OU EST LA GLOIRE ?
Pendant mes recherches sur
les débuts du développement des services commerciaux
aériens en Amérique du Sud
(pour la préparation d'un livre a paraître,
"Airlines of Latin America Since 1919"),
j'ai apporté une attention particulière à la question
de savoir qui fut le premier dans chaque pays. Cette
préoccupation fût primordiale car le sujet semble
dépasser tous les autres en importance aux yeux de
nombreux lecteurs, sans omettre les
chroniqueurs, et c'est certainement un sujet
sensible parmi les Compagnies elles-mêmes.
Graduellement, j'ai senti un certain dénominateur
commun, dans beaucoup des pays concernés, notamment au
Brésil, Argentine, Colombie, Chili et Venezuela,...
sans citer le Pérou, l'Uruguay et le Paraguay, les
pionniers du début furent français ou d'influence
française. Ainsi, la première ligne aérienne régulière
sur le continent débute en 1919 en Guyane française,
suivie de près par une Compagnie française en Colombie
(laquelle cependant ne fut pas
aidée et fut éclipsée par le S.C.A.D.T.A.
SCADTA le nom d'Avianca de 1919 à 1942),
pendant qu'en Argentine, dans le début des années 20
une Compagnie Anglo-Française fut établie au-dessus du
Rio de la Plata.
J'ai aussi découvert que, dans les premiers temps, la
plupart des terrains dans quelques pays,
particulièrement le Brésil, furent construits et
équipés par les Français, bien que ceci ne soit pas
pour sous-estimer l'apport fait par
NYRBA (New York,
Rio & Buenos Aires
Line) qui construisit les bases
d'hydravion le long, de la côte Est ou par
PANAGRA (Pan American
Grace Airways) qui construisit
les terrains d'atterrissage et les Aéroports le long
de la côte Ouest.
En rappelant l'histoire romantique et aventureuse du
vol commercial en Amérique du Sud, en reconnaissant.
le développement des routes à travers le développement
des avions, et les premiers vols épiques des Aviateurs
intrépides, le défrichage fait par les gens du sol est
quelquefois négligé.
Dans les années 20, en Amérique du Sud déclarer qu'il
n'y avait pas de terrains, ne serait pas seulement une
petite exagération. Quand les Français, aussi bien que
les autres, cherchèrent à étendre les routes, ils
eurent d'abord à défricher la terre, construire des
bandes d'atterrissage, installer l'électricité et la
radio, monter des hangars, engager du personnel et
généralement fournir tout ce qui est maintenant
couvert par ce terme magique "infrastructure".
L'arrivée de Marcel
BOUILLOUX-LAFONT
TOP
L'Aéropostale fut
l'expansion de la croissance de la ligne originelle
Latécoère, la création de la fameuse société de
construction d'avions français de l'industriel
français du même nom. Elle a été achetée par un
industriel français, Marcel Bouilloux-Lafont,
propriétaire d'un empire commercial considérable
composé d'une ligne de chemin le fer, de ports, de
Compagnies de construction au Brésil et ailleurs et
d'une Banque française.
Bouilloux-Lafont lança ses talents d'organisateur et
de brasseur d'affaires à l'expansion de la ligne
aérienne sur toute l'Amérique du Sud, pas seulement
pour soutenir ses nombreux intérêts commerciaux, mais
aussi pour la gloire de la France. Quand il lui fut
demandé d'acheter la ligne de Pierre Latécoère aigri,
qui avait été incapable de pénétrer le labyrinthe des
négociations style sud-américaines pour la poste et
les droits de trafic, Bouilloux-Lafont est réputé
avoir dit : "Je n'ai jamais investi un sou dans
l'aviation, mais vous êtes Français, je suis Français,
toutes mes forces et mon énergie sont à votre
disposition" (réf. Jean
Fleury "La Ligne".)
Derrière ce féroce patriotisme, semblait être un fort
courant caché d'esprit compétitif contre les intérêts
de l'aviation commerciale allemande, vigoureusement
promue par le Condor Syndikat of Hamburg.
En 1927, l'accord franco-allemand n'était pas ce qu'il
est aujourd'hui. Dix ans seulement auparavant, les
deux nations s'étaient entretuées à Verdun au rythme
de plusieurs milliers d'hommes chaque jour, et les
Français occupaient la, vallée du. Rhin pour éviter
une répétition éventuelle de cette aventure. Les
souvenirs de l'image sanglante et de1'angoisse des
tranchées horribles de la première guerre mondiale
s'effaçaient difficilement.
Le départ de Marcel
BOUILLOUX-LAFONT TOP
Ayant cela en mémoire, la
déroute de l'Aéropostale en 1931 m'a toujours
frappé comme un impair. Auparavant, j'avais accepté la
vague version officielle française que
Bouilloux-Lafont s'était mis en "banqueroute" en
outrepassant ses ressources dans ses propres intérêts
personnels, et que le Gouvernement français avait
retiré ses substantielles subventions postales pour
des soi-disant détournement de fonds ou pour le, dire
clairement une escroquerie.
Mais au cours de mes récentes recherches parmi
lesquelles des interviews avec de nombreux vieux
routiers au Brésil, en Argentine et ailleurs, il me
fut répété que le déroulement des événements fut
exactement le contraire : que le Gouvernement français
avait retiré la subvention et que l'Aéropostale avait,
en conséquence directe, été forcée à la liquidation
judiciaire. Incidemment, la dépendance importante à la
subvention n'était pas unique . Dans les premières
années du développement des lignes aériennes, tous les
pays, sans exception, ont soutenu leurs lignes par
d'importants subsides, soit directement, soit
indirectement, au moyen de rétributions postales. Sans
subvention, aucune ligne ne pouvait survivre. (les subventions du
gouvernement français aux compagnies aériennes)
L'impression générale qui me
fut suggérée auparavant fut que Bouilloux-Lafont était
une sorte de requin qui avait utilisé des fonds du
Gouvernement français pour renforcer son empire
industriel ; que l'Aéropostale était un édifice
inconsistant cachant une structure malsaine et que le
Gouvernement français, et plus tard Air France, firent
à chacun une faveur en ramassant -les débris.
Quand un vétéran brésilien me raconta (en image, et
presque trop forte pour la vérité de mon interview)
qu'alors que le Gouvernement allemand était totalement
derrière le Condor Syndikat, le Gouvernement français
était totalement contre l'Aéropostale et la détruisit,
j'ai décidé d'aller plus loin dans mon
investigation.
Cette déclaration, même en supposant une exagération
possible, fut le début, pour faire le point, du désir
de suivre une ligne de recherche, renforcé dans mon
subconscient par plusieurs témoignages non sollicités
sur le grand travail fait par Bouilloux-Lafont.
Beaucoup furent exprimés dans les correspondances des
hommes ayant travaillé avec lui, d'autres ont été
notés au cours d'interviews. Mais il semblerait que
les pionniers comme les prophètes, ne sont pas honorés
dans leur propre pays.
En premier, j'ai pris connaissance de chaque référence
que j'ai pu trouver sur le sujet de l'odyssée de
l'Aéropostale (voir la Bibliographie) sur une
catastrophe commerciale d'une telle envergure car
l'Aéropostale était en 1930 la plus longue ligne
aérienne du Monde. Je pensais découvrir des rapports
de défauts de respect d'horaires, de négligence de
mesures de sécurité, d'infrastructure déficiente, de
sous-estimation, de lourdes dettes vis-à-vis du
Gouvernement. Je n'ai rien trouvé de cela: en fait,
tout à fait à l'inverse. Aux standards du moment,
l'Aéropostale était une ligne modèle. Elle était menée
selon de sévères niveaux de sécurité, tenait presque
des horaires parfaits ; elle avait investi
considérablement en terrains d'aviation, installations
au sol et communications radio; elle modernisait ses
avions et ses bateaux (utilisés sur le segment Dakar
Natal) avec toute la rapidité possible.
Particulièrement, les nouveaux Latécoère 28 qui furent
lancés en service tandis que de nouveaux bateaux
avaient été commandés pour remplacer ceux loués à la
Marine française et elle avait augmenté son capital de
150 % en moins de trois ans.
Je tombais alors sur une référence dans ce grand
rapport historique, "The Struggles for Airlines
in Latin America" de H. Burden. Ce travail
spécifique fut publié par le Comité des Etats-Unis
pour les relations Extérieures et de ce fait portait
le sceau d'approbation du Département d'Etat
Américain. Dans une conclusion sur la chute de
l'Aéropostale, il est déclaré : "La Compagnie
commença à éprouver des difficultés financières qui
furent attribuées aux "rapports parlementaires
français sur l'expansion démesurée de ses opérations
en Amérique du Sud. En 1931, la subvention du
Gouvernement fut supprimée en résultat d'une
intrigue politique, dans laquelle la Direction fût
mêlée et la Compagnie tomba en "banqueroute". A
cause de la crise, le service sur Ascencion
fut interrompu, les opérations de l'Aéropostale
argentine furent reprises par les Postes argentines
et les plans d'expansion furent abandonnés".
Je me hâte d'ajouter que
les astérisques sont de mon fait, bien que le
témoignage n'en ait pas besoin; c'est assez
dramatique, sans autre fioriture. S'appuyant sur le
fait que l'Aéropostale était déjà la plus grande ligne
en Amérique du Sud, que pouvaient être alors les plans
d'expansion qui furent abandonnés.
REALISATIONS TOP
Regardons au bilan de
Bouilloux-Lafont en Amérique du Sud depuis le moment
où il acheta la Compagnie Générale d'Entreprises
Aéronautiques (C.G.E.A)
à Pierre Latécoère le 11 avril 1927 jusqu'à la
déclaration de liquidation judiciaire le 31
mars 1931.
A ) Routes
aériennes
Le 31 mars 1931 l'Aéropostale opérait vers le Brésil,
le Chili, le Pérou, le Paraguay, 1'Uruguay et la
Bolivie en liaison directe avec la France par l
'Afrique de l'Ouest. Son associée Aeroposta Argentina
volait vers la pointe sud du continent et son associé
Venezuela avait juste ouvert un service vers Trinidad.
Des projets étaient en cours pour relier Natal au
Brésil avec le Venezuela par la Guyane française pour
étendre la ligne de Trinidad vers les
Caraïbes et
de plus, fournir un service direct vers Lima à partir
du bassin de l'Amazone ; le réseau était supporté par
les revenus directs, par les paiements de la poste et
la subvention, et aussi par les contrats postaux
signés par Bouilloux-Lafont avec tous les pays Sud-Américains
vers lesquels il opérait.
Comparé à, cette imposante liste de neuf pays, les
Allemands n'opéraient seulement que vers le Brésil
bien que des Compagnies assistées par les Allemands
aient été montées en Bolivie et en Colombie. La Pan
American avait juste acheté NYRBA, en septembre 1930.
et ne faisait que commencer à établir ses positions de
Compagnie dominante sur le Continent Sud Américain.
Les Anglais, les Hollandais et les autres nations
aéronautiques ne semblaient pas concernées par ces
affaires Sud-Américaines.
B ) Infrastructure.
Presque sans exception l'Aéropostale construisit et
équipa tous les terrains d'aviation qu'elle utilisa en
Amérique du Sud. La plupart d'entre eux étaient
équipés de radio et de balisage lumineux. Le vol de
nuit était une opération normale.
Une telle infrastructure représentait un
investissement considérable était en opposition
directe avec le maigre développement pratiqué les
autres lignes françaises lointaines, comme Air-Orient,
qui employaient les facilités des nations étrangères.
