Les routes transatlantiques potentielles

Donc, étant donné les limitations d'autonomie de ces avions inadéquats, l'emplacement de bases convenables pour les hydravions était de la plus haute importance, et les pays candidats à la conquête de l'Atlantique commencèrent à faire l'inventaire de leurs ressources.
Très vite, l'avantage acquis par les Britanniques et les Français devint évident, au désespoir des Allemands qui essayaient toujours de recouvrer une respectabilité politique après la Première Guerre Mondiale, et au désespoir des Américains, notamment de Juan Trippe, de la Pan American.

Les Britanniques contemplaient tristement l'étendue d'océan entre l'Irlande et Terre Neuve. Cette traversée de 3 180 kilomètres ne représente pas grand chose aujourd'hui, mais dans les années 20, elle constituait une formidable barrière. Ce ne fut qu'en 1957 que l'astucieuse publicité d'El Al "NO GOOSE, NO GANDER" (nous n'atterrissons pas à Goose Bay, Labrador, ni à Gander, Terre Neuve) pour le Bristol Britannia sonna le glas de Terre Neuve et de l'Irlande en tant qu'escales techniques indispensables pour les vols transatlantiques. Et la météorologie en hiver sur l'Atlantique Nord était suffisante pour décourager tous les aviateurs, sauf, peut-être les plus intrépides.

Une fois passé Terre Neuve, les britanniques étaient suffisamment en sécurité. Ils pouvaient atteindre le dominion du Canada et toutes les autres colonies des Caraïbes (et même le continent sud-américain à Georgetown), sans demander de concession territoriale à qui que ce soit, en faisant simplement escale aux Bermudes, à 1 925 km seulement de St John's de Terre Neuve. Mais comment atteindre St John's ? Par les Açores, peut-être ? Eh bien ! Il n'y aurait pas de problème dans ce cas si le besoin s'en faisait sentir. Après tout, le Portugal était traditionnellement le plus ancien allié des Britanniques, un fait historique que l'on n'omettait jamais de mentionner dans les conférences diplomatiques anglo-portugaises. Et ainsi, la première référence à une route aérienne transatlantique exprimée dans les rapports officiels du Ministère de l'Air Britannique montrait que la route devait être via les îles portugaises d'Atlantique.

Les Français se trouvaient confrontés à peu près aux mêmes problèmes. Pour atteindre les îles françaises et la Guyane, la route entièrement française la plus courte relie Dakar à Cayenne, soit 3 990 km. Par bonheur, Marcel Bouilloux-Lafont qui lançait sa compagnie, l'Aéropostale, avait renforcé les accords postaux et commerciaux avec plusieurs pays d'Amérique du Sud, et il avait investi une fortune considérable pour établir une infrastructure aérienne sur ce continent. Toute la côte du Brésil était ouverte aux français, et le tronçon de route la plus critique se trouvait réduit en distance de Dakar-Fernando de Noronha (l'île qui se trouve au large de l'avancée nord-est du Brésil), soit 2 640 km. A partir de là, c'était un simple vol vers l'Amérique du Nord par la Guyane et une escale au Venezuela, où la compagnie aérienne survivante de l'empire de Bouilloux-Lafont est encore aujourd'hui appelée "Aéropostale".

Les Allemands bénéficiaient de privilèges semblables à ceux des Français pour l'exploitation de !'Atlantique Central. Ils avaient également obtenu des succès diplomatiques et Commerciaux en Amérique Latine, le seul continent où ils n'avaient jamais eu de réclamations territoriales, mais où plusieurs communautés allemandes - des colonies de peuplement - étaient établies et qui leur furent très utiles dans les années difficiles de reconstruction d'après-guerre. Ils étaient aussi "persona grata" au Brésil, où l'existence d'une liaison postale aérienne avec l'Europe était très appréciée, et où les réalisations de l'industrie aéronautique allemande n'étaient pas passées inaperçues. Car c'est avec la main d'œuvre et l'aide technique allemandes que le Brésil avait démarré ses premières lignes aériennes. Mais, vers les Caraïbes et l'Amérique du Nord, les allemands avaient très peu d'influence politique ou diplomatique à l'ouest de Belem.

Avant 1929, les hommes d'affaires américains avaient très bien compris que le moyen le plus rapide pour envoyer une lettre de New York à Buenos Aires était de la faire acheminer par le paquebot vers l'Europe puis de l'envoyer par l'Aéropostale. Les Etats-Unis avaient découvert l'importance de l'emplacement des bases lorsqu'en 1929, Ralph O'Neill avait préparé méthodiquement la route de New York à Buenos Aires par la côte orientale de l'Amérique du Sud. Il avait négocié des droits d'atterrissage et il avait construit des bases au Brésil et en Argentine; il avait également eu quelques difficultés avec les Britanniques et les Hollandais lors des demandes de facilités pour le passage par les Iles britanniques des Caraïbes et par la Guyane hollandaise. Mais avec les Français, il avait de réels problèmes.

Il n'avait jamais pu obtenir l'autorisation d'atterrissage à Cayenne, et il appréhendait toujours un peu la traversée entre Georgetown et Monténégro, dans le nord du Brésil. Lorsqu'on 1930, telle une pieuvre géante, Juan Trippe engloba la NYRBA dans son réseau d'Amérique du Sud, il réalisa que, pour la préparation des vols transatlantiques, les bases sous contrôle américain les plus à l'est étaient Bangor, Maine et les Îles Vierges possession des Etats-Unis.

En faisant tourner sa célèbre mappemonde pour y tracer son réseau aérien mondial, il rêvait à l'impossible quand il découvrit que quelqu'un, en la personne de Marcel Bouilloux-Lafont, était passé, le premier et avait enlevé le morceau.

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