HERITAGE

Immédiatement après la déclaration de banqueroute, le 31 mars 1931, toutes ces réalisations et ces ambitions s'évanouirent. Entre avril et juin, les services aériens vers le Paraguay, le Pérou, la Bolivie, le Chili et Trinidad furent suspendus. Le réseau Venezuela fut vendu.

Le réseau domestique en Argentine tomba en panne. Les routes restantes réduites à la ligne principale le long de la côte Est de l'Amérique du Sud jusqu'à Buenos Aires et la connexion trans-méditerranéenne furent conservées en exploitation sous le contrôle dune commission spéciale nommée par le Gouvernement, laquelle comprenait André Bouillloux-Lafont, le fils de Marcel, dont le principal devoir semble avoir été d'abandonner les droits portugais exclusifs à Pan American et Imperial Airways dans un accord tripartite, dans des termes presque humiliants

pour le Français. Ainsi qu'indiqué ci-dessus, la subvention fut reprise mais comme Jean Mermoz lui-même déclara : " Les Français savent mais ne savent rien garder " (en français dans le texte).

Alors vint le plus étrange virage de cette entière histoire. Au lieu de créer une Compagnie commune où le Gouvernement français détiendrait une part du capital ou même une Compagnie aérienne nationale, entièrement propriété de1'Etat, l'Aéropostale fût achetée par une Société nouvellement créée. Elle s'appelait la Société Générale pour l'exploitation de lignes aériennes (S.G.E.L.A.) dont la liste des Directeurs ressemblait fort à une liste d'appel de l'industrie aérienne française, les intérêts bancaires étant aussi représentés En y ajoutant l'Aéropostale, S.G.E.L.A. devint Air France, une Compagnie aérienne entièrement privée, sans même le capital de blocage nécessaire.

Air France prit à l'Aéropostale, ce qui lui était nécessaire : 130 avions, dont 31 des bons Laté 28, elle prit quatre bateaux modernes que Bouilloux-Lafont avait commandés pour remplacer les avisos antiques empruntés à la Marine française. Elle eut les facilités et les installations dont la grande base de Toulouse, plus les contrats postaux chèrement acquis et une équipe du personnel d'aviation hors pair dont un lot certain des meilleurs pilotes du monde.

Quel fût le coût de l'empire aérien de l'Aéropostale ? Il y a une entrée extraordinaire dans le premier rapport d'activité annuelle d'Air France dans lequel le prix payé au Gouvernement français pour l'Aéropostale, carte blanche vers le Nouveau Monde plus l'Afrique est estimée à 77.250.000 francs payables en 15 versements annuels, sans intérêts. Ceci s'établit à 5.15O.O00 francs ou environ 9.000 dollars par an taux d'échange de 1933. "Une erreur paraît avoir été commise dans l'actualisation des sommes versées, pour l'achat de l'Aéropostale. En effet, 77.250.000 francs de 1932 représentent 123.000.000 francs de nos jours, soit un peu plus de 12 milliards environ, le tiers du prix d'un Boeing 747, 5.150.000 francs par an, pendant 15 ans, correspondant à un peu plus de 8 millions de nouveaux francs pendant 15 ans. (" dérisoire ", note du traducteur)

En 1948, la dernière année de la période de paiement sans intérêt, le coût en valeur équivalente en dollars fut pour le rendre claire, plutôt inférieur.

Le fait qu'Air France d'avant-guerre gâcha ses chances, quelle que soit la raison, ajoute l'insulte à l'injure. Cela peut avoir été un manque de prévisions, un mauvais jugement vis-à-vis des partenaires ou simplement une inaptitude. Abandonner l'accord portugais ou le laisser tomber en désuétude fut un désastre de première grandeur. Cependant, pour 9.000 dollars par an, les nouveaux propriétaires doivent avoir pensé qu'ils avaient une occasion.

Mais cela ne fut pas une occasion pour Bouilloux-Lafont qui avait construit avec dynamisme ce qui aurait pu devenir une institution française permanente et influente dans l'hémisphère occidental, d'un mot aussi fort que maître de maison sur les deux continents du Nouveau Monde comme Pan American devait le devenir Et encore, ce grand homme mourait à Rio de Janeiro, un jour de 1944*, presque sans identité. Qu'importe où cela eut lieu, il devrait y avoir une plaque commémorative à cet endroit.

La question qui entourera toujours l'histoire de Marcel Bouilloux-Lafont, chassé honteusement de l'Aviation commerciale sera toujours : "A-t-il chuté ou fut-il chassé ?"

Il semble y avoir peu de doute qu'il ait été chassé. Pour la honte éternelle de l'aviation française, il lui fut fait un "grand croc" en jambe pour l'aider sur sa route et aussi, autant qu'il peut être apprécié, fut condamné à l'anonymat.

Ron DAVIES.

* accident de chemin de fer le 18.04.1944.

Sources

- Rapports sur l'Aviation civile du Ministère Air Britannique, 1927 - 1931.
- Archives du Ministère Air Britannique.
- Archives B.O.A.C. (Impérial Airways).
- Aircraft Year Books 1930 - 1933.
- Rapports et archives de Pan American Airways (Histoire des Services aériens transatlantiques).
- Rapports annuels de l'Aéropostale 1928/29 et 1929 - 1930.
- Rapports annuels Air France 1933 - 1934.
- Historia (Edition spéciale - Argentine).
- Relatorio da Viacao 1927 (Brésil).
- Aéropostale " (Georges Hoffman, Aéro-Philatélie Magazine).
- The struggle for Airlines in Latin America (William Buren).
- European Transport Aircraft Since 1910 - John Strout.
- Dans le vent des Hélices " Didier Daurat.
- Avant les Jets ". Paul Vachet.
- Mes vols, Jean Mermoz.
- La Ligne, Jean Gérard Fleury.
présentation

BouillouxLafont

les possessions territoriales

histoire

accueil