Peu de progrès avait été fait dans le vaste domaine
français d'Afrique.
Une étude sur la chronologie des subventions
françaises, selon un rapport public, soupçonne
profondément que les fonds pour ces investissements de
Bouilloux-Lafont provenaient des ressources de la
Compagnie, au moins au départ, et il y a un doute des
règlements des subventions toujours en retard sur les
investissements, et ils étaient chaque année
dépendants du Budget additionnel du Gouvernement
français, lequel, en cette période avait l'habitude
désespérante de s'effondrer tous les quelques mois.
C ) Personnel.
Les Navigants de l'Aéropostale les gens du sol et de
l'Administration maintinrent une tradition lancée par
Latécoère en 1918. Parmi les pilotes, des noms fameux
comme Mermoz, Saint-Exupéry, Guillaumet, Vachet,
Négrin, Roig et Hamm.
L'Esprit de corps pratiqué dans l'Aéropostale était
inégalé par les autres lignes de son époque, et est
encore présent chez les rares survivants de ces jours.
Un tel idéal doit avoir reflété le dévouement et les
qualités de leader de Bouilloux-Lafont lui-même.
Les hommes ne marchent pas pour un mauvais leader et
certainement pas avec l'enthousiasme qui fut toujours
déployé par l'équipe de l'Aéropostale.
C'est ainsi que le fameux Antoine de Saint-Exupéry
renommé pour ses récits romantiques de vols aventureux
avec l'Aéropostale n'était pas mentionné dans un
hommage à ses pilotes dans le rapport de 1930 de la
Compagnie. Vraiment la plume était plus lourde que le
serre-tête.
D ) Rivalité
franco-allemande.
Cependant, la remarque de William Burden à la
sur-expansion de ses opérations sud-américaines, était
au moins basée sur des réalisations réelles de
l'Aéropostale. Mais pour quelle autre raison le
Gouvernement français versait-il une subvention? Ainsi
(au moins jusqu'en 1931) n'était-il pas dans l'intérêt
français, ainsi que toutes les autres nations
européennes, d'étendre son influence à travers le
monde commercial par tous les moyens à sa disposition,
incluant la création d'un réseau aérien?
Cette attitude fut certainement primordiale en France
jusqu'en 1931 et fût adopté à nouveau aussitôt après
l'éviction de Bouilloux-Lafont ainsi que le paragraphe
suivant de l'Aircraft Year Book de 1932 le
confirme:
" En 1931, quand la Chambre des Députés français
qui avait soutenu l'opération pendant des années,
refusa de garantir la subvention, annuelle de
3.000.000 de dollars à la Compagnie. Impressionnée
par l'importance de cette Compagnie comme lien entre
la France et l'Amérique du Sud et comme aide au
commerce français, plus tard la Chambre altéra ses
vues pour permettre au Gouvernement français de
prendre des intérêts dans la Compagnie ".
Apparemment, il était très
bon de supporter l'Aéropostale après, que
Bouilloux-Lafont, un grand patriote français, ait été
éliminé du chemin. Mais le complot s'épaissit dans un
rapport du British Air Ministry de
1931:
"La Compagnie Zeppelin, la Lufthansa, le Condor
Syndikat et la compagnie Aéropostale ont pris part à
des délibérations franco-allemandes pour envisager
la possibilité de coordonner les liaisons postales
aériennes françaises et allemandes existantes vers
l'Amérique du Sud afin de réduire les dépenses et
d'améliorer les services par l'élimination de la
compétition".
Seulement sur le cadavre
de Bouilloux-Lafont, une telle collaboration pouvait
être initiée en ce temps-là. Il avait ressenti sa
mission comme une promotion de l'aviation commerciale
française à travers l'Amérique du Sud pour supporter
les intérêts français d'affaires, sans oublier les
siens. A ses yeux, l'idée de coopération avec la
Compagnie Zeppelin approchait presque de la haute
trahison (Création
d'une «communauté d'intérêts» franco-allemande
pour le trafic aérien), la France étant représentée par Latécoère!
). Il ne doit pas seulement avoir vu avec angoisse le
vol d'essai fait par le Graf Zeppelin vers le Brésil
en mai 1930, cela doit avoir éveille des échos
inconfortables dans sa mémoire, parce que dans la
décade ayant suivi la fin de la première Guerre
mondiale, les Zeppelins symbolisaient encore la mort
et la destruction de populations civiles, ce qui était
le rôle nauséabond qu'ils avaient été appelés à jouer
en temps de guerre.
Il doit, cependant, avoir été profondément choqué,
quand quelque après son éviction du siège de contrôle
de l'Aéropostale, le fameux dirigeable fut le premier
des trois vols prévus entre l'Allemagne et le Brésil
pendant l'été 1931, suivi par neuf vols en 1932. Et la
désillusion et le désespoir doivent avoir suivi quand
le "Graf Zeppelin" et son nouveau frère plus grand l'
"Hindenburg" commencèrent à montrer la swatiska
nazie sur leurs dérives pendant le milieu des
années 30.
Car cela fut une triste coïncidence qu'Adolf Hitler
prit le pouvoir à l'époque et la formation d'Air
France. Pendant que les chefs de la nouvelle aviation
nazie jubilaient de la diffusion du potentiel et de
l'influence allemande en Amérique du Sud par ses
avions et ses dirigeables, les Français s'engageaient
dans une politique de retrait.
Et 15 ans plus tard, seulement après la 2ème Guerre
mondiale, le réseau français en Amérique du Sud
atteignit à peine la stature de l'Aéropostale de 1930.
La CONNEXION PORTUGAISE TOP
La Vision de Marcel
Bouilloux-Lafont ne fut pas limitée à l'obsession
aveugle de compétition avec les Allemands. Homme
universel dans le vrai sens du terme, il réalisa que,
lorsque les autres lignes françaises s'étaient
concentrées sur l'Europe et sur une ligne vers la
l'Indochine (parallèle et utilisant les moyens
d'assistance les lignes anglaises et hollandaises vers
l'Orient) peu de progrès avaient été faits pour
développer un réseau vers les colonies françaises en
Afrique et aucune initiative pratique prise en
direction de l'Amérique du Nord. Pour avancer ces deux
projets, Bouilloux-Lafont enleva ce qui peut être
seulement décrit comme un coup de maître. Il forma, en
association avec le constructeur de moteurs français
Gnôme et Rhône, la compagnie portugaise d'aviation
avec un contrat ratifié par le Gouvernement portugais
le 30 septembre 1930.
En effet, Bouilloux-Lafont entrepris de fournir un
service aérien commercial entre le Portugal et ses
colonies. En échange, l'Aéropostale obtint les droits
exclusifs d'atterrissage sur tous les territoires
portugais. Le concept entier, revu en face des idées
reçues en politique aéronautique et en limitation
opérationnelle de l'époque vous coupe le souffle.
Premièrement, il consolidait la route du Sud du côté
africain avec un dégagement de Dakar aux Iles du Cap
Vert qui étaient aussi plus près de Belem et de
Cayenne. Deuxièmement les colonies portugaises en
Afrique étaient adjacentes, et quelques fois
convenablement accessibles depuis les territoires
français et l'une d'entre elles. Mozambique était un
point d'escale essentiel vers Madagascar.
Troisièmement les Açores étaient absolument vitales
pour un service aérien vers l'Amérique du Nord et au
moins une décade s'écoula avant qu'un tel "point
d'escale" aussi satisfaisant pu être mis à
disposition, et deux décades avant que les Iles soient
utilisées pour le trafic des services aériens
transatlantiques.
Les implications stratégiques de l'opération de
Bouilloux-Lafont ne furent pas perdues pour Juan
Trippe qui avaient des ambitions transatlantiques pour
Pan American Airways, ni pour Georges Woods
Humphrey de l'Imperial Airways.
Dans un exposé présenté au
Civil Aeronautics Board (Docket No 855),
Pan American déclara:
"Les études pour les opérations de la route Atlantique
centrale furent menacées plus tard dans l'année, quand
il fut connu que l'Aéropostale avait acquis la
concession exclusive d'atterrissage dans les Açores.
Des représentants officiels (dont André
Bouilloux-Lafont, administrateur délégué de la CGA)
de l'Aéropostale vinrent à New York à l'automne
1930 pour discuter les termes d'un accord où il
pourrait permettre à une ligne aérienne américaine
d'utiliser cette concession. Peu de temps après,
cependant, l'Aéropostale tombe en difficultés
financières et le résultat fut qu'en 1933, sa
concession fut annulée par le Gouvernement portugais
pour non-utilisation".
Le cerveau agissant:
Ainsi, Bouilloux-Lafont,
avait la clef de la route aérienne de l'Atlantique
Nord, emphatiquement et pourtant littéralement
vraie, dans sa poche, disant à Mermoz : "Quand
vous aurez établi le service aérien postal au-dessus
de l'Atlantique Sud, vous tournerez votre attention
sur !'Atlantique Nord et nous passerons par-dessus
tous nos concurrents". (Noté
dans "La Ligne" par J.G. Fleury - 1939).
Los nouveaux hydravions étaient sur les planches à
dessin chez Latécoère et chez C.A.M.S. Le décor était
réglé pour que la France, être la première sur la voie
aérienne au-dessus de l'Atlantique Nord. Mermoz et ses
collègues expérimentés avaient pu défriché une route
de Paris à New York au milieu des années 30. Mais le
Gouvernement français négligea les droits précieux
d'atterrissage aux Açores, oubliant de mentionner les
priorités garanties à Lisbonne, abandon par défaut, et
ainsi, ce furent les Allemands, les Britanniques et
les Américains qui firent les premiers pas. En 1939,
Pan American ouvrit le premier service aérien Nord
Atlantique avec escales aux Açores et à Lisbonne avec
destination Marseille. L'honneur aurait pu revenir
aisément aux Français, si Bouilloux-Lafont avait eu
les mains libres.
Le BLOCAGE TOP
D'après le Code Napoléon
toute activité commerciale qui pourrait être
interprétée comme étant d'intérêt national ou ayant
trait à la Sécurité nationale où la stratégie
militaire était soumise à une loi communément appelée
" Blocage " par une participation obligatoire,
normalement 33% ou 50% pouvant être utilisée pour
contrôler la politique de la Compagnie, jusqu'au veto
si nécessaire. Il y a une forte présomption que
Bouilloux-Lafont fut victime d'une forme de blocage
bien que la façon d'intervenir et les motifs évoqués
ou avancés n'étaient pas nécessairement ceux auxquels
Napoléon avait pense.
Dans un rapport du. Ministère de I'Air britannique sur
1'aviation civile, publié en 1929, il y a une étude
fascinante d'un plan français de restructuration des
services aériens pour réduire le nombre des Compagnies
de 6 à 3 et introduisant le 33 % traditionnel contrôle
d'état.
Il devait y avoir trois Compagnies: Est, Continental
et Ouest...
Les deux premières reprenaient les quatre Compagnies
autres que l'Aéropostale et son associée en Afrique.
Le Gouvernement français devait avoir 33 % du capital
dans chacune et une subvention substantielle devait
être payée selon un contrat durant 30 ans.
Mais il y avait une différence dans la description des
termes du système occidental.
Pour commencer, c'était un peu plus compliqué et
c'était subdivisé entre des sections Amérique du Sud
et Afrique.
Le rapport de " l'Air Ministry " indiquait :
"Le capital devait, être augmenté à 60.000.000 de
francs, partagé également entre L'Etat et chacune
des deux Compagnies à la ratification de cet accord.
Dans les deux cas, les contrats devaient être de 20
ans".
