Le rêve impossible |
Quelles étaient les chances de Bouilloux-Lafont sur les
lignes d'Amérique du Nord, avec New York comme destination principale ?
Il avait commandé le Laté 38 destiné à entrer en service en 1931, avec
une capacité de transport double de celle du Dornier WAL. Le Laté
aurait été conduit par les équipages les plus expérimentés du monde,
dirigés par le vénéré - presque canonisé - Jean Mermoz. Il
contrôlait tous les points d'atterrissage qu'il pouvait désirer. Non
seulement ses chances semblaient bonnes, mais elles étaient infiniment
supérieures à celles de ses rivaux sur l'Atlantique Nord. La série de cartes ci-jointes montre ce qui a dû se passer dans l'esprit de cet homme, visionnaire remarquable. Même en 1930, avant la liquidation (cartes), Vachet avait déjà effectué la reconnaissance de la ligne reliant Natal au Venezuela via Cayenne. La bretelle sur Port of Spain, à Trinidad - Le Bourget potentiel des Antilles -, avait été ouverte le 9 janvier 1931, et la chaîne d'îles entourant les Caraïbes était un des objectifs de l'Aéropostale. Mermoz avait reçu les instructions de se préparer pour l'Atlantique Nord, et Bouilloux-Lafont n'aurait pas agi ainsi sans avoir un objectif précis. L'étape suivante aurait été l'inauguration de la première phase, la plus facile, de l'accord de la SPELA, en 1932 (carte no 2). Même avec l'hydravion Laté 28, déjà le meilleur appareil de la flotte de l'Aéropostale en 1930, les obligations à court terme envers le Portugal auraient pu être remplies ; les Açores, Madère, les Îles du Cap Vert et la Guinée Portugaise (Bissau, auraient pu être incorporées dans le réseau de l'Aéropostale. Les vols de reconnaissance auraient été menés par Mermoz aux commandes du bimoteur Laté 38. Même si cet appareil avait été 10 ou 15 % en dessous des performances prévues, il aurait été supérieur au Dornier WAL, et il aurait apporté une dimension entièrement nouvelle à la technique française dans la course pour la conquête de l'Atlantique Nord. En utilisant les îles du Cap Vert au lieu de Dakar, la traversée la plus courte de l'Atlantique Sud jusqu'à Fernando de Noronha aurait été encore raccourcie de 130 km. Fait encore plus important : la liaison directe du Cap Vert A Cayenne est d'environ 3 350 km, bien en deçà de l'autonomie prévu du Laté 38. La voie aurait alors été ouverte pour lancer - peut-être même en 1932 - tous les services de poste aérienne vers les Amériques du Nord et du Sud. L'Atlantique Nord aurait été desservi à partir de la France via Lisbonne, les !les du Cap Vert, Cayenne et la Martinique, avec, comme destination finale les Etats-Unis d'Amérique, soit à Charleston, en Caroline du Sud, soit à Norfolk, en Virginie et en utilisant les droits d'atterrissage à Nassau, d'après l'accord Thompson-Laurent Eynac. Les lignes étant assurées sur la route circulaire du Sud et avec les Açores déjà sûres comme base au milieu de l'Atlantique, le service presque direct vers New York aurait été à la portée des hydravions Latécoère, pour la plus grande gloire de la France. Les Britanniques auraient risqué de sérieux problèmes diplomatiques s'ils avaient refusé la permission d'utiliser Terre-Neuve, et ils auraient risqué un mouvement francophile au Canada si l'Aéropostale s'était vu refuser Montréal. En 1934, l'Atlantique tout entière aurait pu être le domaine de Aéropostale. Paris aurait alors été à 24 heures de vol de New York et les navires ravitailleurs allemands, lancés en expérimentation Nord Atlantique au milieu des années 1930, seraient devenus périmés au départ. Mais tout ceci n'était qu'un rêve. L'entreprise dynamique de Bouilloux-Lafont fut anéantie le 31 mars 1931. Le Laté 38 pourrit à Biscarosse et le pauvre Marcel fut bien près de sa destruction totale, Jean Mermoz abandonna tous les projets qu'il avait établis en contemplant la carte de l'Atlantique Nord. La SPELA fut réduite à rien et elle fut dissoute par les portugais suite à la défection du Gouvernement français qui contrôlait alors l'Aéropostale. Et l'accord Tripartite se désagrégea. En 1934, la Lufthansa, associée à sa filiale brésilienne "Syndicato Condor", utilisant les navires ravitailleurs pour compenser l'autonomie restreinte du Dornier WAL a ouvert le premier service transocéanique régulier du monde. Cet honneur aurait pu facilement revenir à l'Aéropostale deux ans plus tôt. Marcel Bouilloux-Lafont mourut à Rio en 1944, ses rêves anéantis et oublié de tous, sauf de ceux qui le connaissent et qui chérissent la mémoire d'un grand Français. |
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