La SPELA

Le dirigeant de l'Aéropostale, par un coup de maître, avait arraché une négociation commerciale époustouflante par l'ampleur de sa vision et qui, compte tenu des rivalités de l'époque, avait des effets dévastateurs. En bref, pour faire une comparaison avec le jeu d'échecs, Bouilloux-Lafont avait non seulement mis ses adversaires en échec, mais la partie à peine commencée, il les avait mis échec et mat. En d'autres termes, Juan Trippe avait été pris complètement au dépourvu. Tout en étant moins vulnérable, George Woods-Humphrey des Impérial Airways, n'appréciait pas tellement le cours des évènements et Martin Wronsky de la Lufthansa n'en avait pas cru ses yeux quand il avait lu la formidable nouvelle dans les journaux.

Marcel Bouilloux-Lafont avait conclu un marché unique avec les Portugais. Le gouvernement de Lisbonne s'était rendu compte que, à peu près le seul parmi les pays d'Europe, il n'avait pas de lignes aériennes. Cependant, il en avait presque autant besoin que l'Angleterre, la France, la Hollande et la Belgique. Son empire en Afrique était étendu et des points éloignés tels que Macao, en Chine et Goa, aux Indes étaient toujours sous pavillon portugais. Les moyens modernes de communication nécessitaient la création d'une compagnie aérienne, tout au moins vers l'Afrique, et les autorités aériennes portugaises cherchaient une solution et avaient fait des approches auprès du Gouvernement français.

Cette solution vint de Bouilloux-Lafont. Au cours de 1929, il avait formé une compagnie, la "Sociedade Portuguesa de Estudos e Linhas Aero-Postaos", la SPELA, associée au constructeur français de moteurs Gnôme et Rhône dirigé par Paul Louis Weiler et à des intérêts privés portugais. Etant ainsi devenue légale au Portugal et sans doute en utilisant une expérience chèrement acquise en Amérique Latine sur la manière de traiter de telles affaires, la SPELA avait négocié avec le gouvernement portugais.

Très simplement, Bouilloux-Lafont et Weiller avaient fait une proposition intéressante : " Nous vous assurerons un service de poste aérienne entre Lisbonne et vos colonies si, en retour, vous nous donnez les autorisations exclusives d'atterrissage et autres avantages nécessaires dans tous les territoires portugais ".

Ceci n'aurait pas dû surprendre les autres parties intéressées. La formation de la compagnie franco-portugaise en 1929 avait été remarquée par les autorités britanniques, et les allemands avaient effectivement protesté auprès de Lisbonne. Mais bien que ces derniers se soient référés à des projets de liaison par dirigeable et à l'importance des Açores, les Portugais avaient prêté une plus grande attention à Bouilloux-Lafont dont les réalisations effectives étaient plus tangibles et qui démontrait l'ampleur de sa vision en offrant quelque chose en retour des avantages demandés.

Deux autres accords internationaux démontrant que la stratégie aérienne atlantique commençait à se développer méritent d'être notés.

Le premier, en 1929 : Lord Thompson et Victor Laurent Eynac, représentant respectivement les ministères de l'aviation civile britannique et français, signèrent un accord selon lequel les Français obtenaient les droits d'atterrissage aux Bermudes et aux Bahamas. En retour, les Britanniques étaient autorisés à survoler la France jusqu'à Marseille et recevaient d'autres avantages concernant le survol des territoires français. La second, signé le 1er juillet 1930, désignait la Pan American Airways et les Imperial Airways comme étant les bénéficiaires d'un accord mutuel pour des liaisons entre les Bermudes et les Etats Unis.

Un autre accord de ce genre était probablement en discussion entre la France et l'Allemagne, toutes deux essayant sans doute, d'un point de vue différent, de mettre de côté les préventions issues de la première Guerre Mondiale. Les Français désiraient les droits d'atterrissage et de survol de l'Allemagne pour la ligne rapide de la compagnie Farman par la Baltique et pour la route de la CIDNA vers l'Europe de l'Est. En effet, la CIDNA avait été obligée de faire passer ses avions par la Suisse au début des années 20, quand la France occupait la Rhénanie. D'autre part, l'Allemagne avait besoin du passage sans conditions au-dessus de la France et des territoires d'Afrique française pour ses dirigeables et ses avions à destination de l'Amérique du Sud.

Toutes ces considérations devinrent caduques lorsque, le 16 septembre 1930, la SPELA signa un accord avec le gouvernement portugais, ratifié sous forme de loi par le décret no 18 899. Cet accord comprenait 53 articles parmi lesquels de loin le plus important était l'article 4, qui accordait l'exclusivité dans les territoires et les eaux territoriales portugaises et qui acceptait spécifiquement de "n'autoriser aucune autre entreprise nationale ou étrangère, soit à établir des liaisons aériennes internationales ayant des escales sur les territoires sus-mentionnés, soit à créer et utiliser des services réguliers aériens nationaux ou internationaux ayant des escales sur les dits territoires".

D'autres articles stipulaient que la SPELA ne serait pas subventionnée, mais que des terrains lui seraient fournis et que, si nécessaire, des terrains privés seraient expropriés. L'accord était établi pour 30 ans et il prescrivait que les services devaient commencer dès que possible : de Lisbonne vers la Guinée Bissau dans les 4 mois, vers le Cap Vert dans les 8 mois, puis vers Madère et les Açores dans moins de 12 mois. L'Etat portugais recevrait, en cas d'échec, une part nominale des bénéfices réalisés et serait le créancier privilégié de la compagnie.

Les deux premières lignes étaient relativement faciles à assurer. Toutes deux pouvaient être considérées comme de simples prolongements sur une courte distance de la ligne de Dakar. Ceci n'alarma pas beaucoup les milieux américains, anglais ou allemands, mais la perspective de voir la SPELA utiliser une ligne en exclusivité vers les Açores sema l'alarme, presque la panique, dans les états-majors de la Pan American, des Imperial Airways et de la Lufthansa ; c'est que les Açores étaient un point vital sur la seule route qui réunissait de bonnes conditions météorologiques tout le long de l'année et la meilleure combinaison de segments de route courts pour la traversée de l'Atlantique.

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