Significativement il n'y avait pas d'indication d'une
quelconque subvention. L'idée est que celle-ci serait
mentionnée que s'il y avait ratification de l'accord.
En d'autres termes, un pistolet était braqué sur la
tête de Bouilloux-Lafont.
Le propriétaire de l'Aéropostale eut bien raison de se
sentir volé. Il avait construit la ligne avec ses
capitaux personnels, il avait conclu les accords avec
les Gouvernements étrangers qui lui donnaient une
virtuelle main mise sur l'Amérique latine, la moitié
de, l'Afrique et les deux océans (Sud et
Central).
Il avait fourni sa propre infrastructure (c'était la
seule Compagnie française à le faire); les paiements
de ses subventions étaient sujets à révision annuelle,
et étaient inévitablement payés avec retard; une
révolution brésilienne arrivant juste sur les talons
du Krach de Wall Street en 1929 avait rendu la vie
difficile aux sources d'investissement dans son propre
empire industriel.
Il avait fait toutes ces choses en 3 ans et on lui
demandait maintenant de donner la moitié de l'affaire
à une Société sous contrôle mal défini du
Gouvernement.
Il fut cependant heureux pour Bouilloux-Lafont qu'une
partie de ses biens soit propriété de la Compagnie
sœur, et non pas à la ligne en opération,
l'Aéropostale.
Les intérêts concurrents français déclarèrent que
c'était le moyen par lequel il avait détourné les
paiements de la subvention pour son propre
développement. Mais pour ceux qui connaissent la
manière de faire évoluer les choses en Amérique latine
témoigneront de la nécessité de créer là-bas des
Compagnies associées pour accomplir les opérations
légales nécessaires. Pan American eut à le faire, et
ainsi fit Lufthansa. C'était la même chose pour
l'Aéropostale. Seulement par récupération d'une partie
de ses investissements par la vente de ses biens
propres, Bouilloux-Lafont fut capable de rembourser au
moins une partie des capitaux qui avaient été
investies dans l'Aéropostale.
Marcel Bouilloux-Lafont aurait aussi bien pu adapter
aisément son manteau à son habit, en dépensant
uniquement ce qui était arithmétiquement justiciable
des recettes de la subvention. La base des paiements
était calculée selon le montant des kilomètres postes
accomplis en vol. C'était la même base pour toutes les
lignes françaises. La différence était cependant, que
Bouilloux-Lafont devait acheter ses avions, alors que
les autres Compagnies étaient étroitement associées
avec des constructeurs d'avions: par exemple, Farman
avec S.G.T.A.
(Société Générale
de Transport Aérien, Lignes
Aériennes Farman en 1919),
Potez avec
C.I.D.N.A. (Compagnie
Internationale de Navigation
Aérienne).
Il construisit ses propres terrains d'aviation, il eut
à le faire, sinon il n'y aurait pas eu de ligne
française d'Amérique du Sud. Les autres Compagnies
jouissaient de privilèges, en utilisant les Aéroports
d'Etat des capitales européennes, et les bases
aériennes sud asiatiques fournies principalement par
les Britanniques.
Il aurait aussi bien pu mettre aisément son argent
dans une Banque suisse.
le TREMPLIN POUR L'EXPENSION TOP
En dépit de cela, que fit-il
de
l'argent de l'Aéropostale ? Selon le rapport annuel de
1929/1930, la Compagnie avait 110 avions en service,
avec 90 en réserve. En ce temps, alors que les avions
duraient seulement quelques années, à cause de
leur construction fragile, la casse était fréquente,
un inventaire de 170 moteurs avec 250 en réserve
démontre que l'Aéropostale n'opérait pas avec des
bouts de ficelle proverbiaux, comme cela était avancé
par ses détracteurs. Cette liste n'incluait pas les
avions en commande, comprenant des Laté 28
supplémentaires, déclarés être l'avion de ligne le
plus rapide du monde, à cette époque, et détenteurs de
plusieurs records du monde.
L'Aéropostale opérait sur 46 terrains dans 11 pays ou
continents sur ses routes sud-américaines. Sur
pratiquement tous les terrains, la Compagnie avait
fourni ses propres hangars, équipement radio et
balisage électrique au sol. La plupart de ces
terrains, incluant la base mère Toulouse, tous ceux
d'Espagne, d'Uruguay et la plupart de ceux du Brésil
plus l'Aéroport de Santiago de Chili était la
propriété de l'Aéropostale.
L'Aéropostale avait assure des contrats vitaux sur le
continent sud-américain. Merci au talent de
négociateur et à la détermination de Bouilloux-Lafont
qui réussit où d'autres avaient failli.
Tous ces biens représentant les résultats tangibles
des efforts concentrés sur trois années d'action bien
remplies, étaient prêts à porter leurs fruits au
moment où la crise éclata en 1931. Immédiatement,
avant le jour du destin du 31 mars, le calendrier des
événements de l'Aéropostale avait été surprenant
:
- 2 Avril 1930, extension de la route de Patagonie
vers Rio Gallegos.
- 12 Mai, le vol épique transatlantique de
Mermoz.
- 11 juillet, décret du Gouvernement brésilien
permettant d'utiliser le nom Aéropostale au
Brésil.
- 2 Octobre, le service Chili-Pérou-Bolivie fut
inauguré.
- en 1930 (date inconnue), nouveaux bateaux.
- 9 Janvier 1931, service vers Trinidad (décrit par un
reporter comme le potentiel "Le Bourget" dans les
Caraïbes).
Et, finalement
préparations pour servir Lima et pour joindre Natal à
Trinidad par Bélem et Cayenne.
Surpassant ces réalisations considérables, il y avait
le projet du service Nord Atlantique, minutieusement
préparé par l'accord avisé et visionnaire de
Bouillon-Lafont avec le Portugal, en plus, les
instructions données à Mermoz pour préparer les vols
d'étude sur l'Amérique du Nord et des instructions
données à Vachet pour consolider "Les opérations au
Vénézuéla et dans les Caraïbes".
L'effort avait commencé par déterminer les
possibilités pratiques de préparer une base aux
Açores. Les Iles étaient notoirement de conditions
météorologiques instables, les brouillards imprévus
apparaissaient souvent sans avertissements. Malgré la
forte houle atlantique il était possible d'ancrer les
hydravions mais les ingénieurs de l'Aéropostale
étudiaient déjà sur les îles les endroits possibles
d'atterrissage qui furent plus tard transformés en
terrains d'aviation) et une recommandation visionnaire
avait été faite pour construire une digue brise lame
de 3 miles de longueur entre deux des Iles pour
fournir une bande d'eau calme pour les
hydravions.
Il n'est pas étonnant que Juan Trippe de Pan American
et Georges Woods Humphrey d'Imperial Airways
commençaient à s'inquiéter sérieusement, et que les
dirigeants de Lufthansa et de la Compagnie Zeppelin
étaient presque apoplectiques, comme on peut le lire
dans les journaux allemands de l'époque.
l'HERITAGE TOP
Immédiatement après la
déclaration de banqueroute (liquidation
judiciaire), le 31 mars 1931, toutes ces
réalisations et ces ambitions s'évanouirent. Entre
avril et juin, les services aériens vers le Paraguay,
le Pérou, la Bolivie, le Chili et Trinidad furent
suspendus. Le réseau Vénézuéla fut vendu.
Le réseau domestique en Argentine tomba en panne. Les
routes restantes réduites à la ligne principale le
long de la côte Est de l'Amérique du Sud jusqu'à
Buenos Aires et la connexion trans-méditerranéenne
furent conservées en exploitation sous le contrôle
dune commission spéciale nommée par le Gouvernement,
laquelle comprenait André Bouillloux-Lafont, le fils
de Marcel, dont le principal devoir semble avoir été
d'abandonner les droits portugais exclusifs à Pan
American et Imperial Airways dans un accord
tripartite, dans des termes presque humiliants pour le
Français. Ainsi qu'indiqué ci-dessus, la subvention
fut reprise mais comme Jean Mermoz lui-même déclara :
"Les Français savent créer mais ne savent rien
garder" (en français dans
le texte).
Alors vint le plus étrange virage de cette entière
histoire. Au lieu de créer une Compagnie commune où le
Gouvernement français détiendrait une part du capital
ou même une Compagnie aérienne nationale, entièrement
propriété de1'Etat, l'Aéropostale fût achetée par une
Société nouvellement créée. Elle s'appelait la Société
Centrale pour l'exploitation de lignes aériennes (S.C.E.L.A.)
dont la liste des Directeurs
ressemblait fort à une liste d'appel de l'industrie
aérienne française, les intérêts bancaires étant aussi
représentés En y ajoutant l'Aéropostale, S.C.E.L.A. devint Air France,
une Compagnie aérienne entièrement privée, sans même
le capital de blocage nécessaire.
Air France prit à l'Aéropostale, ce qui lui était
nécessaire: 130 avions, dont 31 des bons Laté 28, elle
prit quatre bateaux modernes que Bouilloux-Lafont
avait commandés pour remplacer les vieux avisos
empruntés à la Marine française. Elle eut les
facilités et les installations dont la grande base de
Toulouse, plus les contrats postaux chèrement acquis
et une équipe du personnel d'aviation hors pair dont
un lot certain des meilleurs pilotes du monde.
Quel fût le coût de l'empire aérien de l'Aéropostale ?
Il y a une entrée extraordinaire dans le premier
rapport d'activité annuelle d'Air France dans lequel
le prix payé au Gouvernement français pour
l'Aéropostale, carte blanche vers le Nouveau Monde
plus l'Afrique est estimée à 77.250.000 francs
payables en 15 versements annuels, sans intérêts. Ceci
s'établit à 5.15O.O00 francs ou environ 9.000 dollars
par an taux d'échange de 1933. "Une erreur paraît
avoir été commise dans l'actualisation des sommes
versées, pour l'achat de l'Aéropostale. En effet,
77.250.000 francs de 1932 représentent 123.000.000
francs de nos jours, soit un peu plus de 12 milliards
environ, le tiers du prix d'un Boeing 747, 5.150.000
francs par an, pendant 15 ans, correspondant à un peu
plus de 8 millions de nouveaux francs pendant 15 ans.
"Ce coût paraît dérisoire en fonction de l'actif
existant" (Note
du Traducteur). (1)
En 1948, la dernière année de la période de paiement
sans intérêt, valeur équivalente en dollars fut pour
le rendre clair, plutôt inférieure
Le fait qu'Air France d'avant-guerre gâcha ses
chances, quelle que soit la raison, ajoute l'insulte à
l'injure. Cela peut avoir été un manque de prévisions,
un mauvais jugement vis-à-vis des partenaires ou
simplement une inaptitude. Laisser l'accord portugais
de tomber en désuétude fut un désastre de première
grandeur. Cependant, 9.000 dollars par an, les
nouveaux propriétaires durent pensé que c'était une
bonne affaire.
Mais cela ne fut pas une occasion pour
Bouilloux-Lafont qui avait construit avec dynamisme ce
qui aurait pu devenir une institution française
permanente et influente dans l'hémisphère occidental,
d'un mot aussi fort que maître de maison sur les deux
continents du Nouveau Monde comme Pan American devait
le devenir. Et en plus, ce grand homme mourut à Rio de
Janeiro, un jour de 1944, presque dans l'anonymat
total. Qu'importe où cela eut lieu, il devrait y avoir
une plaque commémorative à cet endroit.
La question qui entourera toujours l'histoire de
Marcel Bouilloux-Lafont, chassé honteusement de
l'Aviation commerciale sera toujours: "A-t-il chuté ou
fut-il chassé?"
