continuer sur Malaga et le Maroc. Quatre volumineux cartons. Origine: Paris. Expéditeurs: deux grands noms de la haute couture. Destinataire: Mme la maréchale Lyautey, Rabat. Les cartons contiennent des robes du soir pour la maréchale et les femmes de certains hauts fonctionnaires ou négociants français. 
Le Breguet décolle. Temps gris, pas de vent, visibilité réduite. Jusqu'à Motril, étape normale. Puis une immense nappe de brume. Tous les sommets au-dessus de mille mètres apparaissent. Jusqu'où descend cette brume? Verdier arrive à l'estime au-dessus de Malaga. Il tourne, identifie les hauteurs du Rompedizo. Il descend vers en direction de la mer. Deux cents mètres, cent, cinquante, trente, zéro à l'altimètre. Une crête blanche. L'eau est là. Cap plein ouest, lunettes relevées, le pilote attend la côte. Une bande marron clair, Verdier s'y accroche. Un gros bourg, un petit port coupant la bande de sable: Torremolinis. Virage dur la mer, retour au fil de sable conducteur. Les avancées du port de Malaoa. Un virage sur la mer, retour à la bande de sable. A nouveau, Torremolinos, l'aérodrome est là entre ces deux points. Il cherche le point de repère qui l'amènera au centre du terrain, une villa aux tons rose criard, aux volets vert tendre. Virage, re-virage, la villa rose bonbon est bien là. Verticale, rasant de la toiture, réduction moteur, la vitesse diminue, cap sur le terrain invisible, la petite route côtière, une masse sombre devant, l'aérodrome. Bien visé. Allumage coupé, manche au ventre... l'avion est brusquement freiné. Les fils de la ligne téléphonique qui borde le terrain se sont entortillées autour du moyeu de l'hélice. Déjà en perte de vitesse, l'avion s'enfonce, touche sol durement, le train d'atterrissage s'efface jusqu'aux coffrets contenant les robes de soirée qui se sont étalées. Verdier a vaincu la brume, a cassé l'avion et a  éclaté de rire sans retenue! "On l'avait  prévu, allaient dire les bons apôtres. Verdier n'est plus normal, le Patron aurait dû le stopper... " Quatre jours après, Verdier est prié dans les formes, de rejoindre Toulouse en passager. La note de Daurat ne fait allusion à rien mais on s'est aperçu qu'il est en retard sur la date de sa visite médicale semestrielle que chaque pilote du transport public doit passer au Bourget.

M. Daurat  élimine le pilote Verdier par le biais de la visite médicale 
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Contrairement à son habitude, M. Daurat n'est pas à l'arrivée du courrier. Les quelques pilotes se défilent. Seul Rozes est là.
-  Je te conduis à la gare. On mangera au buffet en attendant le départ du train pour Paris." Le repas commence. 
- Mais enfin qu'est-ce qui t'a pris de rire après avoir fauché le train d'atterrissage? Il n'y avait rien de drôle. Avec cette brume au sol, tu avais toutes les chances de te noyer ou de flamber. Ta chance insolente t'a sauvé une fois de plus la vie et tu te fous à rigoler comme un c..
- Pas comme un c.., dit Verdier, sombre. J'ai ri, je ne sais pas pourquoi ou plutôt si. Ça m'a paru subitement stupide d'avoir risqué ma peau pour trimbaler des fanfreluches... j'ai craqué... Tu crois que le Patron m'en veut vraiment? tu crois que les médecins du Bourget m'attendent pour me retirer ma licence. 
- Je le crois, dit Henri Rozes. Il a contacté le docteur Garseaux qui a certainement compris et te rendra service. 
- Un drôle de service: mettre sur le sable un pilote qui n'a aucune blessure, et auquel on n'a rien à reprocher sur le plan travail, rétorque Verdier agressif. Techniquement je suis irréprochable. Personne, et pas davantage le patron ne peut rien me reprocher. 
- C'est là que tu te trompes. Le reproche qu'on a à te faire, c'est que tu as besoin d'un repos assez long, trois, six mois ou peut-être un an et sans salaire. Un jour viendra où tout cela se règlera selon d'autres méthodes. Pour le moment, nous sommes considérés comme des aventuriers qui courent tous les risques pour satisfaire leur passion de l'aviation, et ce sans être couverts de rien. Quelle est la compagnie d'assurances qui voudrait nous garantir personnellement ou garantir sérieusement la compagnie? Aucune, ou alors elle exigerait des primes énormes, impossible à payer. 
- Dans deux jours, je serai de retour et demanderai une entrevue au Patron. 
- Je t'accompagnerai au terrain, dit Rozes. Delrieu sera peut-être rentré, on discutera de tout ça avec lui. Quant à influencer le Patron, je doute qu'il puisse faire plus que moi.