Il semble y avoir peu de
doute qu'il ait été chassé. Pour la honte éternelle de
l'aviation française, il lui fut fait un "grand croc"
en jambe pour l'aider sur sa route et aussi autant
qu'il peut être apprécié, condamné à
l'anonymat. TOP
--------------------------------------------------------------------------------
Deuxième partie:
Préface TOP
La seconde partie de l'intrigante histoire de l'essor
et de la chute du plus grand visionnaire parmi tous
les promoteurs de compagnies aériennes du monde
concerne moins l'Amérique du Sud que la manière selon
laquelle son projet de réseau mondial a été
méthodiquement élaboré à partir de ce qui était déjà
réalisé sur ce continent. Dans la première partie de
ce récit (AIR PICTORIAL, août
septembre, 1981), référence était
faite à la. "Connexion portugaise" et à
"un tremplin pour l'expansion". Cette
dernière partie explore plus en détail toutes les
implications de la stratégie magistrale de
Bouilloux-Lafont et les opportunités uniques qui
furent perdues lorsque la France choisit de sacrifier
un grand patriote aux intérêts d'autres objectifs
commerciaux.
Les
possessions territoriales TOP
Pendant les deux décades qui s'étaient écoulées entre
les deux guerres mondiales du vingtième siècle , les
grands empires territoriaux du monde étaient toujours
intacts. Les idées d'auto détermination n'avaient pas
encore été mises en pratique et la plupart des pays
sous-développés des trois continents étaient toujours
gouvernés depuis les capitales européennes. En fait,
en 1919 selon les termes du Traité de Versailles, la
Grande-Bretagne, la France, la Belgique et le Japon
avaient reçu d'autres territoires d'outre-mer aux
dépens de l'Allemagne. En même temps, les Etats-Unis
contrôlaient le Pacifique Nord par l'occupation des
Philippines et par leur domination sur de nombreuses
petites îles stratégiques. de cet océan.
Les avantages d'une domination sur ces empires
éloignés étaient principalement des avantages
économiques, car ils procuraient l'exclusivité des
approvisionnements en matières premières nécessaires à
la fabrication des produits manufacturés. Certains
territoires étaient potentiellement vulnérables aux
attaques de nations rivales envieuses et soumis à des
troubles occasionnels créés par des populations
indigènes déloyales, de telle sorte que des forces de
défense se trouvaient habituellement basées aux
Colonies pour maintenir l'ordre et la loi et pour
permettre aux commerçants de poursuivre leur négoce en
paix.
Les installations militaires constituaient un
dispositif indispensable au système colonial et, pour
les maintenir, le contrôle de certains coins perdus du
globe devenait nécessaire et vital. Ainsi, un endroit
aride comme Aden, au sud de l'Arabie et sans aucune
valeur commerciale, était important pour les
britanniques du fait de sa position géographique,
comme base navale de ravitaillement en charbon lors de
la protection des routes maritimes commerciales vers
l'orient.
Avec l'avènement du transport aérien, ces territoires
acquirent soudain une importance que l'on n'avait pas
soupçonnée jusque là. Au cours de la fin des années
20, les premières lignes aériennes commencèrent à
étendre leurs ambitions d'extension au delà des pays
au voisinage immédiat de leur métropole. Les
constructeurs d'avions maîtrisaient la fabrication des
multimoteurs à plus long rayon d'action et à charge
marchande plus importante. Mais, au début des années
20, on pensait que les lignes commerciales
trans-océaniques étaient aussi hypothétiques que le
fut la navigation spatiale dans les années 40. Au
mieux, on leur accordait la possibilité de devenir,
dans le futur, le domaine des dirigeables
long-courriers.
En 1927, à la suite de son vol transatlantique
solitaire en avion terrestre, Charles Lindbergh avait
fait beaucoup pour dissiper ce mythe. Par la suite,
une série de vols sur longues distances d'avions
terrestres avait excité l'imagination publique et
étendu les horizons des compagnies aériennes. Au cours
de cette phase la valeur des possessions territoriales
a pris soudain une nouvelle dimension et la situation
générale sur le théâtre de l'Atlantique à la fin des
années 20 est illustrée par la série de
cartes ci-jointes.
Des pays tels quel l'Angleterre et la France se
rendirent compte qu'ils pouvaient atteindre la plupart
de leurs possessions outre Atlantique sans avoir à
demander d'autorisation de passage à aucune autre
puissance. A l'opposé, l'Allemagne en tête de la
technique aéronautique mondiale à la fin des années
20, se trouvait devant l'extrême urgence d'obtenir des
débouchés pour ses produits, et les Etats-Unis, avec
leur formidable puissance technique et commerciale ne
pouvaient aller nulle part, excepté à San Juan de
Porto Rico.
Ainsi, les puissances ayant les aviations commerciales
les plus importantes étaient nettement divisées entre
"celles avec" et "celles sans", celles qui avaient des
endroits où aller et celles qui n'en avaient pas.
A cause de ce facteur fondamental, la première
entreprise des États-Unis outremer fut la traversée du
Pacifique.
Il y avait une troisième catégorie de nations dans ce
jeu d'échecs trans-atlantique. Exactement comme un
pion insignifiant peut devenir décisif au cours d'une
partie lorsque l'adversaire ne l'a pas remarqué, deux
pays aux territoires d'outremer de dimensions modestes
par rapport aux empires anglais et français acquirent
brusquement une importance nouvelle.
Le Danemark s'aperçut qu'il contrôlait des points
d'escales aériennes stratégiques sur les deux tiers de
la traversée de l'Atlantique Nord, tandis que la
possession par le Portugal des Îles de l'Atlantique
Central donnait à ce pays une importance stratégique
jusque là ignorée.
Les Îles du Cap Vert étaient utiles mais non
essentielles aux Français et aux Allemands dans leur
recherche des meilleures routes aériennes pour la
traversée de l'Atlantique Central vers l'Amérique du
Sud. Les Açores, au contraire, étaient considérées par
tous les stratèges des compagnies aériennes comme
absolument vitales pour le développement des lignes
transatlantiques. Les Îles du Cap Vert avaient été
spécialement incluses dans le contrat entre Marcel
Bouilloux-Lafont et le gouvernement français en août
1927 et donc les Portugais devaient être
approchés.
Ce ne fut donc pas une coïncidence si, en 1933,
Charles Lindbergh, en tant que conseiller technique de
la Pan American et de Juan Trippe, fit la
reconnaissance de la route du nord vers l'Europe et
rechercha une entente avec les Danois. Il ne fit pas
cela uniquement parce que c'était un bon exercice
pratique de planning, mais parce qu'ainsi, il pouvait
neutraliser des difficultés possibles avec la perfide
Albion qui était vraisemblablement capable de bloquer
les tentatives américaines de voler sur l'Atlantique
Nord, en faisant traîner la signature des accords sur
les droits d'atterrissage à Terre Neuve et en Irlande.
(En fait, sans entrer dans le détail, c'est exactement
ce que firent les britanniques).
Lindbergh effectua également des vols de
reconnaissance sur l'Atlantique Central, car il savait
qu'en 1933, les Açores portugaises n'étaient plus le
domaine exclusif de Marcel Bouilloux-Lafont, le grand
cerveau français qui, en 1930, les avait converties en
une province française, tout au moins au point de vue
des lignes aériennes.
Limitations des avions TOP
Quand, à la fin des années 20, les compagnies
aériennes commencèrent à tracer des lignes en
pointillé sur la carte du monde, les indiquant avec
optimisme comme : "en projet", "prévue" ou "future",
elles n'avaient qu'une vague idée sur la manière dont
ces ambitions pourraient être réalisées. A
part les dirigeables, tout le monde était d'accord
pour déclarer que les hydravions, à coque ou à
flotteurs, étaient seuls valables. A la fin des années
30, on ne pensait pas aux pistes en dur car les
charges alaires étaient peu élevées et, par
conséquent, les résistances de piste élevées pour
supporter de lourdes charges par roue n'étaient pas
encore nécessaires. Une bande en herbe, plate et bien
drainée, était suffisante pour la plupart des avions.
Pour les grosses machines, les constructeurs
ajoutaient simplement d'autres roues ou de plus
grosses, mais il semblait y avoir des limitations dues
à la résistance et à l'état des pistes.
D'autre part, il ne semblait pas avoir de limitation
quant à le dimension des appareils qui allaient sur
l'eau. De plus, pour les longues distances de vol.
au-dessus des mers et océans, la possibilité de se
poser sur l'eau paraissait être une mesure de sécurité
si évidente que la seule autre considération
concernait le nombre de moteurs. A cette époque, les
britanniques ne possédaient pas d'avion capable de
traverser la Méditerranée, encore moins
l'Atlantique.
Les Etats-Unis avaient le Consolidated Commodore, un
bel hydravion bimoteur produit par Ralph O'Neill et
NYRBA, mais dont l'autonomie permettait, au mieux, des
vols trans-Caraibes. L'ère des grands quadrimoteurs
Sikorsky e-42, qui était en avance de plusieurs années
sur son temps, devait encore attendre une demie décade
pour atteindre son plein développement.
Les Allemands étaient de loin les plus en avance. Ils
avaient l'hydravion bimoteur Dornier WAL qui accomplit
un excellent travail jusqu'à la fin des années 30,
bien qu'il ait effectué son premier vol dès 1922.
Dornier et d'autres constructeurs allemands, en fait,
déployaient une ingéniosité, des ressources et une
énergie énormes pour explorer toutes les branches de
la science aéronautique, compris le DO X géant dont
les dimensions spectaculaires détournèrent
malheureusement l'attention au détriment du courant
principal du développement des avions de ligne.
Les Français, tout en étant derrière les Allemands,
avaient une industrie aéronautique bien équilibrée et
ils se plaçaient on avance sur les Allemands sur un
point: la construction et la puissance des moteurs.
Malheureusement, aucun des
appareils de cette époque n'avait l'autonomie de vol
nécessaire pour traverser l'Atlantique, même avec un
chargement de poste ridiculement léger, même en tenant
compte de n'importe quelle combinaison de points
d'atterrissage ou d'amerrissage existants, et seuls
quelques rares modèles auraient peut-être réussi avec
le seul pilote comme chargement.
Les routes
transatlantiques potentielles. TOP
Donc, étant donné les limitations d'autonomie de ces
avions inadéquats, l'emplacement de bases convenables
pour les hydravions était de la plus haute importance,
et les pays candidats à la conquête de l'Atlantique
commencèrent à faire l'inventaire de leurs
ressources,
Très vite, l'avantage acquis par les Britanniques et
les Français devint évident, au désespoir des
Allemands qui essayaient toujours de recouvrer une
respectabilité politique après la Première Guerre
Mondiale, et au désespoir des Américains, notamment de
Juan Trippe, de la Pan American.
Les Britanniques contemplaient tristement l'étendue
d'océan entre l'Irlande et Terre Neuve. Cette
traversée de 3 180 kilomètres ne représente pas grand
chose aujourd'hui, mais dans les années 20, elle
constituait une formidable barrière. Ce ne fut qu'en
1957 que l'astucieuse publicité d'El Al "NO
GOOSE, NO GANDER" (nous
n'atterrissons pas à Goose Bay, Labrador, ni à
Gander, Terre Neuve) pour le Bristol
Britannia sonna le glas de Terre Neuve et de l'Irlande
en tant qu'escales techniques indispensables pour les
vols transatlantiques. Et la météorologie en hiver sur
l'Atlantique Nord était suffisante pour décourager
tous les aviateurs, sauf, peut-être les plus
intrépides.
Une fois passée Terre Neuve, les britanniques étaient
suffisamment en sécurité. Ils pouvaient atteindre le
dominion du Canada et toutes les autres colonies des
Caraïbes (et même le continent
sud-américain à Georgetown),
sans demander de concession territoriale à qui que ce
soit, en faisant simplement escale aux Bermudes, à 1
925 km seulement de St John's de Terre Neuve. Mais
comment atteindre St John's? Par les Açores,
peut-être? Eh oui! Il n'y aurait pas de problème dans
ce cas si le besoin s'en faisait sentir. Après tout,
le Portugal était traditionnellement le plus ancien
allié des Britanniques, un fait historique que l'on
n'omettait jamais de mentionner dans les conférences
diplomatiques anglo-portugaises. Et ainsi, la première
référence à une route aérienne transatlantique
exprimée dans les rapports officiels du Ministère de
l'Air Britannique montrait que la route devait être
via les îles portugaises d'Atlantique.
Les Français se trouvaient confrontés à peu près aux
mêmes problèmes. Pour atteindre les îles françaises et
la Guyane, la route entièrement française la plus
courte relie Dakar à Cayenne, soit 3 990 km. Par
bonheur, Marcel Bouilloux-Lafont qui lançait sa
compagnie, l'Aéropostale, avait renforcé les accords
postaux et commerciaux avec plusieurs pays d'Amérique
du Sud, et il avait investi une fortune considérable
pour établir une infrastructure aérienne sur ce
continent. Toute la côte du Brésil était ouverte aux
français, et le tronçon de route la plus critique se
trouvait réduit en distance de Dakar-Fernando de
Noronha (l'île qui se trouve au large de l'avancée
nord-est du Brésil), soit 2 640 km. A partir de là,
c'était un simple vol vers l'Amérique du Nord par la
Guyane et une escale au Venezuela, où la compagnie
aérienne survivante de l'empire de Bouilloux-Lafont
est encore aujourd'hui appelée "Aéropostale"
(exactement Venezuela. AEROPOSTALE
ou Aeropostale
of Venzuela "ALV") (L'Aéropostale au
Venezuela et sur la côte pacifique de l'Amérique du
Sud)
Les Allemands bénéficiaient de privilèges semblables à
ceux des Français pour l'exploitation de !'Atlantique
Central. Ils avaient également obtenu des succès
diplomatiques et Commerciaux en Amérique Latine, le
seul continent où ils n'avaient jamais eu de
réclamations territoriales, mais où plusieurs
communautés allemandes - des colonies de peuplement -
étaient établies et qui leur furent très utiles dans
les années difficiles de reconstruction
d'après-guerre. Ils étaient aussi "persona grata" au
Brésil, où l'existence d'une liaison postale aérienne
avec l'Europe était très appréciée, et où les
réalisations de l'industrie aéronautique allemande
n'étaient pas passées inaperçues. Car c'est avec la
main d'œuvre et l'aide technique allemandes que le
Brésil avait démarré ses premières lignes aériennes.
Mais, vers les Caraïbes et l'Amérique du Nord, les
allemands avaient très peu d'influence politique ou
diplomatique à l'ouest de Belem.
Avant 1929, les hommes
d'affaires américains avaient très bien compris que le
moyen le plus rapide pour envoyer une lettre de New
York à Buenos Aires était de la faire acheminer par le
paquebot vers l'Europe puis de l'envoyer par
l'Aéropostale. Les Etats-Unis avaient découvert
l'importance de l'emplacement des bases lorsqu'en
1929, Ralph O'Neill avait préparé méthodiquement la
route de New York à Buenos Aires par la côte orientale
de l'Amérique du Sud. Il avait négocié des droits
d'atterrissage et il avait construit des bases au
Brésil et en Argentine; il avait également eu quelques
difficultés avec les Britanniques et les Hollandais
lors des demandes de facilités pour le passage par les
Iles britanniques des Caraïbes et par la Guyane
hollandaise. Mais avec les Français, il avait de réels
problèmes.
Il n'avait jamais pu obtenir l'autorisation
d'atterrissage à Cayenne, et il appréhendait toujours
un peu la traversée entre Georgetown et Monténégro,
dans le nord du Brésil. Lorsqu'on 1930, telle une
pieuvre géante, Juan Trippe engloba la NYRBA dans son
réseau d'Amérique du Sud, il réalisa que, pour la
préparation des vols transatlantiques, les bases sous
contrôle américain les plus à l'est étaient Bangor,
Maine et les Îles Vierges possession des
Etats-Unis.
En faisant tourner sa célèbre mappemonde pour y tracer
son réseau aérien mondial, il rêvait à l'impossible
quand il découvrit que quelqu'un, en la personne de
Marcel Bouilloux-Lafont, était passé, le premier et
avait enlevé le morceau.
La SPELA (Sociedade
Portuguesa de Estudos e Linhas
Aero-Postaos) TOP
Le dirigeant de l'Aéropostale, par un coup de maître,
avait arraché une négociation commerciale
époustouflante par l'ampleur de sa vision et qui,
compte tenu des rivalités de l'époque, avait des
effets dévastateurs. En bref, pour faire une
comparaison avec le jeu d'échecs, Bouilloux-Lafont
avait non seulement mis ses adversaires en échec, mais
la partie à peine commencée, il les avait mis échec et
mat. En d'autres termes, Juan Trippe avait été pris
complétement au dépourvu. Tout en étant moins
vulnérable, George Woods Humphrey des Impérial
Airways, n'appréciait pas tellement le cours des
évènements et Martin Wronsky de la Lufthansa n'en
avait pas cru ses yeux quand il avait lu la formidable
nouvelle dans les journaux.
Marcel Bouilloux-Lafont avait conclu un marché unique
avec les Portugais. Le gouvernement de Lisbonne
s'était rendu compte que, à peu près le seul parmi les
pays d'Europe, il n'avait pas de lignes aériennes.
Cependant, il en avait presque autant besoin que
l'Angleterre, la France, la Hollande et la Belgique.
Son empire en Afrique était étendu et des points
éloignés tels que Macao, en Chine et Goa, aux Indes,
étaient toujours sous pavillon portugais. Les moyens
modernes de communication nécessitaient la création
d'une compagnie aérienne, tout au moins vers
l'Afrique, et les autorités aériennes portugaises
cherchaient une solution et avaient fait des approches
auprès du Gouvernement français.
Cette solution vint de Bouilloux-Lafont. Au cours de
1929, il avait formé une compagnie, la "Sociedade
Portuguesa de Estudos e Linhas Aero-Postaos", la
SPELA, associée au constructeur français de moteurs
Gnôme et Rhône dirigé par Paul Louis Weiler et à des
intérêts privés portugais. Etant ainsi devenue légale
au Portugal et sans doute en utilisant une expérience
chèrement acquise en Amérique Latine sur la manière de
traiter de telles affaires, la SPELA avait négocié
avec le gouvernement portugais.
Très simplement, Bouilloux-Lafont et Weiller avaient
fait une proposition intéressante: "Nous vous
assurerons un service de poste aérienne entre
Lisbonne et vos colonies si, en retour, vous nous
donnez les autorisations exclusives d'atterrissage
et autres avantages nécessaires dans tous les
territoires portugais".
Ceci n'aurait pas dû surprendre les autres parties
intéressées. La formation de la compagnie
franco-portugaise en 1929 avait été remarquée par les
autorités britanniques, et les allemands avaient
effectivement protesté auprès de Lisbonne. Mais bien
que ces derniers se soient référés à des projets de
liaison par dirigeable et à l'importance des Açores,
les Portugais avaient prêté une plus grande attention
à Bouilloux-Lafont dont les réalisations effectives
étaient plus tangibles et qui démontrait l'ampleur de
sa vision en offrant quelque chose en retour des
avantages demandés.
Deux autres accords
internationaux démontrant que la stratégie aérienne
atlantique commençait à se développer méritent d'être
notés.
Le premier, en 1929 : Lord Thompson et Victor Laurent
Eynac, représentant respectivement les ministères de
l'aviation civile britannique et français, signèrent
un accord selon lequel les Français obtenaient les
droits d'atterrissage aux Bermudes et aux Bahamas. En
retour, les Britanniques étaient autorisés à survoler
la France jusqu'à Marseille et recevaient d'autres
avantages concernant le survol des territoires
français. La second, signé le 1er juillet 1930,
désignait la Pan American Airways et les Imperial
Airways comme étant les bénéficiaires d'un accord
mutuel pour des liaisons entre les Bermudes et les
Etats-Unis.
Un autre accord de ce genre était probablement en
discussion entre la France et l'Allemagne, toutes deux
essayant sans doute, d'un point de vue différent, de
mettre de côté les préventions issues de la première
Guerre Mondiale. Les Français désiraient les droits
d'atterrissage et de survol de l'Allemagne pour la
ligne rapide de la compagnie Farman par la Baltique et
pour la route de la CIDNA vers l'Europe de l'Est. En
effet, la CIDNA avait été obligée de faire passer ses
avions par la Suisse au début des années 20, quand la
France occupait la Rhénanie. D'autre part, l'Allemagne
avait besoin du passage sans conditions au-dessus de
la France et des territoires d'Afrique française pour
ses dirigeables et ses avions à destination de
l'Amérique du Sud.
Toutes ces considérations devinrent caduques lorsque,
le 16 septembre 1930, la SPELA signa un accord avec le
gouvernement portugais, ratifié sous forme de loi par
le décret no 18 899. Cet accord comprenait 53 articles
parmi lesquels de loin le plus important était
l'article 4, qui accordait l'exclusivité dans les
territoires et les eaux territoriales portugaises et
qui acceptait spécifiquement de "n'autoriser
aucune autre entreprise nationale ou étrangère, soit
à établir des liaisons aériennes internationales
ayant des escales sur les territoires
sus-mentionnés, soit à créer et utiliser des
services réguliers aériens nationaux ou
internationaux ayant des escales sur les dits
territoires".
D'autres articles stipulaient que la SPELA ne serait
pas subventionnée, mais que des terrains lui seraient
fournis et que, si nécessaire, des terrains privés
seraient expropriés. L'accord était établi pour 30 ans
et il prescrivait que les services devaient commencer
dès que possible: de Lisbonne vers la Guinée Bissau
dans les 4 mois, vers le Cap Vert dans les 8 mois,
puis vers Madère et les Açores dans moins de 12 mois.
L'Etat portugais recevrait, en cas d'échec, une part
nominale des bénéfices réalisés et serait le créancier
privilégié de la compagnie.
Les deux premières lignes étaient relativement faciles
à assurer. Toutes deux pouvaient être considérées
comme de simples prolongements sur une courte distance
de la ligne de Dakar. Ceci n'alarma pas beaucoup les
milieux américains, anglais ou allemands, mais la
perspective de voir la SPELA utiliser une ligne en
exclusivité vers les Açores sema l'alarme, presque la
panique, dans les états-majors de la Pan American, des
Imperial Airways et de la Lufthansa; c'est que les
Açores étaient un point vital sur la seule route qui
réunissait de bonnes conditions météorologiques tout
le long de l'année et la meilleure combinaison de
tronçons de route courts pour la traversée de
l'Atlantique.
Les entretiens tripartites
TOP
Juan Trippe et Sir Eric Goddes, Président des Impérial
Airways, ne perdirent pas de temps. L'encre des
accords SPELA était à peine sèche que le Directeur
Général des Imperial Airways George Woods Humphrey,
avait réservé sa place sur le paquebot transatlantique
FRANCONIA qui arriva à New York le 16 novembre 1930,
exactement 2 mois après les accords de Lisbonne. André
Bouilloux-Lafont, le fils de Marcel, était déjà là,
discutant les droits d'atterrissage à Cayenne, dont il
avait déjà été question entre l'Aéropostale et la
NYRBA.