fin Rozes écrit à Verdier, l'affrontement avec le Patron Didier Daurat 
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A son retour de Paris, quatre heures trente à la gare de Toulouse, Verdier se rend à l'hôtel Terminus. Il demande une chambre, décline son identité. Le portier de nuit lui remet alors une lettre signée Rozes. 
"Cher Gilbert, 
Au moment où tu liras ce mot, je serai à Alicante ou Malaga, en convoyage d'un avion pour Casa. 
Le Patron a exigé que ce soit moi qui effectue ce travail alors que d'autres pouvaient parfaitement le faire. Je pense qu'il a agit ainsi pour éviter ma présence à tes côtés lorsque tu vas le voir. 
Il m'a paru maussade et un peu gêné d'avoir à te liquider alors qu'il sait mieux que quiconque, qu'en dehors de tes éclats de rire malencontreux après l'accident de Malaga, et de ta réponse impertinente à Montaudran, rien ne peut t'être reproché. 
Mon avis est qu'on prend à ton égard une mesure préventive dans la crainte de ce qui pourrait t'arriver de grave, un jour ou l'autre. 
Devant cela, je te conseille le calme. Te fâcher n'arrangerait rien et rendrait, au contraire, ton retour à la Ligne impossible. 
Après mûre réflexion, je crois que le mieux est de prendre ce désagrément avec sang-froid et d'aller te reposer chez toi puisque, de toute façon, tu n'as pris aucun congé depuis ton entrée à la Compagnie. Pendant ce temps, nous, tes amis qui te connaissons bien, nous tâcherons d'arranger les choses dès que ton état permettra qu'on te rende ta licence. 
Oui, tout doit s'arranger. Il faut que ça s'arrange parce qu'au fond le Patron, malgré son air dur, t'apprécie et t'aime bien. 
Ne broie pas trop de noir et attends mon retour. 
Avec ma fidèle amitié.                                                      
Henri Rozes.   

C'est l'arrêt brutal, comment s'expliquer avec M. Daurat? Rentrer dans le rang, faire comme les autres. Un bon mois de repos par an, plus quelques jours d'indisponibilité par ci, par là. Rien de tel pour durer. Ce qu'il a fait jusqu'à présent est stupide. Même un colosse comme Rozes ne serait pas resté une vingtaine de mois sur la Ligne, à piloter presque en permanence et sans prendre une semaine de repos de temps à autre. Verdier, animé de pensées contradictoires, va voir M. Daurat, 
La "porte directoriale du château" s'ouvre, M. Daurat invitant le jeune homme à rentrer et va le licencier. Il va licencier le petit Verdier, ce petit Verdier qui, sur son ordre, s'est lancé tant de fois à l'assaut du mauvais temps, a triomphé des remous, de la brume, du feu et des pannes nombreuses d'un matériel fourbu. Et aussitôt: 
- Alors, cette visite? 
- Cette visite, riposte Verdier, rendu brutalement à sa hargne, vous en connaissiez le résultat avant que je ne la passe car, d'entrée, le docteur Garseaux m'a posé des questions qui prouvaient sa connaissance de l'affaire d'Alcoceber. Après on m'a tourné et retourné avant de me dire que mes réflexes étaient perturbés, que j'avais besoin de repos, que je devais me représenter dans six mois et que, pour le moment, ma licence ne pouvait être prorogée. 
Et dans un flot de paroles, Verdier rappelle qu'en deux ans, pas un des courriers qui lui ont été confiés n'a été perdu. Le courrier devait passer, j'ai obéi aveuglément à vos consignes... 
- M. Verdier, vous êtes fatigué, très fatigué, surmené. Je n'avais pas d'autre possibilité que la visite médicale pour vous stopper car, apparemment vous êtes intact. Comme je n'ai pas les moyens de vous payer six mois ou un an de repos, comme vous n'êtes pas mécanicien et que vous n'accepterez jamais un emploi subalterne dans un bureau, il ne me reste plus qu'à vous renvoyer chez vous. Je fais mon devoir vis-à-vis de la Compagnie... J'ai reconnu publiquement vos qualités manoeuvrières, votre sang froid, votre détermination. Je suis prêt à le reconnaître par écrit mais ne m'en demandez pas plus. 
- Alors, ajoutez au certificat que vous vous engagez à me reprendre dès que ma licence me sera rendue. 
- Ca je ne peux pas le faire. Je n'ai pas le droit d'engager la Compagnie à reprendre un pilote renvoyé, même pour un motif honorable... Maintenant si vous voulez faire un procès à la Compagnie, cela vous regarde. 
- Déchoir du rêve dans la procédure! Non, M. Daurat. 
- Le jour où votre licence vous sera rendue, revenez me voir. Je verrai. 
- J'aime la Ligne, je voudrais y rester, dit Verdier têtu. 
- Rester pour quoi faire. Vous êtes un bon pilote mais je pense que cette Ligne est trop dure pour vous. J'aurai dû m'en apercevoir avant. Lorsqu'on a démonté votre moteur d'Alcoceber, on n'a rien trouvé qui motive la baisse de régime que vous avez invoquée. J'en ai conclu que vous aviez, à bout de forces, cherché à vous poser n'importe où. Malheureusement vous avez choisi une plage effroyable.
Comme piqué par un serpent, Gilbert Verdier a un brusque recul. Il jette sur M. Daurat un regard chargé d'une dangereuse lueur. 
- Vous osez dire ça? Toutes les plages de Sitges à Valence étaient balayées par d'énormes vagues déferlantes. Sans la faille de terre prolongeant cette plage et dans laquelle je me suis encastré, j'étais perdu, ce dont vous vous foutez, sans doute, mais le courrier aussi, ce qui vous importe davantage. Or, il a été sauvé et l'avion aussi. Quant à prétendre qu'après trois jours de pluie, d'embruns et de vent furieux le moteur, fiché en terre comme une flèche, pouvait indiquer quoi que ce soit sur son état de marche, ce n'est qu'un mauvais prétexte auquel personne de sensé peut croire. Pour moi, venant de vous, M. Daurat, c'est le pire.
Gilbert Verdier, furieux, a envie de se jeter sur M. Daurat. Frapper M. Daurat.. Oh! non. Le jeune pilote recule... se jette sur la porte, l'ouvre avec fracas et s'enfuit. Il file vers la station de tram. Il revient, il embrasse les hangars, le terrain, d'un dernier regard embué de larmes de rage, il hurle: 
- Je reviendrai, monsieur Daurat, je jure que je reviendrai.     






Gilbert Verdier ne reviendra pas. Après son accident Gilbert (le nom qu'il a adopté pour le héros de son livre) a eu droit à un certificat élogieux, mais sa licence fut supprimée pour raisons de santé. Ne se voyant pas vivre la vie d'un petit commerçant province, il part pour Paris, où un ami lui procure un emploi d'inspecteur dans une compagnie d'assurances. Mais il veut voler, il fera "le cirque", c'est à dire qu'il donnera des baptêmes de l'air sur de vieux coucous. Au bout de trois ans, après une visite médicale, sa licence de transport public est à nouveau validée. Pendant deux ans encore, il acceptera tout ce qui se présentera: baptême de l'air, meetings, entraînement des pilotes de réserve, convoyages, et essais d'avion pour de petits constructeurs.  Passionné de l'aventure, il ira en Ethiopie où le Négus veut ouvrir une école d'aviation, il sera nommé à la direction de la base de Barcelone où il sera baptisé "V...., le rouge", résistant, la Gestapo, Fresnes, Buchenwald, Dora, il formera des pilotes dans la lutte pour la création d'un état hébreu en vue de la reconquête de la Palestine.  Pour cela voir: LA PASSION DE L'AVENTURE par Pierre Bourlier  





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