En moins de 5 jours, le 21 novembre 1930, 1 'accord
dénommé accord Tripartite était signé entre la Pan
American, les Imperial Airways et la Société Générale
d'Aviation, Société mère de l'Aéropostale qui
représentait, tout comme la SPELA, les intérêts de
Bouilloux-Lafont.
C'était l'œuvre de Juan Trippe au plus fort de- son
machiavélisme il ne possédait aucun appareil
transatlantique ni aucun territoire comparable aux
colonies britanniques et françaises. Avec si peu de
possibilités de marchandage, il joua la seule carte en
sa possession, son potentiel de trafic postal
aérien.
Sachant qu'il avait l'appui total de !'Administration
des Postes américaines, il fit observer que les
Etats-Unis fournissaient 80 % du trafic postal
transatlantique à destination de l'Europe. Sans ce
trafic, les efforts des britanniques et des français
ne seraient que de simples vols de prestige, sans
logique commerciale et s'ils voulaient considérer
sérieusement un arrangement d'affairés, il était
préférable de se mettre d'accord avec les Américains.
Les négociateurs européens ne semblent pas avoir réagi
en opposant les chiffres du trafic postal vers
l'ouest, ils ne semblent même pas avoir vérifié les
statistiques de Trippe; en tout cas, l'accord
Tripartite attribuait 50 % des opérations aériennes
futures à la Pan American, tandis que les 50 % restant
devaient être partagés entre l'Angleterre et la
France.
Sans doute en raison de la météorologie sur
l'Atlantique, les escales terminales américaines
concernées par l'accord Tripartite furent Charleston,
en Caroline du Sud et Norfolk, en Virginie, car ces
ports sont libres de glaces toute l'année. Plus tard,
en 1937, quand la Pan Am et les Imperial commencèrent
la ligne des Bermudes, les conditions se trouvèrent
modifiées et c'est Baltimore qui fut choisie comme
l'escale la plus convenable pour desservir la zone à
forte densité de population du nord-est des
Etats-Unis.
Une digression
: le dirigeable.
En temps normal, lorsque Juan Trippe avait besoin d'un
accord postal, cela se passait sans délais et au taux
le plus avantageux possible. Cependant, le 29 décembre
1930, date proposée pour l'ouverture des discussions
sur le service postal transatlantique, cette
proposition avait été retirée à cause d'une
''erreur technique". On pense que cela eut lieu
sous la pression du lobby des dirigeables et a
conduit le ministre des Postes américain, Walter B.
Brown, à faire la remarquable déclaration suivante :
"il n'y a jamais eu de dirigeable capable de suivre
un horaire d'un jour sur l'autre… je suggère que le
plus léger que l'air fasse ses preuves comme l'a
fait l'avion. Mettez un dirigeable sur une ligne
transcontinentale ; disons d'Atlanta à El Paso.
C'est une ligne facile et sans problèmes, pas de
survol montagneux, des phares jalonnant la route, de
nombreux terrains d'atterrissage ... Quand les
dirigeables pourront respecter les horaires sur
cette ligne, il sera temps de parler de vols
océaniques".
Comme la plupart des
observations du Directeur Général des Postes Brown,
cette vision des choses allait bien au-delà des
sentiments de l'époque. Il évita non seulement aux
Etats-Unis un total chaos de leur industrie nationale,
mais il leur épargna aussi la tragédie du DZR. Un
autre ministre des Postes aurait pu accéder aux
aspirations allemands et anglaises, et leur donner le
feu vert pour les dirigeables. Et les Etats-Unis, avec
leur énergie caractéristique, auraient lancé un
gigantesque programme de construction et d'activités
opérationnelles. La Pan Am en aurait été handicapée,
peut-être d'une façon désastreuse, pour une décade.
Comment neutraliser la SPELA
?
TOP
L'attitude britannique envers la SPELA fut
remarquablement complaisante. Dans une lettre de Woods
Humphrey à Trippe datée du 20 mars 1931, il faisait
remarquer que les biens de l'Aéropostale étaient
"limités à des immeubles, des terrains d'aviation, des
stations de radio, des avions et quelques navires". un
commentaire extraordinaire car cette liste semble
inclure un inventaire complet de tout ce qu'une
compagnie aérienne peut désirer posséder Il pensait
également que les obligations de la SPELA vis à vis
des accords portugais étaient trop lourdes et que ces
accords devraient être révoqués. Sans aucun doute, le
point de vue de Woods Humphrey aurait été différent si
les accords avaient été signés avec Imperial
Airways.
Sur un point, cependant, il avait absolument raison.
L'Aéropostale, notait-il, était en difficultés
financières car le gouvernement français n'aiderait
pas Bouilloux-Lafont dont les investissements massifs
dans l'Aéropostale avaient subi le contrecoup d'une
révolution au Brésil et par la crise aux.Etats-Unis et
ses répercussions mondiales. Woods-Humphrey plaidait
pour que "Pan Am et Imperial Airways se tiennent
solidement les coudes, car nos intérêts sont
absolument concordants, et la seule raison d'avoir
l'Aéropostale - ou toute autre compagnie - avec
nous, était l'existence d'une convention comme celle
des Açores".
A l'évidence, toutes ces considérations se trouvaient
regroupées dans "la question des Açores", et une
lettre de la même date au Ministre de l'Air
britannique insistait pour qu'une pression
diplomatique fut exercée sur les Portugais. Quand le
10 avril, Trippe répondit, accusant réception et
confirmant tous les points, la question était à
l'ordre du jour car Bouilloux-Lafont n'avait pas
réussi à obtenir l'aide de la Chambre des Députés et
avait été oblige de demander la liquidation judiciaire
le 31 mars 1931.
Par la suite, il apparut que les rapaces arrivaient
pour dévorer les restes de l'Aéropostale et de la
SPELA mais ce festin devint plus compliqué par le fait
que l'autre partenaire français de la SPELA, - Gnôme
et Rhône avec ses 50 % des parts -, désirait conserver
certains de ses avantages. En mai 1931, selon les
documents archivés à Londres, Trippe avait eu des
discussions avec Martin Wronsky de la Lufthansa et
avec Eugène Dingeman, représentant Paul Valère,
probablement Paul Louis Weiller de Gnôme et Rhône.
Pendant ce temps, les Français envisageaient de
permettre aux intérêts anglo-américains de prendre les
50 % de parts de Bouilloux-Lafont dans la SPELA.
Dingeman n'était pas à court d'idées pour marchander.
Il avança même la suggestion que l'Italie pourrait
avoir 50 % des parts, en se basant sur le fait que la
moitié de la population de New York était italienne !
Mais d'une manière plus significative, il fit
remarquer que l'accord Tripartite ne pouvait être
appliqué sans la ratification de la SPELA. Il n'aurait
aucun scrupule, le cas échéant, à bloquer les
accords.
Et le grand jeu international continua, chaque
partenaire cherchant à s'assurer une meilleure
position, pesant soigneusement les différents facteurs
pour ou contre des accords bilatéraux. Les abandonnant
pour de nouveaux partenaires et ne sachant si oui ou
non il devait en rester aux accords tripartites, bien
que l'un des partenaires - tout au moins 50 % de l'un
d'eux - ait été éliminé.
André Bouilloux-Lafont, le fils de Marcel,
relativement inexpérimenté en affaires, avait été
mandaté pour affronter ce roublard de Trippe. Il
continua d'être le représentant nominal des intérêts
de son père dans le comité de quatre personnes qui
dirigeait les activités de l'Aéropostale après la
liquidation. Mais il devint alors la victime de ce qui
apparaît rétrospectivement avoir été un sombre complot
destiné à détruire la réputation et la crédibilité de
la famille Bouilloux-Lafont pour qu'elle ne renaisse
jamais des cendres de 1931. André avait porté des
fausses accusations contre un membre du gouvernement
français et contre Paul Louis Weiler basées sur des
documents présentés par un agent de renseignements de
la Police. Ceux-ci avaient été authentifies par des
experts graphologues. D'autres experts furent plus
tard commis par le cour et contestèrent l'authenticité
des documents. L'agent admit plus tard qu'il avait
fabriqué les documents et fut puni de prison. André
Bouilloux-Lafont fit quatre mois de
prison préventive. (2)
Le Laté 38
TOP
Le Ministère de l'Air, un nouveau département
gouvernemental, fut créé en France le 15 septembre
1928 dans le gouvernement Poincaré et le premier
ministre de l'air fut Victor Laurent Eynac (celui qui
signa le premier accord bilatéral avec les anglais).
Un de ses premiers objectifs, fut d'encourager le
développement du projet d'un grand hydravion
transatlantique, et l'avion reçut beaucoup de
publicité. Le Laté 521 "Lieutenant de Vaisseau Paris"
ne fit cependant pas son premier vol avant 1935 et
quand il atteint les U.S.A. via Dakar et l'Atlantique
Sud en 1936, il fut malheureusement presque détruit
par un cyclone à Pensacola en Floride. Avant d'être
réparé et d'être à nouveau prêt pour d'autres vols
d'étude entre Biscarosse et New York en 1938 et 1939,
les USA, la Grande Bretagne et l'Allemagne étaient
déjà bien avancés dans leurs préparatifs pour
commencer les services aériens transatlantiques et
devançaient la France.
D'autres appareils, notamment le Laté 300 "Croix
du Sud", avait volé sur la ligne pour la première fois
en fin 1931. Cependant, on ne connaît que très peu de
choses au sujet d'une entreprise antérieure.
En fait, un des plus intrigants évènements de
l'histoire complexe de l'Aéropostale fut
l'extraordinaire épisode du Laté 38. Il avait été le
premier hydravion à coque
(différent d'un avion marin à flotteurs)
dessiné et construit par l'usine Latécoère à
Biscarosse, près de Bordeaux. Le Laté 38-01
avait volé pour la première fois la 24 août 1930 et il
avait été suivi par le Laté 38-02, le 31 décembre de
la même année. Les vols d'essai avaient
confiés aux mains expertes de Gonord et de Verges qui
firent les essais de tous les Laté jusqu'en
1936.
La Laté 38 était un sesquiplan, ressemblant beaucoup
dans sa conception générale au Dornier WAL bien connu,
avec deux moteurs montés en tandem sur l'aile
supérieure. Ces moteurs étaient des Hispano Suiza 12
Nbr de 650 CV chacun. A cette époque, le WAL de la
série J n'avait crue deux moteurs de 500 CV et il ne
fut effectivement équipé de moteurs de 650 CV qu'en
1933, devenant ainsi le "WAL 10 tonnes". Le Laté
38 était peu près de la même longueur mais son
envergure et sa surface alaire étaient supérieures.
Son poids total était presque le double de celui de
son contemporain, le WAL, et sa charge utile était de
plus du double. La capacité en charge transportable
était donc bien supérieure, mais le plus significatif
était son autonomie deux fois plus grande que celle au
WAL soit près de 4 000 km.
En bref, le Laté 38 pouvait traverser l'Atlantique Sud
sans ravitaillement alors que le Dornier dépendait
entièrement des navires ravitailleurs. Ceux-ci étaient
des bateaux spécialement construits, équipés d'un
amarrage flottant où le WAL pouvait taxier après
l'amerrissage d'une grue pour le hisser à bord et
d'une puissance catapulte à vapeur pour l'assister à
son décollage.
Selon Marie-Paule Vie-Klase, auteur de "Les Grands
Latécoères sur l'Atlantique'', le Laté 38-02 avait été
commandé par l'Aéropostale pour transporter la poste
sur l'Atlantique. Il avait reçu son certificat de
navigabilité le 1er janvier 1931, et le 15 février,
l'Aéropostale envoyait un mécanicien navigant, Louis
Cavaillès, pour évaluer l'appareil.
Six semaines plus tard, la 31 mars 1931, Marcel
Bouilloux-Lafont entrait en liquidation judiciaire.
Son Aéropostale était réduite à l'ombre de ce qu'elle
avait été. Les projets établis pour conquérir
l'Atlantique Nord furent abandonnés. Au lieu de faire
de l'Aéropostale au Venezuela le point central de ces
opérations, Vachet dut organiser le transfert de cette
compagnie au gouvernement du Vénézuela afin d'aider
Marcel Bouilloux-Lafont à rembourser les dettes (Aeropostale
of Venzuela, encore en service aujourd'hui).
Jean Mermoz, qui avait reçu le feu vert pour se
préparer sur l'Atlantique Nord resta sur les lignes
d'Amérique du Sud où il devait plus tard trouver la
mort.
Et le Laté 38? Selon Vie-Klaze, il ne quitta jamais
son hangar de Biscarosse, bien que d'autres appareils
du même type eussent été livrés à la Marine Nationale.
Louis Cavaillès se contentait d'aller, à la pêche et,
finalement, il quitta Biscarosse en juillet
1932.
Vie-Klaze qui a fait de nombreuses recherches sur
l'histoire de Latécoère, ne peut fournir aucune
explication. Il est bien connu que Mermoz n'aimait pas
les hydravions, mais le Couzinet 70 "Arc en Ciel"
n'arriva qu'en 1933. Est-ce que les autorités alors en
charge des restes de l'Aéropostale pouvaient croire à
l'entrée en service immédiate du Laté 300 "Croix du
Sud"? Mais lui aussi ne vola pas avant 1932, le
prototype s'étant écrasé à son premier vol en décembre
1931.
Citons Vie-Klaze : "les affaires de l'Aéropostale
n'étaient pas très bonnes en 1931, mais l'appareil,
étant une commande de l'Etat, avait certainement été
payé, du moins en partie. On s'explique mal que
l'appareil ait été négligé. Après le départ de
Cavaillès, il a lentement rouillé au fond d'un
hangar et a fini à la ferraille".
Le rêve impossible
TOP
Quelles étaient les chances de Bouilloux-Lafont sur
les lignes d'Amérique du Nord, avec New York comme
destination principale? Il avait commandé le Laté 38
destiné à entrer en service en 1931, avec une capacité
de transport double de celle du Dornier WAL. Le Laté
aurait été conduit par les équipages les plus
expérimentés du monde, dirigés par le vénéré - presque
canonisé - Jean Mermoz. Il contrôlait tous les points
d'atterrissage qu'il pouvait désirer. Non seulement
ses chances semblaient bonnes, mais elles étaient
infiniment supérieures à celles de ses rivaux sur
l'Atlantique Nord. La série de
cartes ci-jointes montre ce qui a dû se passer
dans l'esprit de cet homme, visionnaire remarquable.
Même en 1930, avant la liquidation (carte
no 1), Vachet avait déjà effectué la reconnaissance de
la ligne reliant Natal au Vénézuela via Cayenne. La
bretelle sur Port of Spain, à Trinidad - Le Bourget
potentiel des Antilles -, avait été ouverte le 9
janvier 1931, et la chaîne d'îles entourant les
Caraïbes était un des objectifs de l'Aéropostale.
Mermoz avait reçu les instructions de se préparer pour
l'Atlantique Nord, et Bouilloux-Lafont n'aurait pas
agi ainsi sans avoir un objectif précis.
L'étape suivante aurait été l'inauguration de la
première phase, la plus facile, de l'accord de la
SPELA, en 1932 (carte
no 2). Même avec l'hydravion Laté 28, déjà le meilleur
appareil de la flotte de l'Aéropostale en 1930, les
obligations à court terme envers le Portugal auraient
pu être remplies ; les Açores, Madère, les Îles du Cap
Vert et la Guinée Portugaise (Bissau, auraient pu être
incorporées dans le réseau de l'Aéropostale. Les vols
de reconnaissance auraient été menés par Mermoz aux
commandes du bimoteur Laté 38. Même si cet appareil
avait été 10 ou 15 % en dessous des performances
prévues, il aurait été supérieur au Dornier WAL, et il
aurait apporté une dimension entièrement nouvelle à la
technique française dans la course pour la conquête de
l'Atlantique Nord.
En utilisant les îles du Cap Vert au lieu de Dakar, la
traversée la plus courte de l'Atlantique Sud jusqu'à
Fernando de Noronha aurait été encore raccourcie de
130 km. Fait encore plus important: la liaison directe
du Cap Vert A Cayenne est d'environ 3 350 km, bien en
deçà de l'autonomie prévu du Laté 38.
La voie aurait alors été ouverte pour lancer -
peut-être même en 1932 - tous les services de poste
aérienne vers les Amériques du Nord et du Sud.
L'Atlantique Nord aurait été desservi à partir de la
France via Lisbonne, les !les du Cap Vert, Cayenne et
la Martinique, avec, comme destination finale les
Etats-Unis d'Amérique, soit à Charleston, en Caroline
du Sud, soit à Norfolk, en Virginie et en utilisant
les droits d'atterrissage à Nassau, d'après l'accord
Thompson-Laurent Eynac.
Les lignes étant assurées sur la route circulaire du
Sud et avec les Açores déjà sûres comme base au milieu
de l'Atlantique, le service presque direct vers New
York aurait été à la portée des hydravions Latécoère,
pour la plus grande gloire de la France. Les
Britanniques auraient risqué de sérieux problèmes
diplomatiques s'ils avaient refusé la permission
d'utiliser Terre-Neuve, et ils auraient risqué un
mouvement francophile au Canada si l'Aéropostale
s'était vu refuser Montréal.
En 1934, l'Atlantique tout entière aurait pu être le
domaine de Aéropostale. Paris aurait alors été à 24
heures de vol de New York et les navires ravitailleurs
allemands, lancés en expérimentation Nord Atlantique
au milieu des années 1930, seraient devenus périmés au
départ.
Mais tout ceci n'était qu'un rêve. L'entreprise
dynamique de Bouilloux-Lafont fut anéantie le 31 mars
1931. Le Laté 38 pourrit à Biscarosse et le pauvre
Marcel fut bien près de sa destruction totale, Jean
Mermoz abandonna tous les projets qu'il avait établis
en contemplant la carte de l'Atlantique Nord. La SPELA
fut réduite à rien et elle fut dissoute par les
portugais suite à la défection du Gouvernement
français qui contrôlait alors l'Aéropostale. Et
l'accord Tripartite se désagrégea.
En 1934, la Lufthansa, associée à sa filiale
brésilienne "Syndicato Condor", utilisant les
navires ravitailleurs pour compenser l'autonomie
restreinte du Dornier WAL a ouvert le premier service
transocéanique régulier du monde. Cet honneur aurait
pu facilement revenir à l'Aéropostale deux ans plus
tôt. Marcel Bouilloux-Lafont mourut à Rio en 1944, ses
rêves anéantis et oublié de tous, sauf de ceux qui le
connaissent et qui chérissent la mémoire d'un grand
Français.
La fin d'un
monopole
TOP
La concession de la SPELA. par les portugais fut
annulée le 7 octobre 1933 pour défection. A cette
époque, l'Aéropostale avait été achetée pour presque
rien par Air France, nouvellement formée, et la
compagnie unique française n'avait fait aucune
tentative pour conserver le monopole des droits
d'atterrissage aux Acores bien qu'elle bénéficiait des
avantages d'une entreprise supportée par l'Etat et
même pas pour conserver un traitement préférentiel. A
la place, elle préféra coopérer avec les Allemands sur
les lignes d'Amérique du Sud, et, en 1934, elle
conclut un accord de pool avec la Lufthansa selon
lequel l'avenir serait partagé, bien que pour une
fois, l'Allemagne avait une avance technique avec ses
lignes à passagers en Graf Zeppelin et ses lignes
postales en hydravion qui utilisaient ingénieusement
les navires ravitailleurs stationnés au milieu de
l'Atlantique. Le vieux Marcel, virtuellement exilé à
Rio, qui essayait en vain de sauver les restants de
son empire industriel et bancaire pour rembourser ses
créanciers, dut contempler cette collaboration
franco-allemande avec une grande tristesse. Il avait
mis tout ce qu'il avait pour donner à la France la
maîtrise de l'Atlantique. Maintenant, il voyait son
œuvre non seulement abandonnée, mais, en fait,
transmise à ses rivaux. Comme le Laté 38 dans son
hangar, Marcel se désagrégea au Brésil, victime de
l'ostracisme de ses propres concitoyens.
Les britanniques devinrent indifférents à la question
des Açores. Malgré une offre portugaise faite aux
Imperial Airways allant jusqu'à 60 % des parts de la.
"Compania Portuguesa de Aviaçao" (filiale portugaise de la SPELA)
le colonel Harold Burchall, représentant la compagnie
britannique, considéra que l'obligation d'assurer un
service avec les colonies portugaises était un prix
trop fort à payer pour avoir accès aux Açores.
L'annulation du monopole de concession de la SPELA, en
1933, doit avoir été reçue avec jubilation à Berlin.
La Lufthansa avait instauré un système de catapulte à
vapeur pour ses lignes sur le Brésil à partir de
Bathurst, en Gambie britannique (où elle avait échangé
les droits d'atterrissage contre la construction d'une
base aérienne), et par les navires ravitailleurs
WESTFALEN, SCHWABENLAND et OSTMARK. Maintenant, enfin,
comme le fit remarquer un observateur britannique "
l'espoir s'éveillait dans les milieux allemands ; ils
pouvaient prendre part avec succès à la création d'une
ligne aérienne transatlantique". Et naturellement, cet
espoir se matérialisait.
Les Portugais eux-mêmes avaient envisagé la
construction d'un emplacement de lancement par
catapulte dans une baie da Terceira, aux Açores. En
temps opportun, la Lufthansa basa simplement un de ses
navires ravitailleurs, le SCHWABENLAND à cet endroit
et un autre, le FRIESENLAND, à New York, puis elle
effectua une série très satisfaisante de vols
expérimentaux et de reconnaissance entre les Açores et
New York de 1936 à 1933.
Martin Wronsky récolta ce que Bouilloux-Lafont ont
avait semé.
Le rêve brisé
TOP
Quatre éléments essentiels sont nécessaires pour
assurer le succès d'une compagnie aérienne: des
finances saines, un personnel efficace et loyal, des
équipements de valeur et un réseau de lignes étendu et
bien équilibré. En 1930, Marcel Bouilloux-Lafont les
possédait tous les quatre!
1 - Une convention de longue durée incluant une
subvention était promise Par Laurent-Eynac. Ceci
aurait garanti la stabilité financière.
2 - Mermoz et son équipe de bons pilotes étaient les
étoiles des meilleurs équipages du monde.
3 - Le Laté 28, qui était en service, détenait
plusieurs records aériens et des appareils encore plus
performants étaient prévus.
4 - Le réseau de lignes était le plus long du monde,
couvrant quatre continents et tout l'Océan
Atlantique.
A ces quatre impératifs, pourrait être ajouté un autre
moins pertinent aujourd'hui car presque chaque
gouvernement le fournit maintenant :
5 - Une superbe infrastructure d'aéroports avec les
aides à la radio et à la navigation.
Le 31 mars 1931, sur un
simple coup de plume - ou pour être plus précis, par
la défection du Gouvernement français de prendre la
plume en main - le rêve fut brisé sans émotion.
La non ratification de la convention couvrant, la
subvention à long terme ruina Bouilloux-Lafont. Par
erreur, il avait admis la promesse de Laurent Eynac
comme étant une promesse solennelle gouvernementale
mais le contrat ne fut jamais ratifié par la Chambre
des Députés. Bouilloux-Lafont n'avait pas attendu le
mouvement des rouages bureaucratiques et avait
concentré ses propres ressources, jointes aux emprunts
publics, sur l'Aéropostale. Maintenant, il fut obligé
d'investir tous ses biens. Les plans d'équipement
furent abandonnés. Le réseau des routes aériennes fut
réduit et les pillards arrivèrent. Son équipe resta
loyale mais sans pouvoir pour l'aider. Une exception
dans la loyauté fut Daurat, qui avait été la force
conductrice persistante dépeinte dans les ouvrages de
Saint-Exupéry et dont le rejet de valeurs humaines
conduisit à la désaffection des pilotes qu'il
commandait. Daurat fut obligé de quitter la
Compagnie.
Des quatre éléments essentiels, il n'en restait qu'un
à Bouilloux-Lafont, son personnel, mais celui-ci ne
put rien faire pour lui, et, à la suite de l'examen de
publications ultérieures, il apparaît que Daurat
travailla à discréditer son ancien patron. Dans toute
l'histoire des mésaventures des compagnies aériennes,
seul le récent effondrement de la Braniff parait avoir
atteint de telles dimensions; mais il y a une
différence fondamentale entre cette faillite et la
liquidation judiciaire de l'Aéropostale. Avec
insouciance, Harding Lawrence
(de la Braniff), avait fait trop de
dépenses, il avait trop étendu son réseau, il avait
négligé de planifier sa flotte et il s'était aliéné la
direction et tout le personnel. Marcel
Bouilloux-Lafont n'avait commis aucune de ces erreurs
; il tomba victime de la jalousie de ses ennemis
industriels et politiques.
Hélas, pour anéantir
Bouilloux-Lafont, ces forces ont également saboté
l'avenir des lignes aériennes françaises, et une
partie de l'héritage et de l'avenir de la France a été
déposée sur l'autel du sacrifice.
Ceux qui ont anéanti
l'Aéropostale en portent la lourde responsabilité.
Fin. TOP
M. Paul Vachet,
directeur de l'Aéropostale au Venezuela, vient
d'obtenir, à la suite des propositions verbales qu'il
avait faites, un assentiment verbal en vue de
l'établissement d'un aérodrome à Port-of-Spain,
une des étapes de la route aérienne qui irait jusqu'à
la Martinique. La ligne aérienne du Venezuela à l'île
de la Trinité fonctionnera dans trois semaines, et
elle sera prolongée jusqu'à la Martinique le 15
novembre. Source:
Revue Aéronautique de France octobre 1930 Retour texte
***
Précisions de Lepeps
(1) Pendant
la détention d'André BOUILLOUX-LAFONT fût préparée
par le Ministère la "réorganisation" de
l'AEROPOSTALE. A PAINLEVE (Paul Painlevén Ministre
de l'Air 13, déc 1930 - 27 Jan 1931 et 3 Jun 1932 -
29 Jan 1933) , frappé d'une attaque à la tribune
pendant son réquisitoire contre André
BOUILLOUX-LAFONT avait succédé Pierre COT (Ministre
de l'Air, 31 jan 1933 - 9
fev 1934).
Celui-ci créa l' "AIR FRANCE" et lui donna la
concession de l'AEROPOSTALE. Un expert fût nommé,
chargé de déterminer la valeur de tout l'actif de la
Société. En moins de quinze jours quoique que cet
actif s'échelonnât de France au Pacifique, cet
expert en fixa la valeur. Il trouva 45.190.161,27
frs … alors que l'exploitation de cet actif avait
laissé au cours des deux années précédentes
120.000.000frs liquides.
Mais quinze jours après, ledit Expert était nommé
Administrateur de l'Air France aux cotés de P.L.
WEILLER.
C'est dans ces conditions et à ce prix, (légèrement
majoré, mais payable en quinze années !) que l'Air
France acquit tout l'actif de l'AEROPOSTALE, en
particulier 230 avions en service, 4 navires
transatlantiques neufs, 41 hangars d'aérodrome et
166 bâtiments.
L'AEROPOSTALE ne put que s'incliner. Elle obtint de
ses créanciers un concordat à 70%. Tout son capital
social (50 millions) était perdu. Tout son
personnel, en particulier sa magnifique phalange de
pilotes, fruit d'une longue sélection fût obligée de
passer à l'Air France. La plupart des contrats
obtenus à grand peine par l'AEROPOSTALE à l'étranger
étaient définitivement perdus pour la France. Retour
texte
(2) En
1931 à la suite de débats
politiques extrêmement violents qui mirent aux
prises Pierre-Etienne FLANDIN et Léon BLUM, et
à la suite d'une lutte politique entre le
Vice-président de la chambre, Maurice
BOUILLOUX-LAFONT, candidat à la Présidence et le
Président sortant, le socialiste BUISSON,
l'Aéropostale dans l'impossibilité d'obtenir des
chambres, après des rapports tendancieux de Jules
MOCH et de RENAUDEL, un renouvellement
à sa concession avait dû déposer son bilan.
Elle venait d'achever la création de la plus
grande ligne aérienne du monde: TOULOUSE -
SANTAGIO DU CHILI et de signer avec les Américains
et les Anglais un contrat assurant à la France une
position privilégiée pour la création de la ligne
Europe - Amérique du Nord.
Si sa situation de trésorerie s'était avérée
précaire du fait des grands investissements
qu'elle avait dû entreprendre, son exploitation
commençait à devenir très rémunératrice pendant
les deux années de sa liquidation judiciaire, 120
millions purent être mis de coté. Le concordat
devait ainsi être obtenu sans difficultés. André
BOUIILLOUX-LAFONT s'efforçait d'y parvenir.
Mais cette situation favorable avait ouvert de
larges appétits et c'est alors qu'intervint
"l'affaire des faux".
Un journaliste, COLIN, se disant affilié au 2ème
Bureau apporte à André BOIILLOUX-LAFONT des pièces
prouvant la collusion du Directeur de
l'Aéronautique Civile, CHAUMIE, ancien chef de
service de l'Aéropostale, avec Paul louis WEILLER
dans son action contre l'Aéropostale et ce en
liaison avec une société étrangère.
Après avoir confié ces pièces à deux experts
graphologiques auprès des tribunaux qui les
authentifièrent formellement et par écrit, André
BOUILLOUX-LAFONT alla, en demandant une enquête,
les soumettre au Président du conseil TARDIEU (qui lui remit
une autre pièce compromettante pour Paul Louis
WEILLER) puis un mois après à son successeur
HERRIOT, lequel le renvoya à PAINLEVE. André
BOUILLOUX-LAFONT refusa de confier ces pièces à
des hommes politiques, surtout à PAINLEVE dont les
liaisons avec WEILLER étaient connues, mais les
remis au Général WEYGAND, Chef d'Etat Major
Général, en vue d'une enquête par le 2ème
Bureau. Celui-ci les transmis au Général GAMELIN
de qui dépendait le service de renseignements,
mais le Général GAMELIN donna l'ordre de ne
faire aucune d'enquête et PAINLEVE
obtint que les pièces lui fussent remises.
Il déposa une plainte en faux et fit ouvrir une
instruction. COLIN dont les rapports avec Paul
Louis WEILLER furent prouvés se déclara l'auteur
de toutes les pièces et fût arrêté.
L'instruction durait depuis trois mois lorsque à
la Chambre des Députés, appuyé par une
intervention haineuse du socialise RENAUDEL,
PAINLEVE, violant honteusement les secrets de
l'instruction lança contre André BOUILLOUX-LAFONT
qui ne pouvait se défendre un réquisitoire
extrêmement violent, souvent faux, toujours
partial, qui fût aussitôt repris d'une manière
encore plus partiale par une presse où les amis de
Paul Louis WEILLER étaient nombreux…
Quelques jours après, André BOUILLOUX-LAFONT était
arrêté sous l'inculpation d'usage de faux.
Après avoir subi au cours de plusieurs mois de
détention des traitements spéciaux, en particulier
le régime des "grands criminels" à la
Conciergerie, au milieu des assassins et des
meurtriers, André BOUILLOUX-LAFONT passa en Cours
d'Assises sans avoir pu obtenir que la lumière
soit faite sur de nombreux points, en particulier
sur les relations de Paul Louis WEILLER et de
COLIN.
A l'issue de dix jours de débats marqués
d'incidents très violents et d'une campagne de
presse savamment orchestrée en faveur de Paul
Louis WEILLER, les jurés qui avaient à se
prononcer sur la question de la bonne foi de
Marcel BOUILLOUX-LAFONT, accusé de faux, rendirent
un verdict défavorable même au sujet de la pièce
qui lui avait été remise par le Président du
Conseil TARDIEU. André BOUILLOUX-LAFONT fut
condamné au minimum de la peine, 1 an de prison,
avec sursis.
Il fut également condamné à une amende, pour
infraction à la loi sur les Sociétés relativement
à la rédaction d'un prospectus d'émission dont
cependant le libellé avait été formellement
approuvé par le Ministère de l'Air et le Ministère
des finances. Retour
texte
Les
Cartes
Sources
: DOCUMENTS SUR L'AEROPOSTALE.
- Rapports sur l'Aviation civile du Ministère
Air Britannique, 1927 - 1931.
- Archives du Ministère Air Britannique.
- Archives B.O.A.C. (Impérial Airways).
- Aircraft Year Books 1930 - 1933.
- Rapports et archives de Pan American Airways
(Histoire des Services aériens
transatlantiques).
- Rapports annuels de l'Aéropostale 1928/29 et
1929 - 1930.
- Rapports annuels Air France 1933 - 1934.
- Historia (Edition spéciale - Argentine).
- Relatorio da Viacao 1927 (Brésil).
- "Aéropostale " (Georges Hoffman,
Aéro-Philatélie Magazine).
- "The struggle for Airlines in Latin America"
(William Buren).
- "European Transport Aircraft Since 1910" -
John Strout.
- "Dans le vent des Hélices " Didier
Daurat.
- "Avant les Jets ". Paul Vachet.
- "Mes vols" Jean Mermoz.
- "La Ligne", Jean Gérard Fleury.
-Texte
traduit par André Greard, Jean Voyer, repris par
Henri Eisenbeis.
- LA
NACION
du 24 juin 2007
S.C.E.L.A. En 1933, Air Orient, Air
Union, la Société Générale de Transport Aérien
(ex Lignes Farman) et la CIDNA (ex
Franco-Roumaine), créent une société commune :
la Société Centrale pour l'Exploitation
de Lignes Aériennes
(S.C.E.L.A.). La nouvelle société est rebaptisée
Air France, en août 1933, après le rachat des
actifs de l'Aéropostale en dépôt de bilan. Air
France est officiellement inaugurée à l'Aéroport
du Bourget le 7 octobre 1933. Elle reprend
l'emblème d'Air Orient, " l'hippocampe ailé ",
et s'installe dans les locaux de cette dernière
au 2 rue Marbeuf, à Paris.
(SCADTA Avianca's name
from 1919 till 1942, Sociadad Colombo-Alemana de
Transportes Aereos) TOP
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